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| Saisir le doigt, remonter à la tête | |
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Guilhem de Cîmerouge Capitaine des Gardiens de la Reine
Messages : 35
| Sujet: Saisir le doigt, remonter à la tête Mer 15 Aoû 2018 - 16:23 | |
| Falyse, Palais royal Dans les profondeurs du palais... 15ème jour de la Tour (268ème jour) Heure du Luth (vers 10 heures du matin) Dans tous les palais, on trouvait des souterrains. Leurs usages étaient multiples : stocker des provisions, enfermer des prisonniers, servir d'issues secrètes, permettre aux serviteurs de circuler plus facilement... Et, dans ce cas précis, à Falyse, sous le palais royal, il y avait un lieu spécialement dédié à extorquer des informations à des gens qui, le plus souvent, n'avaient aucune envie de les fournir. Ce lieu avait abondamment servi à l'époque de Castel-Gaillard et dans les années qui avaient suivi. Depuis, c'était plus rare. Mais là, ce jour-ci, on pouvait trouver en cet endroit un jeune homme de quatorze ans, anciennement serviteur au palais et maintenant, cadavre en sursis, attaché à un chevalet. Il avait déjà la mâchoire fracturée et perdu quelques-unes de ses dents. Pour le moment, Guilhem entendait les ahanements du tortionnaire et les chocs sourds à chaque coup de poing.
Juste à l'extérieur de la salle, Guilhem, lui, dégustait un breuvage au safran qui coûtait à lui seul le prix d'un poulet bien gras.
Les privilèges de la noblesse.
Il prit le temps de terminer sa tasse avant de décider que l'autre en avait assez fait. Évidemment, tabasser les gens relevait d'un manque flagrant d'imagination. Quand on commençait à menacer de leur sectionner les testicules, là, c'était autre chose. En plus, il existait, avait relevé Guilhem, un phénomène d'accoutumance à la douleur. Après s'être fait cogner durant deux heures, les gens étaient plus résistants. Voilà pourquoi Guilhem était partisan de donner aux prisonniers une bonne nuit de sommeil dans des conditions inconfortables, mais pas trop. Ils en profitaient pour prendre le temps de réfléchir à leur avenir. Le lendemain matin, on venait, souriant, on posait une question. S'il y avait mensonge, ou hésitation, ou refus de répondre, on arrachait un œil, d'entrée de jeu. Pour tout dire, ce genre de tâches faisait partie de celles qu'il déléguait volontiers. Mais bon...
Pas de victoire sans sacrifices.
Bon. Il posa sa tasse et entra dans la salle. C'était... plutôt plus propre qu'il ne s'y était attendu. Le gamin avait des contusions, quelques traces de brûlures. Le fer rouge, un classique inoxydable. Mais, pour autant que put en juger Cîmerouge, il avait encore toute sa peau, et le bon nombre de doigts et d'orteils.
SBLAF !
Un gros coup de poing du tortionnaire fit valdinguer la tête du prisonnier de côté.
Assez.
L'homme se figea alors qu'il armait un autre coup de poing. La figure de Guilhem afficha une expression de dégoût en voyant les dents par terre.
Sors.
Le tortionnaire s'exécuta immédiatement, laissant Guilhem seul avec le jeune espion. C'était évidemment un schéma classique : un qui cogne et l'autre qui sourit. Mais ça marchait, et ceux même sur ceux qui connaissaient les règles de ce jeu. Quant au gamin attaché en face du maître espion, il pissait encore du lait, et il aurait été étonnant que ce soit son cas.
Guilhem retourna une chaise et s'assit face au captif. Ils s'observèrent longtemps, en silence, chacun attendant que l'autre prenne la parole. Évidemment, ce fut le plus patient qui gagna.
Vous allez me tuer, hein ?
La question avait été posée d'un ton fataliste par le prisonnier, mais Guilhem avait eu le temps de voir la lueur d'espoir dans son regard.
Gagné.
Qu'on ne laisse aucune chance de survie à quelqu'un, et il combattait comme un fauve enragé. Qu'on lui laisse une chance sur cent, ou même une chance sur mille, et il était prêt à tout pour survivre.
Tu étais en train d'espionner la Reine, Pip. Tu t'attendais à quoi ? Des félicitations officielles ? Évidemment que la Reine veut ta peau. Oh, elle reconnaît que tu t'es bien débrouillé. Personnellement, j'admire ça. Le problème, tu vois, c'est qu'elle n'aime pas du tout qu'on espionne ses conversations.
L'enfant sursauta en se faisant appeler par son surnom, mais Guilhem n'en tint pas compte. Il n'aurait eu qu'à changer de métier s'il n'avait pas été capable de dévoiler l'identité d'un gosse du palais.
Donc, son point de vue, c'est que ce qui va dépendre des informations que tu pourras nous communiquer, c'est le degré de confort de ta mort. Après, note bien, elle ne m'a pas donné d'ordre strict. Ce qui me donne une certaine... liberté.
Le gamin cracha un filet de sang et de bave mêlés.
Vous mentez.
Guilhem soupira.
Ecoute-moi, Pip. Ce que tu as subi, là, ce n'est rien, rien du tout. Jamais personne ne tient sous la torture. Jamais. Donc je n'ai pas besoin de raconter des mensonges à un gosse pour entendre ce que je veux entendre. Tout ce que j'ai à faire, c'est attacher un nœud coulant autour d'une de tes boules, là.
Il montra d'un doigt négligent l'objet du délit.
Ensuite, on fait passer une corde dans une poulie au plafond. De l'autre côté, on accroche un très gros seau, qu'on remplit progressivement d'eau. A un moment, évidemment, la couille s'arrache. Mais surtout, tu as le temps de bien comprendre ta douleur, et d'en savourer toutes les étapes. Les survivants disent que c'est juste... inimaginable. Et ils parlent, je te le garantis.
Guilhem avait appuyé très légèrement sur le terme "survivant". Ça ne coûtait rien.
Donc non, je n'ai pas besoin de te faire de fausses promesses pour obtenir les informations que je veux.
Le silence s'étira, et Guilhem ne fit rien pour y mettre fin. La plupart des gens craignaient le silence, ils se sentaient obligés d'y mettre des paroles.
Alors pourquoi ? fit le gosse d'une petite voix.
Guilhem ne répondit pas tout de suite.
Pip, l'idée du pavillon pour écouter... c'était toi ? demanda-t-il enfin.
Un instant, la peur et la fierté se livrèrent combat sur le visage du garçon. Ce fut finalement la fierté qui l'emporta.
Oui, c'est moi qui ai eu l'idée. Mais c'est...
Il s'interrompit. Guilhem plissa les yeux.
Quelqu'un d'autre te l'a donné, c'est ça ? Un riche, peut-être même un noble, qui est resté le cul dans des coussins moelleux pendant que tu prenais tous les risques ? J'ai connu ça. Combien il te payait ?
Trois eirals d'argent pour chaque information. Ça pouvait monter à deux eirals d'or si je ramenais une bonne information.
Et ça t'est déjà arrivé de ramener de "bonnes informations" ?
Guilhem discutait, à l'aise, comme s'ils étaient tous deux attables dans une auberge. Il évitait soigneusement tous les sujets qui pourraient faire se refermer son interlocuteur. Cela viendrait en son temps. Pour l'heure, il avait créé une relation avec le prisonnier, c'était plus qu'il n'en fallait.
Oui. J'ai entendu la discussion entre la Reine, sa mère, et le comte de Kassel et son fils. Et aussi... j'ai assisté à la conversation entre la Reine et Aldric. Après la partie de chasse où un ours a failli la tuer. Elle disait qu'elle détestait être prise pour une idiote. Et Aldric disait qu'il avait une fois essayé de la tuer...
Cette phrase était presque une interrogation.
Pas grand-chose de grave. La conversation entre les deux Higden et les deux Kassel, tout le monde se doute de son objet : un comte propose son fils en mariage, et la Reine dit qu'elle va réfléchir. Qu'on entende parler des états d'âme de la Reine, c'est un peu plus ennuyeux, mais loin d'être dramatique. Non, ce qui aurait pu être réellement grave, c'est si ce gosse avait ramené à je-ne-sais-qui des informations concernant le projet avec le Slianathaír.
En attendant, le gosse lui avait lui-même fourni l'argument pour le convaincre de parler.
Oui, Aldric a effectivement déjà combattu contre la Reine. Il était envoyé pour la tuer.
Et ? demanda avidement le gamin.
Guilhem détourna un instant les yeux. Ça devenait vraiment trop facile. C'en était angoissant.
Et, il a été capturé. Épargné. Il a juré fidélité à notre Reine. Et, comme tu peux le constater, il la sert avec loyauté et efficacité depuis toutes ces années.
Pip déglutit.
La Reine... pourrait me pardonner ?
La Reine est une stratège. Elle pèse le pour et le contre. Si tu es une épine dans ton flanc, elle t'arrache. Mais si tu lui es utile... Alors on peut la convaincre, oui. Mais il me faut quelque chose.
Quoi ?
Le nom de la personne qui t'a envoyé.
L'adolescent demeura silencieux, ses lèvres bougeant sans bruit.
Écoute, fit Guilhem en se penchant en avant, tu dois m'aider à t'aider.
Et la Reine ne va pas me tuer ?
Ne pas trop promettre, il trouverait ça louche.
Écoute, à ce niveau-là, la Reine a tendance à suivre mes conseils. Voilà comment je vois les choses. Dans ma main droite...
Il souleva la main pour appuyer son propos.
... j'ai un morveux qui pisse encore du lait, qui s'est planqué dans les buissons pour écouter les potins de la cour. Ce qui, malheureusement, s'appelle de l'espionnage. Donc je suis tenté de m'occuper de cette main-là. Mais, tu vois, si dans ma main gauche, je venais à découvrir, oh, je ne sais pas, un chef de groupe criminel, ou un marchand, ou un noble, ou que sais-je encore... ben il se pourrait bien que j'oublie complètement ma main droite.
Le gamin le regarda, avec les yeux ronds de qui n'osait pas croire à sa chance.
Je te ferais bien un dessin, mais j'ai les deux mains prises, ajouta Guilhem, pince-sans-rire.
Enfin, il se décida.
D'accord. Je te crois. C'est Herulf Knutsson.
Le marchand d'esclaves ?
Le gamin hocha la tête.
Intéressant... murmura Cîmerouge.
Il se détourna pour sortir de la pièce.
Hé ! Vous parlerez à la reine ? l'interpella le garçon dans son dos.
Cîmerouge s'arrêta et hocha la tête.
Je te le promets, déclara-t-il doucement, sans le regarder.
Une fois sorti, il donna un ordre pour qu'on relâche le prisonnier et le mette au secret dans une cellule. Le temps qu'il éclaircisse cette histoire et soit bien sûr que le gamin n'avait pas menti.
Une fois seul, il soupira. Il n'avait quasiment pas menti au garçon. Le meilleur mensonge était encore une vérité formulée différemment. Et il pensait tout ce qu'il disait. Peut-être que c'était un gamin débrouillard qui pouvait être retourné pour le plus grand profit des intérêts de la Couronne. Peut-être que, comme Aldric, un ancien ennemi pouvait se révéler un atout majeur. Peut-être que ce qu'avait entendu ou pensé entendre le jeune Pip était anodin. Peut-être qu'il pourrait se laisser convaincre de tout oublier et de ne jamais rien répéter, jamais.
Mais peut-être pas. |
| | | Un marchand
Messages : 7
| Sujet: Re: Saisir le doigt, remonter à la tête Jeu 16 Aoû 2018 - 10:06 | |
| Falyse, quartier des marchands 15ème jour de la Tour (268ème jour) Heure du Soleil (vers midi) Herulf sursauta, réveillé brutalement par il ne savait quoi. Ca venait d'en bas. Hérulf habitait une de ces demeures de marchands aisés qu'on trouvait en nombre dans le Haut-Quartier, où le rez-de-chaussée servait à l'activité commerciale, et l'étage, à l'habitation. Évidemment, vu la nature du commerce de Hérulf, il aurait été inimaginable de stocker la marchandise au rez-de-chaussée. Du coup, il avait une maison un peu plus petite où il prenait un peu ses aises, et tout le monde était content.
Bon. Les éclats de voix qu'il avait cru entendre s'étaient calmés. Ça devait être l'intendant qui congédiait un importun. Il savait qu'on ne dérangeait pas le maître pendant sa sieste. Mais il était tout de même un peu nerveux. Ces histoires d'espionnage... pas bon. Vraiment pas bon, d'espionner dans le Palais. Mais bon. On lui avait bien expliqué que tout le monde le faisait. Et que lui, Hérulf, comparativement, ne faisait pas grand-chose de mal. Pour être franc, il ne le croyait qu'à moitié.
Enfin bon. Pas comme si j'avais le choix.
Mais ces histoires le travaillaient suffisamment pour qu'il tende une oreille attentive à ce qui se passait. Quand il entendit des pas précipités monter l'escalier, son sang se glaça.
Ils sont là pour moi.
Hérulf était un quinquagénaire avec un peu de ventre, qui s'était bien laissé aller au fil des années. Mais il avait encore pas mal de muscles et de réflexes sous la graisse. Il bondit de son lit juste au moment où la porte s'ouvrait dans un grand fracas. Deux hommes, des colosses, firent irruption dans sa chambre, l'arme au clair. Hérulf se figea sur place. C'était ce qu'on aurait pu décrire comme "un bon Suéri dur à cuire", avec la tête de l'emploi : les yeux bleus, cheveux blonds, bon, d'accord, un peu gris, barbe embroussaillée. Mais il savait aussi ce que pouvait faire une lame bien affûtée à l'abdomen d'un Suéri dur à cuire.
La troisième silhouette qui entra dans la chambre était la plus terrifiante de toutes. Pourtant, elle arborait nettement moins de muscles et aucune arme. Simplement un sourire trompeusement aimable.
Ah. Hérulf Knutsson, c'est ça ?
Le marchand soupira.
Je suis foutu.
Mais, parce qu'il n'y avait rien d'autre qu'il puisse faire, Hérulf joua la comédie, même tout en sachant parfaitement où ça l'amènerait.
Dans les cachots, et à une mort atroce.
Seigneur de Cîmerouge. Que puis-je pour vous ?
Ah. Ça fait du bien d'être reconnu d'un seul coup d’œil. Hérulf Knutsson, c'est ça ?
Lui-même.
Vous pouvez peut-être m'aider. Asseyez-vous ! Asseyez-vous ! Vous êtes chez vous, après tout.
Malgré son sourire, les yeux de Guilhem de Cïmerouge restèrent froids, et quelque chose dans son attitude suggérait que, s'il ne s'asseyait pas gentiment comme suggéré, il se retrouverait bientôt privé des parties du corps habituellement les plus essentielles à la station debout. Hérulf obtempéra. En fait, plutôt qu'un effort délibéré pour s'asseoir, ce furent ses genoux qui le trahirent. Il entendit son lit émettre un craquement de mauvais augure, mais, à cet instant, c'était bien le cadet de ses soucis.
Que puis-je faire pour vous ?
Guilhem ouvrit les bras en une expression de bienvenue.
Figurez-vous, expliqua-t-il joyeusement, qu'une drôle d'histoire est revenu à nos oreilles. Une histoire d'espionnage, voire de complot. Je me suis dit alors qu'un marchand aussi illustre que vous n'était pas du genre à tremper dans ce genre d'histoires, donc j'ai voulu éclaircir ce point en privé, histoire d'éviter le scandale, ou... d'autres désagréments.
Tout à coup, le sourire de Guilhem s'était resserré. Disons qu'il était toujours présent, mais c'était plus le genre de sourire qu'on s'attend à voir arriver à toute vitesse vers soi lorsqu'on vient de tomber à la mer, sourire en général surmonté d'un aileron.
Donc si vous m'expliquiez d'où ont pu venir ces rumeurs vous associant à des ennemis de la Couronne.
Le marchand n'était pas un lâche. Mais les termes "vous associant" et "ennemis de la Couronne", dans la même phrase, eurent un effet dévastateur. Une sueur froide commença à dégouliner sur son front.
Je vous jure que... je vous assure que... je ne pensais pas que ce que je faisais tombait entre de mauvaises mains. Je n'ai jamais cru travailler avec des ennemis de la Couronne. Je faisais mon rapport au baron Olaf Ragnarsson. Il disait qu'il voulait simplement se tenir au courant de ce qui se passait à la cour, que c'était important. Je n'ai pas vu le mal.
Vous n'avez pas non plus passé beaucoup de temps à y réfléchir, constata Guilhem d'un ton froid. Je suppose que le baron Olaf payait bien ? Nous parlons bien du même ? Un vassal du seigneur de Kassel, qui a son domaine près de Borselburg ?
Hérulf hocha frénétiquement la tête.
Et se tenir au courant, qu'est-ce que ça impliquait ? Seulement les derniers potins ? Ou ça allait plus loin ?
Hérulf allait mentir, mais à ce moment, son interlocuteur lui lança un regard d'avertissement. En gros, c'était un regard qui disait : "Attention, je connais déjà toute ta petite vie minable, c'est simplement par respect des convenances que je te pose la question." Les épaules de Hérulf s'affaissèrent.
Non, j'avais quelques informateurs qui travaillaient pour moi. Pas beaucoup, hein, et pas pour des secrets d'Etat. Simplement pour les potins de la cour.
Guilhem gifla l'homme. Ce n'était pas une grosse gifle, mais le geste suffit à finir de faire perdre tous ses moyens à Hérulf.
Mensonge.
Je... je...
Oh, cessez de remuer les lèvres sans rien dire comme un poisson hors de l'eau, ordonna le maître espion avec un clappement de langue agacé. Maintenant, voilà ce qui va se passer. Nous en savons déjà beaucoup. Vous allez nous aider à combler les blancs. Et si vous mentez, nous le saurons. Alors qui travaille pour vous ?
Hérulf n'envisagea même pas un instant de ne pas répondre.
Euh... alors il y a Pip. Un gamin qui travaille dans les jardins. Et Maria, une femme de chambre. Personne d'autre, je vous le jure.
Et je dois vous croire, parce que vous êtes honnête et honorable, c'est ça ?
...
Bon, soupira Cîmerouge, Nous allons vérifier tout ça. Vous aurez de mes nouvelles. N'essayez même pas de quitter la ville, sinon il n'y aura aucun endroit au monde où vous pourrez vous cacher.
Les derniers mots avaient été plus sifflés que prononcés.
J'ai tout dit, je vous le jure. Je n'ai jamais voulu trahir qui que ce soit. Je suis un loyal sujet de la Reine. Je... Le jarl Olaf. Il a pris ma mère en otage.
L'expression de Guilhem s'adoucit.
En otage ?
Hérulf soupira. Autant tout lâcher, maintenant.
Le ja... le baron a... quelques problèmes, depuis qu'un de ses hommes a couché avec sa femme. Maintenant, il soupçonne tout et tout le monde. Il a enfermé sa femme dans sa demeure, elle n'en sort plus. Et il prend des otages parmi ses hommes. Pour s'assurer de leur loyauté.
Le regard de Cîmerouge demeura inexpressif.
Un dénommé Eivind, c'est ça, celui qui a couché avec sa femme ? Mais je ne vois pas le rapport, tu n'es pas de ses hommes.
Mais je suis de ses sujets. Il considère l'obligation de loyauté de la même manière.
Et là, Hérulf entrevit une lueur d'espoir. Un moyen de se sortir de cette situation.
Je n'avais pas le choix ! Pas le choix ! C'est lui qui m'a forcé !
Une grimace fugitive de dégoût passa sur le visage de Cîmerouge. Mais ce fut si fugace qu'un instant après, Hérulf se dit qu'il l'avait rêvé. Guilhem se leva, et commença à arpenter la pièce. Cela dura quelques instants. Après quoi, il s'arrêta.
Vous savez, je comprends. Un homme doit tout faire pour protéger sa famille et s'en occuper au mieux. Vous étiez face à un choix impossible. Il n'y avait pas de bonne solution.
Hérulf hocha frénétiquement la tête, l'espoir renaissant.
En principe, je dois te faire torturer. Mais... tu as été coopératif, et je serais enclin à m'en dispenser, si tu m'as tout dit, sans mentir et sans rien omettre. Alors, avant que je reparte, est-ce qu'il y a quelque chose, quoi que ce soit, que tu veuilles me dire ?
Non, seigneur. Je vous ai tout dit. Tout.
Guilhem de Cîmerouge hocha la tête, lentement.
Fort bien. Alors, est-ce que ça te dirait de travailler pour moi ?
L'autre le regarda avec des yeux ronds.
Vraiment ? Mais...
Le maître espion lui lança un regard d'avertissement.
Oh, oui, d'accord. Mais... ça consisterait en quoi ? C'est que ma mère...[color][/Khaki]
Tu continueras à donner des informations à ton seigneur, coupa Guilhem. Seulement, tu donneras celles que je te dirai de donner. Et tu continueras à développer ton réseau. Sauf que tu me tiendras au courant de chacun de ses membres et de tout ce que tu sais sur eux. En échange, nous te laisserons tranquille. En fait...
Il lui tapota amicalement l'épaule.
Tes affaires pourraient bien prospérer bien plus que tu ne l'imagines. La Maison Higden est riche, et sait être généreuse. Qu'est-ce que tu en dis ?
Je... j'en dis que... merci, seigneur. Mais...
Oui ?
Je ferai de mon mieux... mais avec ma mère otage...
Guilhem acquiesça.
Oui, c'est un problème. Je verrai si je peux la faire échapper, mais ça devra avoir l'air de n'avoir rien à voir avec toi. C'est compliqué, je dois y réfléchir. Fais ce que tu peux, je comprendrai. Au pire, une fois qu'elle sera morte, la question ne se posera plus.
Guilhem fronça les sourcils devant l'expression de son interlocuteur.
Ne me regarde pas comme ça. Je ne fais pas assassiner des vieilles femmes. Je dis juste qu'un jour ou l'autre, les vieilles femmes meurent. Je ne ferai rien contre elle, je te le promets. Par contre, du coup, je veux te récompenser.
Me récompenser, seigneur ? interrogea un Hérulf stupéfait.
Guilhem hocha la tête.
Pour ta loyauté envers notre souveraine. Et je viens de trouver une récompense appropriée. Ton fils aîné va reprendre l'affaire ?
Oui, seigneur.
Donc il doit toujours être par monts et par vaux. Et ton cadet ? Jorn ? Celui qui veut devenir tailleur ?
Comment vous le savez ?
Les yeux de Hérulf lui sortaient quasiment des orbites.
Je suis un espion. Je sais des trucs. C'est mon métier. Alors écoute, voici ce qui va se passer : ton fils cadet recevra un bon apprentissage, avec les meilleurs. Les tailleurs du palais. Il vivra dans l'enceinte du palais et son existence y sera des plus agréable, puisque tu es un loyal sujet de la Reine.
Il y eut un silence, le temps que Hérulf assimile ce que venait de dire le maître espion.
C'est d'accord, fit-il finalement, vaincu.
Guilhem tendit une main, que Hérulf serra. Il lui fit un sourire amical.
Je pense que nous avons un marché. |
| | | Guilhem de Cîmerouge Capitaine des Gardiens de la Reine
Messages : 35
| Sujet: Re: Saisir le doigt, remonter à la tête Jeu 16 Aoû 2018 - 23:36 | |
| Falyse, souterrains du Palais 16ème jour de la Tour (269ème jour) An 165 Début de l'heure de l'Arbre (vers 5 heures du matin) Bon. Bon, bon, bon, bon, bon.
Guilhem était assez satisfait de lui. Il avait travaillé rapidement et efficacement sur ce coup-là. Et, au-delà de la satisfaction professionnelle, il y avait un vrai plaisir à faire ce genre de travail. Évoluer dans un dédale de mensonges et trouver le bon virage. Laisser croire à l'ennemi qu'il le tenait à la gorge avant de le duper et de l'abattre. Utiliser son jeune âge pour faire baisser la garde ou, au contraire, sa réputation d'omniscience pour voir ses interlocuteurs lui avouer tout ce qu'il ne savait pas, convaincus qu'ils étaient qu'il était déjà au courant et qu'ils auraient de gros ennuis s'ils gardaient quoi que ce soit par-devers eux. Le plus beau, c'était que, du coup, cette réputation devenait justifiée. Une fois que tout le monde vous avouait à peu près tout de manière préventive, vous n'étiez plus très loin d'être à hauteur de votre réputation.
Il n'avait pas chômé. Une fois de retour au palais, il avait mis la main sur Maria, la femme de chambre que Hérulf avait recrutée. C'était une jouvencelle de même pas vingt ans, qui n'avait joué ce jeu que pour se donner un peu d'importance, et s'était effondrée sans même qu'on ait besoin de porter le petit doigt sur elle. Ç’avait franchement été assez pathétique. Guilhem lui avait offert une échappatoire, la même que Hérulf : travailler pour lui au lieu de son employeur, et donner à celui-ci les informations qui arrangeaient Guilhem. De plus, ainsi, il s'assurait que personne ne le trompe : Maria ne savait pas qu'il avait retourné Hérulf, qui ne savait pas qu'il avait retourné Maria. Vérifier que les deux lui disaient bien la même chose permettrait de s'assurer relativement sûrement de leur honnêteté. Et maintenant, ce minuscule réseau se développerait pour le plus grand bénéfice de la Couronne.
Maintenant, Guilhem dégustait une bière légère, assis à une table dans une salle souterraine obscure éclairée chichement par quelques torches crachotantes. Mais, malgré les apparences, il était en plein travail, même s'il ne montrait rien de la tension qui l'habitait.
Trois autres personnes se tenaient à la même table. L'une s'appelait Svarts, tout du moins c'était le nom qu'on lui donnait dans ce code. C'était une femme entre deux âges, aux airs de gentille mère de famille, qui dissimulait un talent d'apothicaire hors pair. Evidemment, dans ce genre de travail, on prescrivait plus souvent des abortifs et des poisons que des remèdes contre le mal de tête. Certains guérisseurs auraient pu y voir une violation de leur vocation. Le point de vue de Guilhem à ce sujet comme de Svarts était, en l'espèce, que le devoir de guérir supposait que la personne qu'on guérissait apporte quelque chose de positif au monde. Parfois, le meilleur moyen de sauver plusieurs vies était de supprimer un seul et unique salopard vicieux et déloyal.
L'autre était un jeune adolescent au visage allongé et aux grands yeux bleus naïfs. On l'appelait juste Guy, et il était en passe de terminer sa formation sous la houlette de Svarts. Guilhem tentait tant bien que mal de créer un corps d'espions doués, correctement formés, structurés, et partageant une manière de travailler, pour plus d'efficacité. Evidemment, il n'y avait par définition rien d'officiel à cela. Pas de diplôme, pas de chef-d’œuvre à présenter. Mais une confiance qu'on accordait pour des missions de plus en plus délicates. Ce n'était pas qu'une question de loyauté. En fait, si la loyauté de Guy ou de Svarts avait était un tant soit peu douteuse, cette personne ne serait pas assise à cette table. Non, c'était aussi et surtout une question de compétences, de sang-froid.
Le dernier était Pip, qui se remettait encore de ses émotions, et engloutissait sa bière comme s'il n'avait pas été abreuvé depuis toute une journée. Ce qui, en y réfléchissant bien, était hautement plausible. Lui, il était là pour une autre raison. Ses yeux examinaient tout avec l'émerveillement d'un gamin qui se retrouve enfin à vivre son rêve. Il avait une jambe bandée et maintenue dans une attelle.
Vous partez en Acrogée, déclara Guilhem.
Personne ne posa de question, ce que Guilhem porta à leur crédit. Un bon espion, ça ne posait pas trop de questions. Ça écoutait les réponses. Voire même les questions des autres. Parfois, savoir ce qu'autrui désirait apprendre était des plus utile.
Je vous conseille de commencer à Borselburg, et sur les terres du baron Olaf Ragnarsson. C'est un homme... un peu particulier. Disons qu'un de ses hommes, un dénommé Eivind, a couché avec sa femme. Depuis, il est devenu paranoïaque, il a tendance à prendre des otages y compris chez ses propres hommes. Peu aimé, mais craint. Je le soupçonne d'avoir quelques soucis de santé mentale. C'est aussi un vassal du seigneur Henri de Kassel, avec qui il est notoirement en froid. De manière générale, il ne s'entend pas avec grand-monde. Nous avons des raisons de penser qu'il tente d'espionner la Reine et son entourage. Mais je ne pense pas qu'il soit le chef du réseau. Trouver de qui il reçoit ses ordres, en-dehors de son suzerain officiel, j'entends, serait des plus utiles. Ça, c'est votre première tâche.
Il prit un moment pour balayer la table du regard, afin de s'assurer que tout le monde l'avait bien compris. Le regard de Pip exprimait l'avidité, celui de Svarts, un intérêt poli, et celui de Guy, une indifférence affectée. Il poursuivit son explication.
Votre deuxième tâche, c'est de prendre la mesure de ce qui se passe vraiment dans la région. On parle d'attaque de brigands sur les convois de minerais des mines de Kassel. Les rapports sont très divergents : certains disent que rien n'a changé, d'autres rapportent une augmentation inquiétante des embuscades et autres incidents. Il faut donc que nous sachions ce qu'il en est : y a-t-il, oui ou non, plus d'attaques sur les convois ? Si oui, pourquoi ? J'insiste sur un point : votre mission n'est pas de régler le problème, simplement de nous permettre de mieux le discerner. Compris ?
Un hochement de tête collectif lui répondit. Bien sûr, comme à son habitude, Guilhem n'avait pas donné toutes les informations. Il n'aurait pas été lui-même si ça avait été le cas. La question qu'il ne posa pas, mais qu'il gardait en réserve, était la suivante : "S'il n'y a pas plus d'attaques de brigands, pourquoi le comte de Kassel recrute-t-il si massivement des hommes ? Que compte-t-il en faire ?". Mais ça, c'était une question qui viendrait plus tard. La menace d'un nouveau putsch ne pouvait, bien entendu, pas être écartée. Mais un putsch ne se faisait pas seul, et, globalement, la plupart des nobles voulaient la paix. De plus, l'étoile de Kassel montait rapidement grâce à leur richesse soudaine. Un autre mystère à éclaircir, mais ce serait pour un autre jour. Guilhem ne voyait pas quel intérêt ils auraient à forcer les évènements, mais bon... beaucoup péchaient par excès d'ambition. Quoiqu'il en soit, quand des hommes en armes se regroupaient en un même endroit, il était logique que le maître espion du Royaume désire apprendre pourquoi et dans quelles conditions.
Guy. Je crois que tu as du travail.
Le jeune homme acquiesça, se leva, et disparut dans les ombres mouvantes.
Le troisième point qui nous préoccupe est le jeune Pip, ici présent. Il est ici suite à... une erreur de parcours. Et, disons qu'il a dû faire un choix de vie ou de mort.
L'action fut immédiate. Une main émergea des ténèbres, saisissant les cheveux de Pip, et les torches jetèrent quelques reflets rougeoyants sur la lame qui tranchait sa gorge. Le sang jaillit à gros bouillons, et éclaboussa Guilhem, qui ne cilla pas, ne bougea pas d'un pouce. Pip convulsa, une seule et unique fois, avant de s'effondrer sur la table. Le maître espion releva les yeux sur Guy qui restait, immobile, attendant le verdict.
Bien, fit Guilhem avec un léger sourire. Aucune hésitation, ce qui est tout à ton honneur. Et un bon geste. La prochaine fois, pense juste à mieux ralentir la chute du corps. C'est typiquement le bruit qui rameute des gardes armés s'ils sont déjà un peu nerveux. Je disais donc... rassieds-toi, Guy. Beau travail.
Il croisa les mains.
Ceci est important, et le travail doit vraiment être fait bien. Le temps est sans importance, il n'y a aucune espèce d'urgence. Mais il y a, sur les terres du baron Olaf Ragnarsson, une vieille femme, la mère du marchand d'esclaves nommé Hérulf Knutsson. C'est un marchand qui passe son temps à racheter les esclaves issus des raids suéris, pour les revendre à l'intérieur des terres. Sa mère s'appelle Hilda, et loge dans la demeure du baron. En fait, elle y est otage. Vu son âge, sa santé est probablement fragile, et si une mauvaise fièvre l'emportait, cela servirait grandement nos intérêts. Cependant, ce ne doit pas être fait trop vite. La fin de l'hiver serait idéale. L'autre point, absolument primordial, c'est de ne pas bâcler ce travail. Cela doit sembler accidentel. Il ne doit y avoir aucun doute là-dessus. On ne doit pas pouvoir penser que c'est un assassinat. Je suppose qu'il existe des poisons appropriés ?
Lentement, Svarts hocha la tête.
Parfait. Tu t'en occuperas. Toi, Svarts, pas le garçon. Lui, sur cette mission, il regarde et il apprend. Des questions ?
Un autre hochement de tête, négatif celui-ci.
Pour l'ensemble de ces missions, prenez votre temps. Faites les choses lentement, mais sûrement.
Une fois seul, Guilhem ferma les yeux. Les ténèbres avaient quelque chose de... reposant. Il était en paix avec sa conscience. Il profitait d'un moment de calme, de sérénité.
Pour le plus grand bien du Royaume.
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