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| Le temps est venu... | |
| | Auteur | Message |
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Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Le temps est venu... Dim 5 Sep 2010 - 17:36 | |
| Ár var alda… | ____________ | C’était au premier âge... | það er ekki var… | ____________ | Où il n’y avait rien… |
Ainsi débute son témoignage, alors que Midgard s’éveille doucement à la lumière du jour. Rituel immémorial, pour que ceux qui savent écouter n’oublient jamais. La pluie matinale bat sur la roche et le ciel gronde timidement. Ronchonnement de ce monde ancien qui peinerait à s’arracher à son manteau de nuit… Vara sandur né sær | __________ | Ni sable ni mer | Né svalar unnir; | __________ | Ni froides vagues; | Jörð fannst æva | __________ | De terre point il n’y avait | Né upphiminn, | __________ | Ni de ciel élevé | Gap var ginnunga | __________ | Juste un gouffre béant | En gras hvergi. | __________ | Et nulle herbe |
Tel est le commencement des temps qui nous est conté. A chaque aube, chaque crépuscule. Un murmure moribond, qui transit tout votre être dès lors que vous parvenez à l’entendre. Rien de plus qu’un souffle, une confidence, intime… qui résonne pourtant dans le ciel et la terre… immense… éternelle…
« Silence je demande à tous, les grands et les humbles. Silence, parents de Heimdall. Selon ta volonté, Valföðr, je raconterai… »
Et inlassablement, il partage chaque jour son histoire, révèle son destin… à des hommes qui sont de moins en moins nombreux à entendre… qui tendent à disparaître, eux aussi…
J’ai beau connaître ses paroles – elles sont inscrites dans mon esprit, dans ma chair – je ne peux m’empêcher de frémir à chaque fois que je l’écoute livrer ses secrets, d’être subjugué… terrifié… Je ne suis que le fragment d’une immensité qui s’effrite peu à peu, évolue… Le moment révélé est pour bientôt, le changement s’amorce. Et alors que je contemple ces premiers rayons de soleil qui viennent caresser la cime des arbres de Yeravik en contrebas, je sais. Je ne serai bientôt plus le témoin de ce spectacle si familier, que j’observe comme au premier jour. Comme le dernier… Je me nourris du contact rugueux et glacé de la pierre contre la paume de ma main, qui chante la fin d’un âge dont les hommes n’ont même plus conscience… Une croyance… Un mythe… Une légende… Tel est le souvenir qui en perdurera, jusqu’à ce que l’essence originelle disparaisse totalement et que les hommes en viennent à renier notre existence.
Mais avant que ce jour ne soit venu, j’accomplirai mon œuvre. Et je serai délivré de ces préoccupations. Je ne ferai qu’entrevoir ce monde qui ne sera plus le mien.
Einar tapote doucement de sa main contre le flanc rocailleux de la montagne, l’antre qui l’abrite depuis un temps désormais lointain. Une promesse, à une vieille compagne… La pluie a cessé de battre et l’homme embrasse une dernière fois le sommet de la forêt du regard. Puis il tourne le dos au soleil levant, pour s’enfoncer dans l’obscurité de la grotte afin de se préparer.
Il devra l’accueillir. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. Aujourd’hui est le jour de sa venue…
Sceggöld, scálmöld, Scildir ro klofnir… Vindöld…
Epoque de la hache, époque de l’épée, De boucliers fendus… Une époque de vent…
…Vargöld…
… Le temps des loups…
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| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Lun 6 Sep 2010 - 9:22 | |
| C'était une bonne idée. Sur le conseil de son père, Ragnar avait décidé de s'occuper lui-même de la perception des impôts seigneuriaux cette année. Pas qu'il soit spécialement doué pour les tâches administratives ni qu'il y montre des compétences particulières, bien au contraire. Ce genre de mission, qu'il considérait comme subalterne, l'ennuyait au plus au point. Ce qu'il n'avait d'ailleurs manqué aucune occasion de laisser entendre aux hommes qu'il accompagnait et qui s'acquittaient de cette tâche chaque année. Parmi son peuple, les guerriers jouissaient d'un rang social nettement plus élevé que les administrateurs, même si leur présence était nécessaire.
Il était parti la veille à l'aube, sans prévenir personne à part son père. Mais, malgré son côté arrogant, l'ambiance était assez détendue dans le petit groupe. Le but de ce voyage était triple. D'une part, la période était effectivement celle où l'on percevait les impôts, avant que les tempêtes hivernales ne rendent impossibles les longs voyages, au moment où les réserves étaient assez importantes pour que la levée d'impôts ne condamne pas les communautés à la famine. D'autre part, c'était l'occasion pour Ragnar de parler de son projet de colonisation et de chercher des volontaires, pas seulement aux abords de la halle paternelle, mais sur toutes les terres qui appartenaient au clan. Cela, tout en montrant l'intérêt du seigneur des terres pour ses vassaux : envoyer son fils était un geste politique fort.
Ragnar avait parfaitement compris le calcul, et ne goûtait guère d'être présenté comme un simple émissaire de son père, dans la mesure où il possédait maintenant sa propre terre, ses propres hommes, et estimait que ce travail aurait convenu à un adolescent. D'un autre côté, en dépouillant les terres de Yeravik d'autant d'hommes, sans aucun espoir de bénéfice en retour, il contractait une obligation importante qui l'obligeait à s'acquitter de cette tâche sans trop se plaindre.
En ce qui concernait le paiement, l'année n'avait été ni exceptionnellement fertile, ni très mauvaise : presque tous les villages avaient été capables de payer tout en pouvant faire quelques réserves pour leur propre compte. C'était normalement le rôle du seigneur, mais transporter des cargaisons de nourriture en plein hiver sur ne serait-ce que vingt lieux, était une véritable gageure et les paysans préféraient généralement ne compter que sur eux-mêmes.
Les paiements se faisaient parfois en or et en argent, mais le plus souvent en nature. Le poisson salé était particulièrement usité, et Ragnar sentait l'odeur de saumure environner leur convoi, ce qui l'avait incité à se placer entre le chargement et le vent. Autant il appréciait les senteurs marines et les embruns, autant l'odeur de chair de poisson salée, lorsque le vent tournait, avait une consistance presque solide qu'il détestait cordialement. Un seul des huit villages n'avait pas les moyens de payer : le chef argua qu'un incendie avait détruit partiellement l'un des entrepôts avant de pouvoir être maîtrisé et demanda un allègement des taxes. On lui répondit que l'incendie était de sa responsabilité et qu'il faudrait payer avant le début de l'hiver.
Ragnar eut un sourire en faisant jouer son épée dans son fourreau, mais resta prudemment en retrait. Lumière-d'Acier était le principal instrument qu'il utilisait dans ses négociations, et il préférait ne pas avoir à tuer un de ceux que sa famille était censée protéger. Même s'il détestait déjà l'homme et son visage de fouine. Au bout de quelques minutes de palabres, le remboursement de la somme restante fut reporté à l'été suivant.
Pour ce qui était de recruter pour son projet de colonisation, Ragnar était quelque peu découragé. La plupart de ceux qui vivaient là tenaient à rester sur leurs terres, plus précisément celles qu'ils avaient l'habitude de cultiver. Pour rude que soit leur vie, ces pêcheurs et paysans préféraient cultiver leurs champs et pêcher leur poisson. C'était un sentiment que le jarl comprenait parfaitement, mais qui n'arrangeait pas ses affaires.
Au total, environ vingt-cinq personnes, pêcheurs, chasseurs et cultivateurs acceptèrent de le suivre. Mais parmi ceux-là, ses compagnons le mirent en garde à propos de cinq d'entre eux, une bande de jeunes hommes fainéants et belliqueux. Accompagnés bien sûr de quelques représentants de bêtise féminine du même genre. Ragnar se contenta de sourire. Les jeunes crétins étaient toujours les mêmes depuis des générations et le seraient encore dans des siècles. Il leur laisserait leur chance, et, s'ils ne la saisissaient pas, il les renverrait chez eux à grands coups de botte ferrée dans l'arrière-train.
Ils avaient terminé leur trajet et espéraient rentrer à la halle du bord du lac le troisième jour avant la midi, lorsque, dans la forêt, un loup bondit devant eux. Il n'essaya pas de les attaquer, comme Ragnar s'y attendait, se contentant de traverser le chemin avant de s'enfuir dans le sous-bois. Normalement, un loup seul ne s'attaquait pas à un convoi d'une quinzaine de personnes, mais parfois, certains, peut-être malades ou possédés, s'attaquaient à n'importe qui sans se soucier de leur propre survie. Les hommes mordus par ces bêtes ne voyaient jamais le mois suivant.
L'incident aurait pu être sans conséquence si le loup n'avait pas effrayé l'un des chevaux, qui, désarçonnant son cavalier, s'enfuit au galop dans la direction opposée. Les chevaux étaient relativement rares à Yeravik, et c'était une aide précieuse tant pour le combat que pour le transport. Aussi Ragnar le suivit-il, après avoir recommandé aux autres de poursuivre leur route. Deux hommes le suivirent néanmoins, par précaution.
Il ne se pressa pas outre mesure. Lorsque le fuyard se serait rendu compte que, d'une part, il n'y avait plus de danger, et d'autre part, il s'était éloigné de ses congénères, il s'arrêterait puis commencerait à les rechercher. Et Ragnar l'aiderait à ce moment. Pour l'instant, le poursuivre ne servirait à rien : un cheval emballé ne réfléchissait pas, il courait, rien de plus. De toute manière, les hauts arbres étaient suffisamment rares pour ne pas perdre l'animal de vue : les forêts de Yeravik n'étaient pas les profondes forêts du sud. Les arbres étaient suffisamment espacés pour ne pas risquer outre mesure de se perdre. Après quelques minutes de petit galop, le cheval commença à ralentir, et Ragnar suivit son exemple. Pour finir, il s'immobilisa devant une sorte d'amas rocheux naturel et commença à brouter.
Le jarl descendit, attacha son propre cheval à un pin et s'avança vers lui.
Tu as fait un bon choix. Ici, nous sommes à l'abri du vent.
Il se saisit de la bride. Le vent tourna. Les narines du cheval frémirent en même temps que celles du jarl. L'animal poussa un hennissement inquiet.
Oui, j'ai senti aussi.
Il lui flatta les naseaux pour le calmer. Le vent portait une odeur de feu, et d'animal sauvage. Étrange combinaison.
Viens...
Il attacha le cheval au même arbre que le sien, à une branche de taille moyenne. Celui-ci pourrait se libérer en forçant vraiment s'il y avait du danger. Mieux valait un cheval en fuite qu'un cheval mort.
Qu'y a-t-il ?
Je ne sais pas. Mais il y a quelque chose...
Ragnar contourna l'amas de pierres et y trouva quelques braises rougeoyantes émettant encore quelques faibles flammes. Ce qui expliquait l'odeur du feu, mais pas l'animal. Ce n'était même pas réellement une odeur, plutôt une présence qu'il ressentait, qui lui rappelait un ours. Ou un loup. Un grand prédateur, dans tous les cas. Il porta son regard vers la grotte derrière le feu, mais n'essaya pas de la sonder. Si les ténèbres voulaient lui résister, elles lui résisteraient. Tenter de les percer du regard ne serait qu'un gaspillage d'énergie inutile.
Que fait-on ?
Ragnar secoua la tête.
Je n'en sais rien.
La solution audacieuse aurait été d'entrer dans la grotte. Le jarl l'aurait probablement fait dix ans auparavant, lorsqu'il était jeune et stupide. Mais ce n'était pas la solution intelligente. Et le jarl sentait sur sa peau le petit frémissement qui lui disait qu'il y avait dans les parages autre chose, quelque chose de différent d'une menace d'acier ou de griffes. Là, on avait une sensation de puissance d'une nature différente, pas d'hostilité.
Le jarl s'assit sur un rocher et serra la main sur la garde de son épée.
Quelqu'un veut de ma bière ? demanda-t-il en sortant une gourde de sa besace.
Depuis son enfance, Ragnar buvait de la bière aussi souvent que de l'eau, du moins lorsqu'il était à terre. Pendant les expéditions, on privilégiait l'eau pour éviter de devoir se soulager dix fois par jour. Il but une grande gorgée, attendant... il ne savait quoi. Que celui qui avait fait ce feu se montre.
Il y a quelqu'un ? cria l'un des hommes.
S'il y a quelqu'un, il sait déjà que nous sommes là, fit remarquer Ragnar. Bois donc un peu.
Dernière édition par Ragnar Herteitr le Ven 17 Sep 2010 - 23:05, édité 1 fois |
| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Mar 7 Sep 2010 - 22:24 | |
| Le souffle du vent, pour toute réponse. Le bruissement des feuilles et des branches, qui chantonnent par-dessus leur tête, ici et là. Rieuses… Et ces hautes silhouettes de bois somnolentes, atrophiées par le froid, qui semblent les observer de loin. Des regards pesants, de toutes parts. Qui les épient sagement, avec une curiosité non dissimulée. Qui rappellent aux hommes qu’ici, ils sont étrangers. Puis une longue plainte qui résonne, alors qu’un courant d’air s’engouffre dans l’obscurité de la caverne. La terre elle-même les interpelle… Nul homme en ces lieux, se disent-ils… Des hennissements effrayés retentissent derrière eux, les chevaux s’agitent soudainement à nouveau. Les hommes de Ragnar se retournent tout aussi brusquement, aux aguets, pour remarquer une silhouette à proximité des montures. Le loup… Celui qui vient de bondir en travers de leur chemin. Il est reconnaissable à son pelage autrefois sombre et désormais dominé de gris. Même le temps laisse son emprunte sur la bête… Et celle-ci demeure immobile. Elle observe, en direction du jarl, avec intensité. Nulle trace de peur dans ses prunelles ambrées. Ni d’hostilité. Juste une tension fascinante, qui peut se rompre à tout instant. Son regard est profond, confiant, hypnotique. Comme si l’âme de la forêt en personne les sondait au travers de ces étranges reflets qui dansent lentement à la surface des iris. Une patte en avant. Vers les hommes. Puis il cesse aussitôt sa progression, attentif. Il teste. Observe. Son regard ne faiblit pas. De même que sa présence, centre de toutes les attentions. Son autre patte se soulève, avance. Avant qu’il n’ait pu la poser au sol, un guerrier brandit son arme en beuglant pour intimider la bête. - Disparais ! La patte se fige, effleure à peine l’herbe. Quelques moulinets de l’arme accompagnent les paroles et la patte recule légèrement, semble vouloir faire un pas en arrière sous la menace. Puis non. Elle se pose finalement là où elle devait, c'est-à-dire en avant. Vers ces hommes qui s’aventurent sur ses terres. Son domaine. Son terrain de jeu. Bravade insensée, pour un loup vivant depuis si longtemps. La tension croît, mais toujours pas la moindre hostilité. Ni crocs, ni grognements. Il avance à nouveau d’un pas léger mais prudent. Les poignes se resserrent sur les armes. Quelle folie frappe la bête, pour marcher de face vers trois hommes en armes ? Pas une once de trouble pourtant. Ni dans son regard, ni dans sa démarche. Ce qui n’est pas pour rassurer… Ce loup est encore moins prévisible qu’un loup enragé. Et ce que l’on ne peut comprendre inquiète. Les menaces qui suivent ne parviennent pas à l’ébranler. Tout au plus, il se fige un instant, le regard rivé vers les hommes, avant de poser une autre patte en avant. L’espace se réduit. La crainte d’une attaque inexplicable de la bête sauvage pèse dans les esprits. Il s’immobilise à nouveau… fléchit légèrement sur ses pattes… observe dans la direction des intrus, sans en fixer un en particulier. Aucun d’entre eux…
Un sifflement perçant se fait entendre derrière le groupe. Beaucoup trop proche… Suffisamment pour que l’envie de se retourner brusquement soit forte. Le loup bondit au signal, profite de la surprise pour filer entre les guerriers et répondre à l’appel. L’animal vient trouver la main de l’homme qui se tient devant la grotte, à quelques pas seulement du groupe qui n’avait pas remarqué son approche. Pas même perçu sa présence, malgré la proximité… Etrangeté que cela… car un regard vers lui suffit pour saisir la force sauvage et implacable qu’il dégage. Elle frappe comme une révélation… une évidence… réalité éphémère qui s’estompe aussitôt… troublant davantage qu’elle ne perdure pas… Elle se dissipe… tout autour d’eux…
L’homme se dresse dans le froid, à demi-nu, sans que le vent ne lui arrache un tressaillement. A peine quelques mèches de cheveux qui dansent, alors qu’il parait immuable. La musculature saillante de ses bras et de son torse nu semble être celle d’un guerrier. Robuste. Puissant. Vif, certainement. Mais son corps n’est pas marqué par les combats. Physiquement, il ne semble guère plus âgé que le jarl. Peut être même plus jeune, tant sa peau est lisse, vierge de toute emprunte. Et pourtant, il émane de lui quelque chose d’ancien, de vénérable, qui le fait paraître sans âge.
Sa main épaisse vient flatter le loup, alors que ses yeux se posent sur chacun des hommes présents, jusqu’à revenir sur Ragnar. Tout comme l’animal, son regard est profond, pénétrant. Semble voir par-delà la chair.
L’image du monde nouveau…
…
Nous verrons…
Une légère tape derrière la tête de l’animal et ce dernier s’éloigne, disparaissant rapidement dans la forêt.
Plus tard, mon ami... Plus tard... Il me faut m'occuper de nos visiteurs...
- Bienvenue, seigneur… Entre donc, si ma modeste demeure convient à un homme de ton rang…
Et sans attendre de réponse, Einar rebrousse chemin et se fond dans l’obscurité de la caverne. |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Mer 8 Sep 2010 - 0:09 | |
| Ragnar était resté interloqué par l'apparition du loup mais, contrairement à ses compagnons, n'avait pas même tenté de dégainer son épée. Question d'instinct, sans doute. Ragnar sentait que le loup ne leur voulait aucun mal. Comment le savait-il ? Difficile à dire. Un instinct développé par une vie de guerre. La capacité d'anticiper les actions de ses adversaires. De percevoir leurs intentions et de les prendre à contre-pied, de sorte que, lorsqu'ils s'avançaient pour cueillir les fruits de la victoire, ils ne rencontraient que la mort, se rendant compte au tout dernier moment à quel point ils avaient été aisément déchiffrables.
Par ailleurs, le lieu même rappelait une sorte de sanctuaire naturel dont chaque pierre, chaque arbre, aurait abhorré la violence. Lumière-d'Acier était donc restée dans son fourreau. Ce qui était très inhabituel. Instinct ou pas, Ragnar aurait dû au moins serrer la poignée de son épée, de sorte à l'avoir au moins en main au cas où.
En revanche, il s'en voulut d'avoir laissé quelqu'un, ennemi ou non, approcher aussi près de lui dans son dos sans le remarquer. Les vieilles légendes de héros abattus traîtreusement d'un coup dans le dos imprégnaient suffisamment son esprit pour que son être se révolte contre une telle éventualité. Mais la menace disparut aussi vite qu'elle était apparue, lorsque l'homme étrange congédia le loup. Ragnar ne le scruta pas, préférant s'attacher à une impression globale de l'homme et de son environnement. Jeune, vif et puissant, probablement. Mais des yeux sans âge. Il avait déjà vu des devineresses avoir ce regard. Parfois, il lui semblait en entrapercevoir un éclat dans les prunelles de Sahnnâ. Mais jamais, au grand jamais chez un homme. On lui avait appris qu'il était impossible pour un homme de pratiquer la magie sans y perdre sa virilité. Mais, pour avoir réalisé à plusieurs reprises des actions que tous qualifiaient ainsi... il savait que l'impossible était un territoire changeant et toujours plus petit qu'on ne le pensait en général.
Il eut un sourire. La grotte, convenir à son rang ? Il ne pensait pas que l'homme se préoccupait plus que cela des rangs, et cette remarque était étrange. La cotte de mailles de Ragnar et ses nombreux bracelets l'identifiaient comme un seigneur guerrier, mais il savait déjà que cela n'avait aucune importance, ici. Il en ressentait presque du soulagement.
Enfin, prendre un moment dans ce lieu en-dehors du temps. Cesser de prendre des décisions, de donner des ordres... Ne m'occuper que de moi et regarder une plaque de lichen d'un air vague sans penser à rien...
Il se débarrassa de ses pensées parasites d'un mouvement de tête et eut un regard interrogateur à ses compagnons. Pas pour savoir si entrer dans la grotte était une bonne idée, mais tout simplement pour savoir s'ils le suivraient. Il lut dans le regard la peur panique de la magie lutter avec le désir de ne pas passer pour des lâches et de ne pas le laisser seul en péril. S'il n'avait pas traversé seul les tunnels maudits de Draugarhol, Ragnar aurait peut-être eu le même regard qu'eux. Mais, en l'occurrence, il était tout à fait serein.
Venez, leur ordonna-t-il.
Ils vaincraient une de leurs peurs et en tireraient fierté. Cela les rendrait plus grands en tant que guerriers comme en tant qu'hommes. Il entra dans la grotte, puis s'arrêta net.
Rengaine ton arme, dit-il calmement à l'un des hommes avec un froncement de sourcils.
Mais...
Nous sommes invités, ici. Quand tu entres dans la Halle d'un autre, tu laisses tes armes à l'entrée. Nous ferons pareil ici.
Les règles sur les armes dépassaient le cadre de la simple politesse. C'était également un moyen d'empêcher des massacres inutiles, particulièrement lors de repas bien arrosés. Même sans armes, les os fracturés n'étaient pas rares. Il était presque inimaginable pour Ragnar d'entrer dans une halle en armes lorsqu'on y était invité. C'était une insulte et presque même une déclaration de guerre. De plus, dans un espace comme une grotte, bien peu d'armes étaient utiles lorsque l'on n'était pas habitué. N'avoir que ses mains-recouvertes de solides gantelets ferrés-n'était pas plus mal.
Lorsque nous serons entrés, ne restez pas trop longtemps. Je soupçonne notre homme de ne pas trop apprécier la compagnie nombreuse.
Ragnar n'avait pas fait d'efforts pour faire porter sa voix, pas plus que pour être discret. Il s'avança dans le tunnel puis jeta un coup d'œil à la pièce dans laquelle se trouvait l'homme. Sans être particulièrement inquiet, une longue habitude l'incitait à guetter toute trace d'une présence étrangère. N'en trouvant pas, il fit un petit salut.
Je me nomme Ragnar, fils d'Eirik. Voici Snorri, fils de Leif, et Kjartan, fils de Karl. Nous sommes venus sans armes et en paix. Nous offriras-tu le pain et la boisson ?
Le salut était quelque peu cérémonieux, destiné à rappeler les règles d'hospitalité, presque universelles. |
| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Mer 15 Sep 2010 - 23:15 | |
| Les bruits de pas résonnent dans les entrailles de pierre. Lents. Mesurés. Ils avancent prudemment. Les trois guerriers... Ainsi se sont-ils tous décidés à affronter l’obscurité… Je perçois d’ici leur souffle régulier, que certains d’entre eux osent à peine relâcher… Comme si cela pouvait éveiller un mal ancien qui sommeillerait sous la terre… Les hommes connaissent bien des légendes mais retiennent rarement l’essentiel… Ils ne ressentent pas. N’écoutent même plus… Ignorants… Fils de Heimdall d’un nouvel âge, d’un nouveau monde… Ils viennent pourtant à moi, et je me prends à espérer… Les pas plus affirmés de celui que je suppose être leur chef font presser l’allure à ses deux compagnons. Je sens croître leur tension. Ils auraient préféré faire moins de bruit, progresser plus lentement… Efforts vains, guerriers. En ces lieux, chacune de vos respirations est un vacarme. Vous y êtes étrangers. Vous ne pouvez vous dissimuler. Les pas se rapprochent, l’un d’eux toujours en tête. Tirant le groupe vers l’avant. Témérité ou soupçon de clairvoyance ? Le dénivelé de quelques mètres seulement a débouché sur une cavité relativement plane et circulaire, où il ne semble y avoir aucune autre issue. Nulle torche pour éclairer, mais la lumière du jour pointe timidement de l’entrée, pour chasser un peu de ténèbres et plonger les lieux dans une pénombre tout à fait acceptable après quelques secondes. Accroupi au centre de la salle, Einar rassemble quelques maigres victuailles sur un plateau, au milieu de ses affaires disposées ici et là. Des ustensiles, pour la cuisine et le travail du bois principalement. Une paillasse de fourrures plutôt rudimentaire… Et deux haches de guerre non loin d’elle, reposant contre la paroi rocheuse au fond de la caverne. Affûtées, finement ciselées, l’œuvre d’un forgeron consciencieux. Legs de ceux qui ont pris la mer… Malgré l’obscurité, ils ont tout de suite remarqué le reflet des lames. Demi-lunes d’argent scintillantes, aux entrelacs complexes mais raffinés… qui esquissent cette toile mouvante que chaque homme aimerait pouvoir infléchir à sa guise… Leur regard s’est irrémédiablement posé sur mes armes, alors qu’eux n’ont pas pris les leurs. Désolé, étrangers. Ma demeure n’est pas à la mesure de la Halle d’un jarl… Mais je note le respect que vous lui accordez. Einar sent les regards peser sur lui. Il demeure accroupi, n’a même pas relevé la tête à leur arrivée. Il farfouille dans un sac de peau. Ce n’est que lorsque le seigneur prend la parole pour les présenter qu’il se redresse. Son regard sans âge passe à nouveau d’un homme à l’autre à chaque nom révélé. Mildir frœknir
| ____________ | Généreux et courageux,
| menn bazt lifa | ____________ | les hommes ont vie belle | sjaldan sút ala | ____________ | et sont rarement tourmentés. | en ósnjallr maðr | ____________ | Mais le peureux | uggir hotvetna | ____________ | craint toutes sortes de choses. | sýtir æ gløggr við gjöfum | ____________ | Et l’avare se méfie toujours des présents. | - Einar, fils de Thorolf.Un léger hochement de tête en guise de salut, puis il se penche pour ramasser le plateau posé sur une pierre plate, ainsi que l’outre de peau à son pied. De la main gauche, il offre les quelques mets qu’il possède, fruits les plus simples de la forêt. De la droite, il tend la boisson à Ragnar. - Soyez les bienvenus… Voici de quoi vous restaurer…Ses yeux se plantent dans le bleu perçant du jarl. Il le sonde, silencieux, sans rien ajouter. Aucun signe ne vient trahir ses pensées concernant le jeune seigneur qui se tient devant lui. Et pourtant, il est aisé de comprendre qu’il ne porte pas un regard neutre sur ces hommes. Une curieuse impression pèse au fond de leur conscience. Le sentiment d’être épié, de ne pouvoir se dissimuler. - Alors dis-moi, seigneur… qu’est-ce qui t’amène si loin de chez toi ? |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Sam 18 Sep 2010 - 14:46 | |
| Ce lieu rappelle irrésistiblement la tanière d'un ours. Tant par la configuration, que le manque de lumière ou même l'odeur. Un lieu qui ferait penser plus à l'hibernation qu'à la méditation. Du moins, s'il n'y avait pas les haches accrochées au mur. Armes splendides qui ont immédiatement éveillé l'intérêt de Ragnar, même s'il sait qu'il serait malséant de le montrer. Mais il connaît bien ces volutes incrustées dans le métal, car son épée est faite de la même manière. Avec de l'acier finement travaillé et entretissé... ce qu'une voile de navire serait à une pelote de laine de mouton. Le jarl ne connaît pas les détails de la technique, qui est un secret jalousement gardé, mais il connaît la rareté et la puissance des armes ainsi forgées. Et sait qu'un tel objet est forcément l'oeuvre d'un maître artisan. Rien à voir avec les haches primitives que l'on peut retrouver dans les refuges de bandits.
Le jarl a un discret hochement de tête approbateur devant la nourriture. Que l'on soit roi ou ermite, les lois de l'hospitalité sont une des choses qui ont permis aux Suéris de subsister, de tous temps. Un usage qui était déjà vieux lorsque la première lame fut levée vers le soleil, et qui, si le destin en décide ainsi, perdurera jusqu'à ce que ce dernier s'éteigne.
Il mange un fruit. Un seul. Assez pour honorer l'hospitalité d'Einar, mais pas trop, pour ne pas épuiser ses réserves, qui ne doivent pas être fort abondantes.
Nous étions en voyage. Un voyage pour collecter des impôts pour le compte de mon père, même si ce n'est pas la seule raison. Sur le chemin du retour, nous avons croisé ton compagnon à quatre pattes, qui a effrayé l'un de nos chevaux. Sa fuite l'a mené ici. Par la suite...
Haussement d'épaules. Inutile d'en dire plus, Einar a assisté à la suite des évènements.
La suite, tu la connais. Cela étant, je pourrais à mon tour te demander ce qui t'amène aussi loin de tes semblables.
Ragnar sent la tension de ses hommes. Des hommes d'un courage incroyable face aux dangers physiques, mais qui tremblent comme des enfants apeurés face à l'inconnu et à la magie. Une crainte que ne partage qu'en partie Ragnar. Certes, comme tous, il a tendance à craindre ce qu'il ne connaît pas. Mais c'est avant tout un pragmatique pour qui on n'est pas "plus mort" terrassé par l'invisible que par une lame bien aiguisée.
Il s'installe un peu plus confortablement. Pas qu'il soit mal à l'aise, mais pour que ses compagnons se détendent un peu. L'agressivité et la peur attirent la violence, et ce n'est pas un lieu ni un moment propice au combat. |
| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Dim 19 Sep 2010 - 14:49 | |
| Einar offre des fruits aux autres guerriers légèrement en retrait, pendant qu’il écoute le bref récit de Ragnar. Ici, un jarl n’a pas plus de droits qu’un autre et tous peuvent manger et boire à leur guise.
- Pourquoi mentionner une autre raison et ne pas la dévoiler ? Si ce n’est pour que je te le demande ? Tu soulèves volontairement une autre question…
Posant le plateau et l’outre sur la pierre plate située plus ou moins au centre de la caverne, la nourriture reste à disposition de chacun.
- Si tu ne voulais pas en parler, tu ne l’aurais même pas évoqué pour éviter les questions. Le simple fait de le mentionner signifie que c’est suffisamment important pour que tu sentes le besoin de préciser son existence.
… pour que tu sentes le besoin de revenir, Ragnar, fils d’Eirik…
Einar s’installe à même le sol, étant dépourvu du moindre meuble. Il s’empare de l’outre de peau pour boire plusieurs gorgées du breuvage, avant de la tendre à ses « invités ». Songeur suite à la question de Ragnar, son regard semble plus lointain.
L’expiration menaçante d’une bête immense, tapie au large entre le ciel et la mer, dans l’obscurité la plus totale… Aegir en personne, balayant la côte avec force… Tel nous apparaissait le souffle glacial de cette mer agitée… mordant la chair des fils d’Andefædr… tous alignés sur la plage, à demi-nu, au milieu de la nuit. Tous ceux qui sont restés sur cette terre… dressés face aux éléments, dressés face au destin. Le regard rivé vers un monde que nous ne connaîtrons jamais. Les navires affrontaient les flots tourmentés, sous un voile de flammes froides dansant haut dans le ciel nocturne. Pour finalement disparaître dans l’obscurité… Longtemps, nous sommes restés là, immobiles, silencieux, à sonder les ténèbres. Jusqu’à ce qu’ Árvak et Alsvid parcourent les cieux, emportant Sol pour que le jour se lève enfin… Jusqu’à ce que tous nous nous dispersions, pour accomplir notre rôle, sans jamais nous revoir… - Les miens ont quitté cette terre il y a fort longtemps en prévision du changement. Certains durent rester. Nous ne sommes pas tous simples spectateurs de notre destinée…
Ses yeux reviennent sur Ragnar, qu’il observe, mesure, sonde à nouveau.
Tant de temps à attendre… Et voici venu un loup… Dernier né de l’ancien monde… Peut être le premier fils du nouveau…
Est-il à la hauteur de la tâche ?
- A ce propos, Ragnar, fils d’Eirik… A quoi aspires-tu ? On raconte beaucoup d’histoires sur le fils d’Eirik Ingvarrsson. Mais si les fables entretiennent le souvenir, elles ne font pas l’homme. |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Dim 19 Sep 2010 - 15:24 | |
| Ragnar a un sourire appréciateur devant la remarque de son hôte. Il a en effet laissé entrevoir d'autres raisons, sans s'appesantir dessus. Ce, pour savoir si son interlocuteur aurait la finesse de remarquer l'allusion, et le courage de poser la question.
Quoiqu'il puisse être d'autre, cet homme est sagace, et non dénué de bravoure.
Le jarl se lève. Il avait prévu de faire partir les hommes, mais il est bon que certains parmi ses proches connaissent ses raisons, voient son projet.
Mes aspirations et mon autre raison de faire ce voyage, je vais te les montrer. Viens dehors, j'aimerais te montrer une chose.
Se dirigeant vers la sortie de la grotte, le jarl s'arrête une fois à l'air libre. Là, il reste immobile quelques instants, face au vent glacé qui fouette son visage, la tête en arrière.
Vois-tu...
Il parle en même temps pour Einar et ses deux compagnons, sans regarder personne en particulier.
Sens-tu ce vent ? Il est glacé, coupant, mordant. Dans quelques lunes, il va charrier de la neige qui s'abattra sur la peau, la terre et les arbres. Ce vent et cette glace ont forgé notre peuple et ils ont leur raison d'être. Grâce à eux, nous apprécions la chaleur d'un foyer et tenons l'hospitalité pour sacrée. Grâce à eux, nous nous sommes réunis en communautés pour être plus forts. Même pour ceux d'entre nous qui ne sont pas des guerriers, la vie même est un combat qui nous rend plus forts.
Il parcourt lentement du regard le visage des trois hommes.
Mais pendant les hivers rigoureux, le bétail et les enfants meurent. Nos chevaux sont rares, et souvent maigrichons. Dans le Sud, il y a des terres plus prospères, fertiles. Si nous pouvons y installer des colonies, notre peuple deviendra plus fort. A condition bien sûr qu'il ne perde pas l'esprit d'un peuple qui se bat en permanence contre les éléments. Justement, j'ai pris possession d'une île dans le Sud... Mon voyage a aussi pour but de recruter des volontaires afin d'y bâtir une colonie.
Il a un silence de quelques instants.
Que disent les fables sur moi ? Et comment les connais-tu ? |
| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Sam 25 Sep 2010 - 16:57 | |
| Ce vent… Il agresse sans cesse ma peau, mord ma chair avec le caractère d’un fauve aux mâchoires puissantes. Rappel d’une origine qui ne doit pas être oubliée. Provocation devant laquelle il ne faut faiblir. Le souffle glacial de cette terre rude et sans âge, qui nous met inlassablement à l’épreuve… nous défie.
Ecoutez. Ressentez.
Elle choisit.
Ceux qui sont dignes de notre noble héritage. Ceux qui feront perdurer le sang des Premiers Hommes. Ceux… qui auront une chance d’être remarqués…
J’observe et écoute cet homme, j’entrevois sa vision avec une certaine mélancolie, pour ce monde amené à disparaître. Mais ce que j’entends, ce ne sont pas ses paroles. C’est le murmure de cette terre qui s’élève autour de moi, confidence qui m’enveloppe et résonne dans tout mon être.
Nous l’avions annoncé…
Je contemple un monde qui n’est plus le mien, aussi sûrement que si je le foulais à cet instant. Avec pour compagnon le souffle de l’ancien à l’agonie, qui attend sagement son heure. Toute chose est amenée à changer.
Le changement viendra des hommes…
Et je comprends davantage le rôle que j’ai à jouer…
- Le bétail sera assurément plus abondant. La terre, plus facile à cultiver. Et les parents n’auront pas à pleurer autant d’enfants emportés par le pays qui les a vus naître. Ton domaine sera plus prospère, les tiens seront plus nombreux. Mais tes fils, Ragnar, ne seront plus aussi forts que ceux qui doivent survivre à ce vent glacial. Qu’ils bravent les mers et croisent le fer, rien n’y fera. L’héritage des Premiers Hommes s’estompera progressivement, ne devenant plus, comme leur terre d’origine, qu’un lointain souvenir. Et le souvenir n’entretient pas tout. La clémence affaiblit l’homme, de corps et d’esprit.
Es-tu prêt à payer le prix ?
Einar a le regard rivé dans celui du jarl. L’air grave, il occulte volontairement la question de son interlocuteur pour se concentrer sur un sujet plus important. Il n’est pas le premier à vouloir priver la Suérie de ses fils.
Sait-il seulement ce qu’il fait ? |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Mar 28 Sep 2010 - 18:30 | |
| Ragnar a un long, lent, soupir. Les paroles de cet homme ne reflètent que trop ses propres craintes. Les questions qu'il se pose, les doutes qu'il n'a laissé voir à personne. Et Einar vient de mettre le doigt sur le nœud du problème.
Allons-nous devenir comme ces hommes mous qui vivent au Sud ? Nombreux mais trop timorés, trop indécis, pour pouvoir combattre ? Dans trois générations, mes descendants mèneront-ils une armée forte de 2000 hommes dont 600 seulement seront des guerriers, tout le reste des paysans armés de faux ?
Une inspiration. Une expiration. Le temps semble suspendu.
C'est ici le carrefour. La croisée des chemins. Et j'ai peur. Peur des conséquences d'une décision que je prends seul parce que trop rares sont ceux qui voient aussi loin. Et parce que je n'ai jamais voulu donner trop d'informations aux gens de ma maisonnée. C'est pour ce genre de choix qu'il faut un chef.
Le regard de Ragnar plonge dans le vague. Son esprit est d'une clarté absolue, malgré son angoisse ou plutôt à cause d'elle. Il tente de sonder l'avenir, non pas à l'aide de pouvoirs surnaturels comme le font certains mystiques, mais avec son entendement d'humain. Entre un avenir dur qui peut condamner les Suéris à l'extinction, leur culture à l'assimilation par l'Eiralie... et un avenir plus confortable, renforçant leur puissance mais au risque de les ramollir, et, encore une fois, de les transformer en Eiraliens du Nord...
Nous irons au Sud. Nous serons puissants. Mais nous reviendrons au Nord, régulièrement. Et il faudra mettre en place des rites d'initiation... des décisions dures pour former des hommes durs. Et certains devront rester... si je me trompe. Pour préserver nos usages, et cet esprit de fer.
Il se tourne vers Einar.
Les choses ne sont pas si simples... Un chef décide aussi avec l'avis de ses hommes. De son peuple. Mais cela n'est pas le principal. D'abord et surtout, un chef décide avec l'aide des dieux. Il nous faut consulter une femme de sagesse, qui sache lire les murmures dans la pierre. Je ne peux te répondre immédiatement, quelle que soit ma décision personnelle.
Je suis un imbécile de ne pas avoir consulté les dieux avant. Je risque de perdre toute crédibilité s'ils se dressent contre mon projet...Trop impétueux, encore une fois.
Je vais devoir reprendre ma route... Je te livrerai ma décision, et celle des dieux, à mon retour.
Un homme important, cet Einar. Un homme qui mérite qu'on fasse le voyage pour le tenir informé.
|
| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Sam 2 Oct 2010 - 19:39 | |
| Ce soupir… Ce regard… Il n’est pas encore prêt…
Jeune loup qui marche et résonne toujours comme un homme…
Observe, écoute et ressens… Tu comprendras…
- Un homme qui cherche la faveur des dieux pour se convaincre est voué à l’échec. Car il ne choisit pas, il se laisse guider lorsqu’il est confronté à un doute.
Ceux de la race des Guerriers doivent agir avec conviction. Si tu crois suffisamment en ta décision et que ta détermination est inébranlable, alors agis. Peu importe ce que les autres croient tant que tu sais. Ils découvriront. Que le peuple entrevoit la vision que tu t’efforces de bâtir. Trouve la force d’infléchir la volonté des Nornes si nécessaire et que les Dieux eux-mêmes ne puissent qu’encourager tes actes…
Si ton choix se révèle être le bon…
Tu es né Jarl. Tu n’auras pas le droit à l’erreur. Mais n’attends pas une réponse de quiconque, homme ou Dieu… elle ne peut venir que de toi. Le doute est l’ennemi du cœur.
L’homme fait un pas en arrière puis se retourne, marchant déjà vers sa tanière. Il s’immobilise devant la gueule de pierre qui lui fait face, qui s’apprête à l’engloutir. Il tourne légèrement la tête, jette un regard par-dessus son épaule, sans prendre la peine de se retourner, ni vraiment de regarder distinctement son interlocuteur.
- A l’aube du prochain jour, si tu as encore foi en ton projet, viens jusqu’à moi, dépourvu du moindre doute. Emporte avec toi tout ce qui peut toucher le cœur des hommes et les inciter à concrétiser ton rêve, car tu devras convaincre. Me convaincre. Si tu y parviens, je te révèlerai ce qui te fait défaut.
Je t’offrirai un présent digne d’un Roi de nos légendes…
- Tu n’auras pas d’autre opportunité…
Sur ses mots, Einar disparait dans l’obscurité de la caverne. Le vent glacé agite les branches des arbres, qui murmurent tout autour des guerriers. Et non loin d’eux, un loup observe… |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Ven 8 Oct 2010 - 0:43 | |
| La réponse d'Einar semble plus qu'insensée à Ragnar par certains aspects. Mais l'homme n'est pas de ceux avec qui l'on peut tenir une joute oratoire. Même si Ragnar avait le moindre talent pour cela, ce qui n'est pas le cas. Alors, il ne réplique pas, de toute manière, Einar est déjà ailleurs. Il donne simplement l'ordre de reprendre la route.
Lui et ses compagnons gardent le silence, réfléchissant à ce qu'ils ont vu et entendu. Ragnar plus particulièrement, puisqu'il est le premier concerné.
Ignorer la volonté des dieux ? Voilà qui est plus qu'inhabituel, voire risqué. Quand à infléchir la volonté des Nornes... ha ! Rien ni personne ne peut y échapper.
Ragnar a toujours été ambitieux, orgueilleux... en bref, tous les traits de caractère que l'on attend chez une personne de son rang. Mais son orgueil reste limité par le simple bon sens. Quand les divinités elles-mêmes se soumettent aux édits des Nornes, se dresser contre elles... ou même espérer les infléchir... C'est pure folie.
Néanmoins, certaines paroles ont perturbé le seigneur, et reviennent le harceler.
Un homme qui cherche la faveur des dieux est voué à l'échec... il se laisse guider... agir avec conviction... que les dieux eux-mêmes ne puissent qu'encourager tes actes... le doute est l'ennemi du cœur... dépourvu du moindre doute... tout ce qui peut toucher le cœur des hommes...
Rythmées par le pas des chevaux, les pensées tourbillonnent dans sa tête.
Cela nous a ralenti. Nous arriverons en début d'après-midi.
Le silence se rompt. Ragnar n'a pas vu qui a parlé.
Pas moi. Je ne rentrerai pas aujourd'hui.Rentrez.
Il cherche un moment qui a prononcé cette phrase. Avant de se rendre compte qu'elle venait de sa bouche. Alors il soupire.
Ainsi soit-il.
Le jarl glisse de sa selle, sans prendre la peine d'arrêter le cheval. Quelques instants plus tard, il est avalé par le sous-bois. Les sons de voix de ses hommes s'estompent vite. Il sait qu'ils ne le rechercheront pas. Ou peu. Après tout, il est réputé pour son entêtement. C'est presque la marque de fabrique de sa famille, d'ailleurs. Avec l'orgueil, le courage, la volonté de dominer, l'habileté aux armes, la rigidité dans le respect des règles et le sens des responsabilités. Et ils ont un ordre à exécuter.
Le respect des règles...
C'est peut-être ce qui le gêne, se dit-il tout en gravissant une colline enneigée. L'été touche à sa fin, pourtant, cet endroit semble avoir été épargné par la tiédeur toute relative du soleil suéri. A moins qu'il n'ait neigé récemment ici. Les branches ombragent le chemin qu'il trace dans l'étendue blanche et c'est à leur abri qu'il se laisse tomber dans la neige.
L'usage veut qu'un chef consulte les dieux. Il le sait. D'ailleurs, il l'a fait systématiquement pour toute décision importante. Ainsi le veut la coutume. Mais, à bien y réfléchir, il avait toujours sa décision en tête avant de consulter les oracles. Et avait une tendance nette à infléchir le sens des runes selon son bon vouloir. Simplement pour soutenir le moral de ses hommes. Ce qui lui a toujours bien réussi jusqu'à présent.
Est-ce ce qu'entendait Einar par "infléchir la volonté des Nornes" ? Décider soi-même de ce que disait l'oracle ?
Ragnar se relève. Lumière-d'Acier sort du fourreau et trace une balafre dans la neige alors que le jarl marche plus profond dans la forêt, l'épée pendant à bout de bras. Puis, fatigué, il finit par s'asseoir sur une souche, la lame sur ses genoux.
Mon droit de passage à la Halle des Morts Glorieux... Que les dieux m'envoient un signe s'ils le jugent bon.
Il finit par s'assoupir. Malgré la solitude, et le danger auquel l'expose cette dernière, sa vigilance s'endort. Et lui aussi. Sa dernière pensée d'homme éveillé est que, même s'il meurt aujourd'hui, il est certain que sa légende survivra. Ne serait-ce que par les circonstances de sa disparition. Cette idée le remplit de sérénité.
Un enfant qui refoule ses larmes, avançant dans un souterrain jonché de cadavres avec pour contenir les ténèbres une simple torche... Une esclave frappant un marchand d'esclaves d'un grand coup de coude et le rire de Ragnar qui résonne... La même dans une barque en pleine tempête, jetée à la mer et l'eau glacée s'engouffrant dans sa gorge... Sahnnâ transformée en torche humaine qui continue de danser... Un homme vêtu de noir tranchant la gorge d'une jeune fille avec un sourire terrifiant. Un bébé lancé dans les airs pour s'embrocher sur une épée.
Les images se succèdent, sans queue ni tête, et ont pourtant une étrange logique. Violence et carnage... Blanc.
Ragnar cligne des yeux. La nuit est tombée et la lune se reflète sur sa lame, qui s'est plantée au sol à ses pieds. Il est tombé en avant, juste à côté de l'épée, le visage sur la neige. Etrangement, le contact glacial ne l'a pas réveillé.
Il se relève d'un bond. Il se sent frais, dispos, reposé. Et se rend finalement compte que les dieux, les magiciennes, les esclaves aux pouvoirs incompréhensibles... tout cela ne change rien. Le choix qu'il fait pour son peuple est le seul.
Rester au pays, c'est la mort à longue échéance. Installer une partie de son peuple plus au sud... C'est donner à ce dernier deux chances au lieu d'une. C'est choisir l'incertitude immédiate au lieu de la certitude d'un échec à long terme. D'ailleurs, en réalité, sa décision est déjà prise depuis longtemps. Einar ne fait que le mettre face aux conséquences de ses choix.
A ce stade, peu importe qu'Einar se soit montré fort sage ou n'ait fait que débiter les paroles incohérentes d'un homme resté seul trop longtemps. Ses mots ont poussé Ragnar, non pas à prendre une décision, mais à faire la paix avec une décision en réalité prise depuis longtemps.
Les étoiles filent dans le ciel. Ragnar s'allonge sur le dos, attendant l'aube. Et le moment d'une nouvelle rencontre. Il pourrait encore faire mander Sahnnâ. Elle peut toucher le coeur des hommes, c'est incontestable. Mais... non. La décision fut prise seul, et Ragnar ne doit, pour cette tâche, se reposer sur rien d'extérieur à lui-même.
Nous ne croyons qu'en notre puissance et capacité de victoire.
Ancienne devise des Suéris, qui prend aujourd'hui un sens nouveau.
Lorsque le ciel s'éclaircit à l'est, Ragnar est déjà en route. Calme et décidé. Prêt à l'action comme à l'inaction.
|
| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Lun 25 Oct 2010 - 0:09 | |
| Dos à la lumière qui pointe timidement depuis la surface, je sonde l’obscurité. Les ombres progressent, avancent, se resserrent. Je les regarde s’emparer lentement de la roche, prendre possession des lieux alors que le soir se profile doucement. Imperceptible… hormis pour celui qui prend le temps d’observer, sans compter les heures qui s’égrènent à mesure que la lumière faiblit. La fin d’un cycle, le début d’un prochain… Et aujourd’hui, je vis le crépuscule d’un âge qui pourrait bien disparaître jusque dans la mémoire des hommes. Tout comme le déclin de la journée, j’ai attendu, j’ai observé, et je contemple à présent l’instant de vérité pour lequel je suis resté spectateur si longtemps. Demain sera un jour important. Comme tous les prochains à présent… Einar s’enfonce soudainement au plus profond de sa tanière, après des heures d’observation, à penser et ressentir, voir et écouter ce à quoi les hommes se sont fermés à présent. Il s’empare de son outre à laquelle il se désaltère un instant, songeur, avant de finalement remonter à la surface. L’air a considérablement fraîchi avec le soleil suéri qui tend à disparaître au loin, au-delà des limites du monde. L’homme, torse nu, sent la morsure poignante du froid nocturne. Mais cela ne le perturbe guère. Il embrasse du regard les terres qu’il a maintes fois parcourues, baignées à cet instant par la lumière crépusculaire. Et il contemple. Et il écoute. Ce murmure lancinant, envoutant, qui l’appelle, l’invite une dernière fois… Plus rien d’audible, un bref instant. Hormis les battements de son cœur, qui cogne dans sa poitrine. Pulsations sourdes qui résonnent dans tout son être. Echo infime et pourtant puissant, qui semble occulter le reste du monde mais en réalité les relie. Il s’accorde avec lui. Et ce désir qui s’éveille soudain, de répondre à l’appel. Il s’élève, coule en lui comme un courant, porté par chaque pulsation de son coeur. Il investit ses muscles, sa chair, tourbillonne lentement autour de son âme. Tension électrique qui le fait frémir, comme si toute cette terre ancestrale vibrait à travers lui. Elle décuple cette tentation… Limpide. Irrésistible… Il en connait déjà l’issue… Combien de fois s’y est-il abandonné ? Il ne les compte plus… Ce n’est que le refrain de son existence, porté par un rythme enivrant. Ses sens s’aiguisent, l’homme perçoit avec acuité chaque vibration de cette nature farouche qui se joue de lui, le défie d’un sourire malicieux. Il la discerne, parmi les ombres de la forêt, dansant sous le reflet de la lune. Et Einar se fend lui aussi d’un sourire. Puis il plonge en contrebas, dévale la pente rocheuse prestement et s’élance dans la nuit d’une foulée rapide et légère. Il court, accélère encore, mû par cette excitation sauvage, intime et immense. L’homme file avec célérité dans le voile sombre qui embrasse Yeravik, porté par le vent nordique sifflant à ses oreilles. Aucune prudence, aucune retenue, sa course est effrénée. Le pied sûr, il foule le sol pourtant traitreux sans hésitation, malgré l’obscurité. Einar court et bondit tel un fauve qui règne sur la nuit. Cette terre est son domaine, la mère qui l’a nourrit et l’a vu grandir. Il la connait et ne la craint pas. Les arbres défilent tout autour de lui, grandes silhouettes sombres et décharnées qui se découpent dans le bleu nuit du ciel. Le suéri slalome entre les troncs, saute par-dessus les pierres et les arbustes, sans jamais marquer un temps d’arrêt. Les branches frôlent son visage à mesure que la forêt se densifie. Elles dansent à son passage, entretiennent un temps seulement le souvenir fugace de l’élan indomptable qui anime cet homme peu commun. Et non loin, une ombre fend elle aussi les ténèbres… Rapide, confiante… attisée par le même instinct sauvage… Einar peut percevoir chacune de ses foulées, distinguer son souffle, entendre le bruissement des feuilles emportées par sa course. Elle aussi file vers le nord, tend à se rapprocher peu à peu de lui à mesure que leurs chemins convergent. Nul ne prête réellement attention à l’autre, chacun fait parti d’un tout qui anime leur corps et enivre leur esprit. Et cette perception se suffit à elle-même. Les rayons de lune plongent ici et là au travers de la cime des arbres, chassent un peu les ombres pour dévoiler parfois une fourrure sombre traversant la lumière avec vivacité. Einar continue de courir, le regard rivé droit devant. Les branches sifflent à ses oreilles. Il fléchit sur ses jambes, saute et dévie sa course pour éviter les obstacles naturels qui surgissent au dernier instant. Puis sur un ultime bond, le suéri atterrit au cœur d’une clairière. Au même instant, l’ombre surgit des bois à sa droite. Brusquement immobiles, l’homme et la bête se font face en silence. Emeraude contre ambre, ils s’observent, attentifs. Les muscles bandés, la tension dans leur corps fiévreux est prête à se rompre à chaque instant. Et ni l’un ni l’autre ne dévie du regard, sous la lumière de l’astre nocturne. Chaque expiration libère une brume naissant du contact de leur souffle brûlant et de l’air glacial de la nuit. Puis il suffit d’un éclat dans les yeux du loup pour tout embraser…
Comme un seul être, ils bondissent à nouveau, reprennent leur course endiablée. Ils plongent dans la noirceur de la forêt, cote à cote, sans ne rien vouloir céder à l’autre. Les ombres gigantesques défilent, se succèdent, sans jamais se ressembler, jusqu’à presque totalement disparaître. L’homme et le loup courent à en perdre haleine, totalement abandonnés à une ivresse sauvage qui pousse leur corps à l’extrême. Ils ne perçoivent plus que leur sang qui bat violemment contre leurs tempes, le souffle mordant du vent suéri, le rugissement du torrent qui creuse la roche gelée. Ils courent, jusqu’à perdre toute notion du temps, ne plus réfléchir. Simplement réagir, à de brèves et soudaines perceptions. Jusqu’à voir leur corps défaillir et s’effondrer, terrassé par l’immensité de la terre qu’ils honorent.
Einar ne bouge plus. Les yeux dans le vague, il n’a pas perdu conscience. Tel un homme ayant posé sa tête sur le ventre d’une mère, il guette. Un battement de cœur, un mouvement… Il écoute et ressent les entrailles de terre et de pierre de ce berceau sacré, pays de légendes qui fut foulé par les dieux… Et son visage se fend d’un nouveau sourire. Il n’y aura pas de prochaine fois…
Les jappements du loup à ses côtés l’arrachent à sa contemplation. Son souffle et son sang se sont apaisés, ne laissant plus place qu’à l’épuisement et le froid terrible. L’homme se redresse péniblement, scrute les alentours pour tenter de se repérer parmi l’obscurité. Sa main vient se perdre dans la fourrure tâchée de gris de son compagnon, qui garde ce domaine depuis fort longtemps. Il ne lui faut guère longtemps pour reconnaître le relief, les arbres, et se situer par rapport au bruit du torrent et la position des étoiles.
- Aller…
Une petite tape amicale derrière le crâne, il invite le loup à rebrousser chemin avec lui. Lorsqu’il aura atteint sa tanière, la nuit sera courte avant l’arrivée de Ragnar… |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Lun 1 Nov 2010 - 22:48 | |
| Une fois Ragnar parvenu à la grotte où il avait rendez-vous, sa résolution a quelque peu fléchi. Il sait que sa décision est la bonne, mais n'est plus nimbé de cette aura d'implacable détermination, qui, il le sait, l'entourait il y a quelques heures seulement. Toujours la même histoire. Certains craignent la nuit, d'autres l'aiment. Mais, en réalité, pour les mêmes raisons. La nuit, c'est la magie. C'est le mystère. C'est tout ce qu'on discerne, qu'on devine, qu'on imagine dans l'ombre, sans toutefois le comprendre tout à fait. Certains voient des ennemis prêts à les massacrer, d'autres des serviteurs qui s'inclinent devant eux.
Le jarl s'approche de l'entrée de la grotte. Les pensées qui l'assaillaient il y a un instant à peine ont disparu. Ragnar n'est pas quelqu'un de peureux, et la raison en est simple : c'est avant tout un pragmatique qui considère, non pas qu'il est invincible, mais que toute menace peut être affrontée à la pointe de l'épée. Sans être d'ailleurs forcément vaincue. Mais le simple fait de mourir au combat est en soi une victoire.
C'est dans cet esprit pragmatique qu'il élève la voix dans l'air frais du matin.
Einar.
Quelques instants à écouter le silence.
Einar !
Le jarl n'a jamais été d'un naturel patient. Il est capable d'attendre son heure, mais ne le goûte pas plus que nécessaire. Et il ne souhaite pas rentrer dans ce refuge sans y avoir été invité. Le silence, encore et toujours, est la seule chose qui répond à ses appels. Ragnar ouvre la bouche pour hurler à pleins poumons, de ce cri qui, poussé avec force juste derrière un bouclier d'acier et répété par une centaine de gorges, fait vibrer les boucliers, les armes, mais aussi les cœurs et le ventre des hommes. Ce cri qui semble solide puis vivant lorsqu'il se rue sur l'ennemi pour éprouver son courage avant même que le premier javelot ne soit lancé par-dessus les rangs ennemis. Ce qui le retient est toujours la même chose. Cette impression de sacré, que Ragnar ressent sans comprendre réellement.
Le jarl réfléchit un instant. Soit Einar ne l'a pas entendu parce qu'il est encore en train de dormir. Soit il a simplement décidé de se murer dans son repaire afin de le forcer, lui, Ragnar, à venir demander audience auprès de lui. D'après ce qu'il a pu voir d'Einar, il serait parfaitement stupide d'imaginer qu'il soit encore endormi. C'est donc qu'il entend l'attirer dans son repaire en ignorant volontairement ses appels. C'est presque une insulte, et Ragnar y réagit comme il le fait souvent. Dégainant Lumière-d'Acier, il s'aventure dans la grotte. Entrer armé dans la demeure d'un autre est un acte qui répond au mépris qu'Einar manifeste pour lui.
Comme il s'y attendait, l'homme est assis en tailleur, les yeux légèrement cernés mais le regard toujours perçant. Un reflet exact du visage que le jarl doit présenter en ce moment. Le visage de l'homme pour qui la nuit fut courte mais riche d'enseignements.
Le jarl se tient devant lui, l'épée dégainée mais la pointe vers le sol. Il la laisse quelques secondes refléter les lueurs du feu, le temps de faire passer son message, avant de la rengainer d'un geste brusque.
Un quolibet monte à ses lèvres sur la surdité de l'homme, mais il sait que ça n'aurait parfaitement aucun effet sur Einar. Sans compter que ce serait une dépense d'énergie inutile pour lui-même. Et ce n'est pas le sujet principal. S'asseyant sans façons auprès du feu, il sort sa gourde de sa ceinture avant d'aspirer une longue goulée d'eau glacée. Seule la proximité de la gourde contre la cuisse du jarl a empêché le liquide de geler complètement, mais c'est toujours plus chaud que la neige qu'il a pris pour remplir le récipient. Récipient qu'il pose à côté du feu, à la fois pour le réchauffer que pour inviter au partage de la nourriture et de la boisson.
J'ai pris ma décision. Mes hommes et moi iront au Sud.
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| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Sam 6 Nov 2010 - 23:02 | |
| - Einar !!
Le cri du jarl au dehors résonne dans les profondeurs de la grotte. Puissant. Féroce. Celui d’un guerrier qui exalte le cœur des hommes et met la détermination de ses ennemis à l’épreuve. La pierre elle-même transmet son appel. L’appel d’un autre monde, d’un autre temps. Clair, limpide. Il ne peut que l’entendre. Mais pour seule réponse, le silence. Einar demeure assis, tapi dans la pénombre. Les yeux fermés, il écoute et mesure. L’intensité de son nom qui s’élève, porté par une voix puissante… La résolution du seigneur, dans ses appels répétés… Son courage, alors que ses cris fendent la quiétude de cette terre sacrée… Il devine l’homme seul, cerné par cette nature sauvage qui le toise, tout aussi silencieuse que celui qu’il est venu trouver en ce lieu. Einar connait ce sentiment d’être épié de toutes parts, jugé, par quelque chose d’indicible qui inquiète et fascine, là où le pouvoir de l’homme est bien dérisoire. Il ne bouge pas, ne parle pas. Il laisse Ragnar confronté à cette impression, cette sensibilité, cet instinct… Les suéris ont toujours été plus réceptifs. Don immémorial, de cette terre sans âge qui chante et imprègne le cœur de ceux qui lui survivent… Héritage qui se doit d’être respecté, mais qui ne doit pas paralyser celui qui est déterminé. Einar n’invitera pas Ragnar à continuer. Il n’appartient qu’à lui de le faire. Alors Einar attend, que l’homme se décide à franchir le cap.
Le premier pas du jarl sonne lourdement, alors qu’il marche l’arme au poing à la rencontre de celui qui ne daigne pas lui répondre. Le seigneur semble avoir suffisamment de volonté pour braver le mystère, le sacré. Il a pris sa décision. A moins que ce ne soit que la colère qui joue son œuvre… Elle pousse souvent les hommes à agir, parfois contre ce qu’ils défendent. Einar demeure immobile, imperturbable à chacun des pas qui descendent et se rapprochent de lui.
Ragnar Herteitr, montre-moi quelle espèce de loup tu es…
Il ouvre les yeux, juste avant que la silhouette du guerrier se dessine parmi les ombres. Les reflets sur la lame de Lumière-d’Acier semblent donner vie à l’arme, dansent sur le métal et se projettent contre les parois de pierre. Mais cela ne distrait nullement Einar. Son regard reste rivé dans celui du jarl. Et pour lui, chacun des faits et gestes de son visiteur a un sens. L’épreuve a déjà commencé…
L’homme aux longs cheveux blonds invite Ragnar à prendre place devant lui, pour profiter de la chaleur des flammes. Il lui fait passer un plateau de bois avec quelques fruits, de la viande séchée et salée, ainsi que son outre, comme le veut la tradition.
- J'ai pris ma décision. Mes hommes et moi iront au Sud.
Einar, toujours silencieux, laisse finalement son regard dériver vers le feu qui le sépare du jarl. Songeur, il se perd un instant parmi les flammes, dont seul le crépitement vient troubler le silence. Puis il relève les yeux vers Ragnar, le feu dansant dans ses iris.
- Ainsi, tu te décides à abandonner ta terre natale, ton foyer. Et affaiblir ton peuple pour prospérer, à la manière de ces gens du sud. Renoncer, à ce qui nous a forgé et a fait de nous les hommes que nous sommes aujourd’hui… pour s’étendre, se développer…
Est-ce une bonne solution pour les suéris, ou uniquement pour toi et ceux qui aspirent à une vie plus clémente, Ragnar fils d’Eirik ?
Il guette la réaction du seigneur, nonchalamment. La question est ouverte et la manière dont il y répondra ne comptera pas moins que la réponse en elle-même.
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| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Sam 13 Nov 2010 - 22:12 | |
| Les mots, lourds de sous-entendus déplaisants, heurtent Ragnar dans son orgueil comme des petites pierres sur un homme vêtu de mailles : pas assez pour être réellement blessants, mais suffisamment pour être désagréables et entraîner une réaction en conséquence.
Ce que je fais n'a rien à voir avec la manière dont ces gens du Sud mènent leur existence.
Gens du Sud... Ragnar a presque craché le mot. Ceux qui vivent sous un climat doux qui permet la survie d'êtres qui mourraient en moins de deux jours s'ils étaient exposés aux rigueurs des terres suéries.
Ce temps clément qui facilite les voyages, les échanges, mais aussi vide de sa valeur le devoir d'hospitalité ou d'aide à ses compagnons. Quel sens donner à un âtre, un lit et un repas librement accordés lorsque le voyageur peut parfaitement dormir sous un ciel d'été piqueté d'étoiles, la tête sur son baluchon ? Quel sens accorder à l'aide qu'un paysan accorde à un autre pour réparer son toit en l'absence de blizzards qui font de cette réparation une question de vie et de mort ? Quel sens donner à la protection des villageois par les guerriers si l'ennemi le plus dangereux est une bande de brigands affamés, mal armés et mal organisés ?
Tel est le cours que suivent les réflexions du jarl qui voit, probablement à tort, l'Eiralie et, plus généralement, toutes les terres du Sud comme une terre de cocagne qui ne forme que des lavettes et n'attend que de se faire piller par le jarl qui saura rassembler suffisamment d'hommes.
Et donc, il n'apprécie guère la comparaison, ce qui aurait été évident pour quiconque le connaissait.
Je n'aspire pas à une vie plus clémente. Et il n'est pas question de renoncer à ce que nous sommes. Mais je crains que notre peuple se meure. Je ne verrai pas la fin de notre manière de vivre et de nos légendes, pas plus que mes fils ni les fils de mes fils. Mais j'ai peur qu'un jour ou l'autre, cela arrive. Lorsque la température descend insensiblement au lieu de chuter d'un coup, il est facile de se laisser endormir par une torpeur mortelle en se croyant en sécurité. Il faut réagir.
Ragnar se montre rarement aussi prolixe, mais il a du mal à trouver ses mots. Bien que son idée soit claire dans sa tête, il lui est difficile de l'exprimer. Il se prend soudainement à regretter l'absence de Sahnnâ. Elle, elle aurait peut-être pu voir ce qu'il y avait dans son cœur, et le traduire en mouvement. Alors, lui et les rares privilégiés à pouvoir assister à ce spectacle auraient pu avoir une vision plus claire. Mais en l'occurrence, il est seul. Ce qui, finalement, est juste et logique. Bien que les jarls soient censés consulter le peuple et les dieux avant de prendre leurs décisions, c'est en pratique la volonté du chef qui prime.
Les Suéris qui sont au Nord risquent de s'éteindre un jour ou l'autre. Pour peu que la gangrène de la culture eiralienne vienne les corrompre, ils abandonneront leurs dieux, se battront entre eux. Quelles que soient nos rancunes, nous savons que nous appartenons au même peuple, ce qui nous empêche d'abandonner notre honneur en nous trahissant. Pour la plupart du moins. Mais si nous abandonnons dans notre cœur le peuple des suéris... Le frère se retournera contre le frère, les serments seront brisés... et personne n'épargnera personne. Si tous les Suéris restent au Nord, voici ce que je redoute. Quand à ceux qui ont accepté des terres au Sud...
Ragnar s'interrompt tout à coup, avec un profond soupir. Lorsqu'il reprend la parole, sa voix est porteuse d'un mélange de mépris, de colère et de tristesse.
Ils ont trahi les leurs et rejeté leur peuple pour adopter les coutumes d'étrangers qui, pour être nombreux, ne comprennent rien de nos coutumes. De plus, les Eiraliens sont faibles.
Ton catégorique, carrément méprisant pour les Eiraliens comme pour ceux qui se sont ralliés à leur cause. Un silence. Ragnar n'a pas l'habitude de parler autant, et surtout pas sur ce genre de sujets. Il a été rare qu'il parle d'enjeux aussi éloignés dans le temps. Car ils n'intéressent aucun de ses hommes. Et, jusqu'à ce qu'on lui pose la question, Ragnar lui-même pensait qu'ils ne l'intéressaient pas non plus. Il cherche maintenant à se rappeler pourquoi il désirait tant conquérir cette île au nord de l'Ismeerlane, mais les motivations qui sous-tendent son acte lui échappent encore.
Incompréhension qu'il accepte parfaitement.
Nul ne choisit son Destin... Aux yeux d'un imbécile, il n'y a aucune différence entre être traîné de force pour combattre dans un cercle de branches de noisetier, et y entrer de son plein gré. Mais pourtant, le guerrier suéri, lui, voit et comprend parfaitement cette différence. De même pour le Destin. Si l'on ne peut le choisir, on peut toujours choisir entre s'y confronter bravement ou se terrer dans un trou de souris.
Lorsque deux solutions sont également désastreuses, il faut chercher une troisième voie. C'est celle que je tente de percer. Je ne sais pas si j'ai raison. Mais, même si j'échoue et meurs pour payer cet échec... il restera encore d'autres Suéris authentiques sur les terres ancestrales de mon peuple. Notre sang est encore vigoureux dans le présent, même si je crains l'influence des Eiraliens dans l'avenir.
Le jarl se frotte pensivement la barbe.
J'ai eu le temps de réfléchir à la question, et je crois qu'il faut prendre le risque.
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| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Lun 22 Nov 2010 - 23:06 | |
| [Le visage d’Einar se fend d’un sourire à la réaction de Ragnar, dont il écoute le discours paisiblement. Aucune réaction particulière, hormis ce petit rictus peut-être déplaisant, un rien provoquant, pour les plus belliqueux à qui il ne faut pas grand-chose pour chercher querelle. Comme son comportement et ses paroles jusqu’à maintenant… L’homme teste le jarl. Pas uniquement sa résolution. Mais également son orgueil, sa clairvoyance, sa promptitude à la colère ou encore sa remise en question. Il l’égratigne, sans trop en faire. Juste suffisamment. Aujourd’hui est le jour de l’épreuve] Deux hommes harassés, discutant au coin du feu… C’est ce qu’on pourrait voir, au premier abord… A le regarder, il ressemble à ces voyageurs qui usent leurs semelles sur les routes et les sentiers, marchant d’un pas rapide pour atteindre la prochaine étape, avant la tombée de la nuit… avant son froid mortel, venu d’au-delà du monde des hommes …
Il a les traits tirés, après une dure journée, de celui qui s’est hâté sans relâche au travers d’une contrée hostile et sauvage. De celui, qui a un long chemin à parcourir…
Ce n’est que le reflet du mien, à n’en pas douter… En cela, à cet instant précis, nous sommes semblables…
[Einar boit une longue gorgée d’eau fraîche, songeur, avant de tendre l’outre à Ragnar. Le feu peine à chasser le froid matinal dans la caverne aux pierres glacées]
Une chance pour notre peuple ? Tous ne partagent pas tes craintes... Qui pourrais-tu alors rallier à ta cause ?
- Tu crains que la culture eiralienne ait raison de celle de notre peuple… Nous qui vivons sur cette terre ancestrale, vibrant encore des premiers pas des dieux et des hommes… En quoi se rapprocher du sud et bénéficier de la même clémence est une alternative au destin qui nous fait face ? Comment penses-tu pouvoir protéger davantage les suéris en nous éloignant de ce qui nous caractérise ? En nous rapprochant de ce qui provoquerait notre perte ? Si le destin te parait immuable ici, en quoi serait-ce différent là où nous avons une chance d’oublier qui nous sommes ? Je vois l’appauvrissement de notre sang… l’abandon de notre terre natale… Rude, certes… mais c’est elle qui fait de nous les hommes que nous sommes aujourd’hui… Je n’ai ni femme, ni enfant. Je n’ai que faire d’une terre plus clémente. Pourquoi aurais-je envie de prendre la mer pour te suivre ? [Les yeux verts d’Einar sont rivés dans ceux de Ragnar. A nouveau ce regard profond, sérieux, qui ne se joue plus de lui mais le sonde intensément. Apportant davantage de poids à sa dernière question, qui semble visiblement la plus importante de toutes. Et ne pas concerner que sa seule personne...] |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Lun 6 Déc 2010 - 9:00 | |
| Il arrive de faire d'instinct ce qu'il y a à faire. Sans réfléchir, sans évaluer, on sait, c'est tout. Mais ceci vaut lorsque l'on tient entre ses mains une femme, une épée ou la barre d'un navire. Lorsque la main réfléchit autant que la tête, et ceci ne concerne pas la politique.
La politique... c'est ça, oui. Je suis en train de devenir un maudit orateur, et bientôt, si je n'y prends garde je serai aussi comptable et marchand. Tout sauf un guerrier.
Mais Ragnar est bien conscient que pour mener efficacement des guerriers, il faut être soi-même plus que cela. Sur le champ de bataille, déjà, sans parler des périodes qui séparent les expéditions.
Le jarl hausse les épaules, notant que, si Einar discute la solution qu'il a proposé, il n'a pas nié le problème qui se poserait à eux comme à tous les Suéris.
Je ne sais rien. Je n'ai aucune certitude que ce que je m'apprête à faire est la solution. Mais je sais une chose : je ne me laisserai pas m'amollir et oublier mes origines, et mes hommes non plus. Je sais aussi que si une voie est mauvaise, il faut en ouvrir une autre, même si l'on ne sait pas ce qui nous attend au bout.
Bref silence.
Je l'ai déjà fait un nombre incalculable de fois. Comment crois-tu que j'aie acquis ma réputation ? Dans toute expédition existe une large part d'incertitude.
Quand aux raisons que tu aurais de me suivre... je ne te l'ai jamais demandé.
Au moment même où il prononce ces mots, Ragnar prend conscience de leur vacuité.
Dans ce cas, pourquoi serais-je ici au milieu de nul part à discuter avec un guerrier-fauve quand je devrais être en train de plaider cette cause devant les vassaux de ma famille, la sage-femme du clan et même quelques fils de jarls alliés, dont le bras me serait bien utile ?
Mais la plupart de ceux qui me suivent sont d'abord venus à moi attirés par l'or et la gloire. Si ce n'est pas ce qui t'intéresse, dis-moi ce que tu veux et nous discuterons.
Finalement, que ce soit de l'or ou autre chose qui soit en jeu, beaucoup de choses se règlent par le marchandage. Même si Ragnar utilise préférentiellement l'acier pour acheter ce qui lui plaît.
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| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Sam 11 Déc 2010 - 23:22 | |
| Un pas, puis un autre. L’animal guette le chemin qu’il sait devoir entreprendre. Mais quelque chose le trouble. Une réserve. Il rôde, aux abords… observe… hume l’air glacial… Il cherche à comprendre la pleine mesure de l’acte qu’il s’apprête à accomplir, espérant ainsi justifier son choix. Mais par delà le chemin, des brumes épaisses et sombres. Aussi sombres que la nuit qui l’enveloppe, alors que le froid engourdit déjà ses membres, appelle au sommeil…
Le loup résonne comme un homme… et pourrait bien à jamais en devenir un…
- Tu ne me l’as jamais demandé, effectivement… Mais comptes-tu demander personnellement aux centaines de personnes que tu espères voir embarquer avec toi vers le sud ? Marchanderas-tu avec chacun d’eux leur départ, leur confiance, leur loyauté ? Maintenant et à l’avenir ?
Un arôme léger se dégage progressivement du vase en stéatite qu’Einar tient désormais dans ses mains. Les herbes séchées qu’il contient s’y consument lentement, élevant des volutes de fumée qui embrassent les deux hommes et dansent autour d’eux avec langueur.
- Certains croiront en l’or que tu leur promettras… D’autres en ce climat plus doux qui leur épargnera bien des tourments… Mais croiront-ils en toi, Ragnar, fils d’Eirik ?
La fumée semble doucement s’épaissir. L’obscurité de la caverne, plus imposante. Et l’air, plus pesant. Les flammes elles-mêmes semblent ralentir.
Respect.
Fascination.
Comme si le temps lui-même n’osait plus s’écouler normalement, par crainte d’emporter le murmure de cette terre sacrée, de briser la magie de cette rencontre insolite. Présence vénérable qui se manifeste timidement, chante et conseille… délivre son message…
- Tu ne dois pas convaincre les hommes avec ta tête d’une décision prise avec le cœur… L’incertitude est l’apanage de l’esprit… Tu te dois de toucher autre chose…
L’entends-tu ? Le vrombissement de la terre… Le souffle de ce monde… Le chant de la Suérie, qui étreint nos cœurs et imprègne notre âme ? A cet instant, le doute existe-t-il seulement ?
Tu ne sauras jamais l’avenir. Comment les choses se dérouleront et comment elles se finiront. Là réside le pouvoir des Nornes. Mais pour entreprendre de grandes choses, un homme se doit de croire dans le chemin qu’il sait être le sien. Peu importe où il conduit.
Ecoute.
L’âme de notre terre, l’essence de notre peuple. Témoignage des dieux et des héros de nos sagas.
Perçois et laisse toi bercer par cette intime conviction qui te pousse à agir. Il n’y a pas plus convainquant qu’un homme dont la conviction est plus solide que son bouclier.
- L’âme de la Suérie ne réside pas dans l’or, ni dans la douceur… Réð hann einn at þat | ____________ | Sa lance il fit vrombir,
| átján búum, | ____________ | Son bouclier il brandit,
| auð nam skipta,
| ____________ | Son cheval il poussa à la charge,
| öllum veita | ____________ | Avec son épée, il trancha. | meiðmar ok mösma,
| ____________ | Des guerres il déclencha alors,
| mara svangrifja; | ____________ | Rougissant les champs de bataille,
| hringum hreytti,
| ____________ | Il massacra bien des guerriers | hjó sundr baug. | ____________ | Et des terres il conquit. | ____________ | Óku ærir
| ____________ | Dix-huit halles
| úrgar brautir, | ____________ | Bientôt il s’appropria,
| kómu at höllu,
| ____________ | Une vaste richesse,
| þar er Hersir bjó, | ____________ | Qu’il partagea avec tous les siens, | mey átti hann
| ____________ | Des pierres des gemmes,
| mjófingraða, | ____________ | Des chevaux de races,
| hvíta ok horska,
| ____________ | Des anneaux il offrit, | hétu Erna. | ____________ | Et des bracelets il échangea. | |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Dim 12 Déc 2010 - 9:58 | |
| Assez discuté.
Ragnar sent l'impatience le gagner. Cet homme ne sait manifestement pas grand-chose de lui, sinon il ne demanderait pas si ses hommes croient en lui. Ceux qui le suivent depuis des années, cela fait fort longtemps qu'il a gagné leur confiance. Quand aux autres... il connaît sa réputation, et elle est plutôt flatteuse.
Maintenant, les longues discussions l'agacent, comme elles l'ont toujours fait.
Je ne marchande rien et ne négocie rien. Ce sont les autres qui viennent avec des propositions et des demandes, pas moi. Ceux qui me suivent savent qu'avec moi, ils trouveront l'audace, la force, la richesse, la gloire et une place au festin des braves. C'est ce que dit ma réputation et elle ne ment pas. Les gens feront leur choix à partir de ceci. Mais ils auront des questions, aussi. Ils ne me suivront pas aveuglément, qu'ils me fassent confiance ou non. Et c'est tant mieux. Je ne veux pas d'une armée d'imbéciles à la cervelle vide. Je veux qu'ils m'obéissent mais aussi qu'ils soient capables de réfléchir. Ils auront des questions et je devrai y répondre.
Quelle que soit ma conviction et quelle que soit la leur, il faudra parler. C'est une réalité à laquelle tu ne peux échapper, Einar fils de Thorolf. Je n'ai pas le pouvoir de gagner la loyauté des foules d'un seul regard.
Une pause, courte. La voix du jarl s'affermit encore, si c'était possible. Et ses paroles tranchent l'air comme une épée la chair.
Je vais faire ce que j'ai toujours tenté de faire. Je vais créer l'âtre le plus chaud et le plus lumineux pour que les meilleurs hommes viennent s'y réchauffer au cœur de l'hiver. Je vais nous créer un abri sûr, une Halle où se reposer. Et depuis cette halle, nous pourrons déferler, verser le sang et guerroyer. Nous aurons de l'or, des femmes, la gloire et, pour finir, une mort digne. Toi, comme les autres, doit prendre ta décision en sachant cela. Le reste n'est que bavardage inutile.
Pendant cette tirade, Ragnar s'est redressé pour se mettre debout. Il a cessé d'être un voyageur pour redevenir un seigneur de guerre.
Je ne te force pas à me suivre. Ton choix t'appartient. Mais tu dois le faire promptement car le jour du départ est proche, et avant cela, j'ai encore à faire à Yeravik. Je ne peux discuter éternellement avec toi.
Car le temps passe rapidement... J'ai promis de partir dans trois jours, et je tiens toujours mes promesses. Sans compter que dans quelques semaines, les cieux s'obscurciront et les flots se soulèveront... Alors, voyager sur mer sera inviter la mort... Même pour des Suéris. |
| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Mer 15 Déc 2010 - 23:03 | |
| Il n’entend rien… Il n’écoute même pas…
Un homme d’un nouvel âge… je ne peux rien lui révéler…
Einar demeure assis et lève les yeux vers Ragnar. Imperturbable, on pourrait croire que la réaction du jarl n’a aucune influence sur son attitude. Ce serait vrai, pour un spectateur extérieur, à un détail près: la tension de son regard s’est relâchée. Il ne cherche plus à jauger, à sonder. Il n’en a plus besoin.
- Le discours que tu viens de me tenir là, il ne t’aurait pas fallu plus pour me convaincre. Nous aurions déjà quitté cette grotte… Les plus simples aspirations d’un guerrier suéri, d’aussi loin que l’on s’en souvienne… Et c’est avec ces quelques mots que tu dois toucher les hommes lorsque tu prendras de nouveau la parole. Ceux qui y répondront seront les dignes fils de cette terre rude et ne se laisseront pas affaiblir.
Il n’y a pas besoin de plus. Pour toi, comme pour eux.
Quel dommage que tes paroles soient teintées à cet instant d’impatience et d’orgueil… Prononcées pour te défendre plutôt que pour convaincre et promettre…
Aucune agressivité, aucune arrogance dans ses propos. Einar parle librement devant le jarl. Conscient de ce qu’elles pourraient provoquer, il n’est pas homme à préserver les humeurs pour autant. C’est un homme franc qui dit ce qui doit selon lui l’être.
- Tu ne marchandes et ne négocie rien… toi qui t’apprêtais à le faire ici-même de manière inavouée ?
Ce sont les autres qui viennent avec des propositions et des demandes, pas toi… Toi qui viens quérir les fils de la Suérie pour renforcer ton domaine au sud et chercher une autre voie ?
Quelle que soit ta conviction et celle des gens qui te suivront, il faudra parler… Toi qui t’impatiente après de brefs échanges ? Qui vient de me dire que le reste n’est que bavardage inutile ?
Son regard s’est durci à mesure qu’il confronte Ragnar à ses erreurs. Pas par reproche. Il veut souligner l’importance de son message. Libre ensuite au jarl d’en tirer les conclusions qu’il souhaitera, pour suivre la voie que les Nornes ont choisie pour lui.
- Ne voilà que quelques incohérences qui viennent ternir un discours qui devrait être simple. Aussi simple que ce qui pousse un homme à prendre la mer et brandir l’épée…
Et si cet avis peut paraître sans importance aux yeux de certains, il s’avère que pour convaincre des centaines de personnes, il est bon de parvenir à en convaincre une.
C'était là tout l'enjeu de l'appel auquel tu as répondu en venant ici aujourd'hui... |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Le temps est venu... Sam 18 Déc 2010 - 13:22 | |
| L'impatience est remplacée par de la lassitude. Cet homme est en train de lui faire la morale, à lui qui s'est rendu célèbre pour son audace dans ses expéditions guerrières... Ce discours est presque une insulte à sa réputation, et pourtant, Ragnar n'éprouve pas un instant l'envie de sortir chercher son épée et de laver l'outrage. D'abord par respect des lois de l'hospitalité, qui évitent nombre de tueries lorsqu'elles sont respectées. Ceci aussi est l'esprit suéri. Ensuite parce qu'Einar et lui ne proviennent manifestement pas du même monde, et, bien que du même peuple, n'ont pas les mêmes normes en matière d'outrage.
C'est à ce moment que Ragnar prend réellement conscience du fossé qui sépare un jarl éduqué dans le but de devenir un seigneur de la guerre et de l'épée, et un guerrier solitaire.
Alors, comme lui, il dit ce qu'il a à dire et fait ce qu'il a à faire, sans se préoccuper des réactions qu'il pourrait déclencher.
Que sais-tu de la vie d'un jarl ? De la manière dont il convient de conduire les hommes ? Tu es en train de m'expliquer comment faire quelque chose que je fais naturellement depuis tout jeune. Je n'ai nul besoin de conseils en la matière, pas plus que toi sur la manière dont il convient de s'installer à l'extérieur pour se protéger des bêtes sauvages.
Une pause, courte.
Qu'on en finisse.
Je ne changerai pas ma manière de faire ou les raisons que j'ai de combattre pour gagner des allégeances, même si je pouvais ce faisant devenir souverain du monde entier. Quand à convaincre une personne, nous en reparlerons lorsque j'en aurais convaincu des centaines. De plus... tu me parles d'incohérence ? Toi qui admets toi-même que mon discours te plaît et te convainc, mais fais des mines comme une pucelle effarouchée pour la simple raison que tu n'aimes pas mon ton ?
Le vent du nord dépouille les apparences pour ne laisser que la signification. Les jolis mots n'ont aucun autre but que de caresser les oreilles. Se pourrait-il que tu ne l'aies pas compris ?
Tu es un homme libre, Einar, tu es libre de tes choix. Je ne m'obstinerai pas à tenter de te convaincre. Fais ce que tu souhaites, rejoins-moi et la porte est ouverte, dans le cas contraire je ferai ce que j'ai à faire sans ton aide. Je ne discutaillerai pas des jours avec toi... je suis Ragnar Herteitr. Ma réputation et mes actes parlent pour moi.
Sur ces dernières paroles quelque peu théâtrales, Ragnar se lève et se dirige vers la sortie de la grotte, saisissant son épée au passage. Ses doigts semblent, non pas se serrer, mais s'enrouler autour de la garde de Lumière-d'Acier. Étrange sensation qui saisit le jarl aux tripes.
Décision.
Sans empressement inutile mais sans un regard en arrière, Ragnar enfourche son cheval. |
| | | Einar Thorolfsson
Messages : 68
| Sujet: Re: Le temps est venu... Mer 22 Déc 2010 - 22:52 | |
| Einar ne prend pas la peine de répondre à Ragnar. Autant parler à un mur. Il observe le jarl en silence, le laissant quitter la caverne sur un échec dont il n’a même pas conscience. Les deux hommes ont pris leur décision. Le guerrier-fauve s’est finalement trompé. Quelque chose lui a échappé, il a mal interprété. Ca ne peut pas être celui qu’il attendait.
Ce que tu fais naturellement depuis tout jeune, tu ne l’as point fait ici. Un homme doit-il croire uniquement les histoires qui parviennent jusqu’à lui lorsque ce dont il est témoin n’égale pas les récits ?
Une réputation n’est pas faite pour compenser un manque, lorsque c’est toi, l’homme, qui devait convaincre à cette heure. Si je ne peux avoir foi en toi, comment pourrais-je te suivre ?
Qu’on soit esclave, homme libre, jarl ou même roi, nul ne peut prétendre n’avoir jamais besoin de conseils. Tu prétends vouloir des hommes capables de réfléchir, mais encore une fois, tes actes vont à l’encontre de ce que tu dis… A quoi bon réfléchir si l’orgueil prévaut sur le reste et exige le silence?
Seul dans la pénombre de la caverne, les volutes de fumée se sont dissipées et Einar hume les dernières senteurs qui s’élèvent du vase qu’il tient toujours entre ses mains.
Il n’a même pas été affecté… preuve que son esprit est déjà fermé et qu’il appartient au nouvel âge…
Il dépose soigneusement la vase sur le sol rocailleux. L’homme se redresse, empoigne outre et fourrures dont il se couvre le torse. Gagnant le fond de la cavité naturelle, son regard se porte sur les deux haches qui reposent contre la pierre, font danser les flammes dans les entrelacs froids de leur lame. Ses mains se referment sur chacun des manches taillés dans le bois de la Suérie. A leur contact, il sent. Son cœur battre, pulser jusque l’acier. Puis il sort, marche vers la lumière sans un regard pour ce qui fut sa demeure un temps. Il avait déjà choisi de partir et n’a besoin que de ce qu’il porte sur lui pour arpenter cette terre et les autres. Le temps s’écoule, les cycles passent, et en voici un nouveau qui débute pour lui. Pas celui auquel il s’attendait, mais qu’à cela ne tienne. Le monde est vaste et la rencontre d’aujourd’hui lui aura appris une chose.
Le vent cinglant vient frapper son visage, mordre sa peau, tel un vieux rituel. Einar lève un instant les yeux au ciel, scrute cette immensité avant de bientôt partir en petites foulées en direction des bois, rejoint prestement par son vieux compagnon aux prunelles ambrées. |
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