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 L'Académie de Guerre

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Roland de Peyrefendre
Général protecteur de Rossburh

Roland de Peyrefendre


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MessageSujet: L'Académie de Guerre   L'Académie de Guerre Icon_minitimeDim 5 Oct 2014 - 18:52

[d'ici]

Les pas de la souveraine et du Général résonnent dans la grande salle du Conseil. Chaque année, lorsque les grands du Royaume s'y réunissent, elle résonne d'éclats de voix, de rires, de jurons et de menaces. Aujourd'hui elle est vide. Malgré cela, ou peut-être grâce à cela, elle dégage une sensation de grandeur, de majesté, qui force le respect. Ici, "Royaume" est un terme qui prend tout son sens. Mais c'est surtout la carte du royaume étalée sur la table qui intéresse le Général. Il avait préparé son discours durant des heures, et, en ce moment, il ne sait pas quoi dire.

J'ai réfléchi, Votre Majesté, commence-t-il. Durant toutes ces années, j'ai beaucoup réfléchi aux Guerres Saintes Lydanes et aux leçons à en tirer. Ils étaient mus uniquement par la colère et la soif de vengeance. Ils ne disposaient pas de l'organisation nécessaire pour tenir une guerre de longue durée. Nous n'aurions jamais dû être défaits, lors de cette bataille où votre oncle Robin d'Higden trouva la mort. Plus encore, nous n'aurions jamais dû être mis en déroute. Les Lydanes ont été jusqu'à Falyse ! Des sauvages barbus et puants incapables de comprendre la notion même de discipline ont failli anéantir le royaume d'Eiralie !

Une partie de la fureur qu'il couvait depuis des années déjà ressort à ce moment, le mettant à deux doigts d'oublier l'ascendance de sa souveraine. Lorsqu'il s'en rend compte, il se calme quelque peu.

Cela n'aurait jamais dû arriver. Une bonne partie de la noblesse est formée au métier des armes, oui. Ils savent manier l'épée, la plommée, la lance, ils savent monter à cheval et tirer à l'arc. Et ils savent donner des ordres. Mais ce n'est pas pour cela qu'ils savent commander. Lorsque le roi est tombé, la panique s'est répandue, et l'ennemi s'est déversé sans entraves dans les contrées riches du pays. Sans mon intervention, l'ost eiralien aurait été totalement neutralisé, ne laissant que la garnison de Falyse face à l'ennemi. Pourtant, nous n'avions pas perdu deux hommes sur dix. Des pertes conséquentes, j'en conviens, mais pas rédhibitoire. Ce qui a tué notre armée, à cette époque, c'était la surprise, et la désorganisation qui en a découlé. Les hommes étaient indemnes, ils avaient des armes. Certes, la défaite leur avait porté un rude coup, mais ils étaient capables de combattre, et voulaient le faire, pour la plupart. Il leur manquait simplement un chef, une volonté pour les unir. A cette époque, je chevauchais sur les arrières des Lydanes, en ralliant tous les fuyards que je pouvais. J'ai dû en faire exécuter quelques-uns qui refusaient de combattre à nouveau, mais bien plus nombreux furent ceux qui vinrent me trouver pour me supplier de les mener face aux Lydanes.

Roland s'approche de la table, contemplant la carte sur l'immense parchemin. En ce moment, ce n'est pas une carte, qu'il voit, ni une table, ni même sa reine, il revoit ce qui s'est passé vingt-sept ans plus tôt. Il revoit les flammes et l'éclat des armes et les traînées de sang sur l'herbe verte du Kevalis.

Nous ne savions faire qu'une chose. Monter sur des chevaux, charger l'ennemi. Et nous n'avions tout simplement jamais prévu d'autre option. Personne n'avait prévu de plan de secours. Alors, lorsque nous avons été défaits, il a fallu à nombre de nobles plus de dix jours avant de comprendre qu'ils avaient été vaincus, encore cinq de plus pour réfléchir à ce qu'on allait faire ensuite. Il était beaucoup trop tard. Les Lydanes étaient quasiment aux portes de Falyse.

Sortant de sa contemplation, il se redresse, à nouveau droit comme une lance de cavalerie, face à Iseult.

Nos nobles sont entraînés comme des soldats. Mais certains doivent apprendre à commander. Faire des plans assez flexibles pour supporter l'échec. Se coordonner. Savoir faire retraite au lieu de se contenter d'une devise noble et ridicule telle que "La victoire ou la mort". Savoir se regrouper.

Plus encore, des nobles qui sachent avoir une pensée commune.

Ah. Ici, on arrivait au point délicat, celui qui allait peut-être bien susciter la méfiance de la Reine. Il se retint de le dire. S'il arrivait à obtenir son approbation sur les points précédents, ce qui semblait assez facile tant son analyse relevait du bon sens, alors il le dirait.
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Iseult d'Higden
Reine d'Eiralie

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MessageSujet: Re: L'Académie de Guerre   L'Académie de Guerre Icon_minitimeLun 8 Déc 2014 - 22:46

Le Général Protecteur parle, longuement. Il parle d'une guerre qu'Iseult n'a pas connue. Et pour cause, sa naissance même est le résultat de l'accord de paix qui y a mis un terme, ou tout du moins un considérable frein. La jeune reine n'ignore pas que l'alliance entre la couronne d'Eiralie et le puissant clan des Têtes-de-Loups n'équivaut en rien à un véritable traité qui concernerait une nation entière. Les Têtes-de-Loups et leurs clans alliés ne sont pas la Lydanie. La Lydanie n'est pas une nation.
Sauf en de très rares circonstances.
Un sacrilège, par exemple.

Une part de l'esprit d'Iseult attend de connaître la raison de cette étrange association de clans. Attend... ou espère. Car il se peut, très probablement, que la réponse ne vienne pas de ces hommes que sa mère, son maître-espion et son garde du corps sont en train d'interroger. Probablement pas une nouvelle invasion, cette mystérieuse troupe de mercenaires a sûrement un rôle à jouer. Mais tant que toute la lumière n'est pas faite là dessus, tant qu'il restera un doute, il ne faudra pas écarter la possibilité que le feu mal couvert ait repris sur un souffle de vent. Iseult est rongée d'impatience, une fièvre sourde et anxieuse qui lui donne envie de tripoter ses cheveux, ses bagues ou un pli de sa robe. Elle se contient. Elle a appris ça très jeune.

Il y a dans les mots du comte une passion contenue, une fureur sombre qu'Iseult connaît bien. Depuis qu'elle assiste aux Conseils, elle a souvent entendu Roland de Peyrefendre exprimer ses avis dans les termes froids et cassants qu'il affectionne, et toujours, derrière sa voix, il y avait cette même passion.
De la colère et de la haine.
Une haine envers un peuple entier, et le sang de ce peuple est en elle, mélé à celui du roi auquel cet homme, là, a voué sa loyauté.
Iseult sait qu'il la hait, sa part Lydane. Autant qu'il respecte son autre part.
Le respect l'emporte toujours, jusqu'à présent.
Equilibre fragile.

Si la jeune femme a décidé d'affronter seule ce vieux guerrier inflexible, c'est parce qu'il faut qu'il en vienne à la considérer comme autre chose qu'un pantin. Surtout quand les mains qui manient ce pantin ne sont pas d'anciennes et nobles mains eiraliennes. Voilà aussi pourquoi Hild, Guilhem et Aldric sont au loin. Il faut qu'Iseult devienne, aux yeux sombres de cet homme aigre et froid, une reine d'Eiralie.

Elle aurait pu prendre place dans le grand fauteuil sculpté qui lui est réservé, mais elle préfère rester debout. Il balaie la grande carte du regard pendant qu'il parle, et elle, c'est son visage à lui qu'elle ne quitte pas des yeux. Il semble qu'aujourd'hui il est hors de lui-même. L'homme au dos roide et avare de son verbe parle comme il n'a pas souvent parlé en sa présence, à grandes phrases emportées, pleines de rage.
Il y a longtemps qu'il contient ce flot, et une fois libéré, il semble qu'on ne puisse plus l'empêcher de se ruer plus avant...

Au fil de la diatribe du comte, la jeune reine a repoussé ses autres préoccupations, et n'est plus à présent concentrée que sur lui. Grave et silencieuse, elle l'écoute et s'imprègne de cette révolte qu'elle sent affleurer sous chacune de ses sautes d'expression, de ses duretés de parole. Et tandis qu'elle laisse la part sensible d'elle capter et comprendre les sentiments du général, la part qui raisonne analyse et pèse chaque mot, chaque idée, leurs conséquences, leurs avantages et leurs dangers.

Des stratèges. Des hommes qui prévoient, qui planifient, qui calculent. Savoir quand tenir, savoir quand céder, et ne pas s'encombrer du fardeau insensé de l'héroïsme. Evidemment qu'ils sont trop rares, bien trop rares.

- La nécessité d'une réflexion stratégique bien coordonnée est une évidence, Général. L'exemple de la déroute de nos troupes lors de la perte de son commandement principal en est effectivement une parfaite illustration. Nous étions effectivement trop confiants et mal préparés.

Nous. Les Eiraliens.

Je n'ai pas vécu ta guerre. Je n'ai fait que l'étudier. Mais pourtant tes mots ne m'apprennent rien. Il n'est pas nécessaire d'avoir versé le sang de l'ennemi et d'avoir vu dix mille mort pour savoir que tu dis juste.
Et je sais que tu me méprises pour n'être pas un combattant.
Mais s'il était né un fils à Pétrus, il n'aurait pas vu plus d'entrailles répandues que moi, aujourd'hui.


Iseult connaît de surcroît fort bien le rôle décisif de Roland lors de la déroute de l'armée Eiralienne. Elle est chantée souvent encore dans les tavernes à soldats tout autant que sous les voûtes des castels. Le Protecteur aurait pu alors réclamer la couronne, qu'on l'aurait sans doute porté jusqu'au trône à bout de bras. Et il ne l'a pas fait.
Et il le regrette, sans doute, au moins par moments...

La jeune femme cache, comme d'habitude, ses pensées troublées derrière un visage serein et grave. Et sa voix reste calme. Après le torrent sombre et tumultueux du discours de Roland, les mots d'Iseult sont une source fraîche et claire. De celles dont naissent les grands fleuves.

- Ce projet me plaît, et à plus d'un titre.

Je te laisse réfléchir en quoi.

- La situation qui a résulté de la mort de mon oncle ne doit plus jamais se reproduire. Quand bien même les menaces extérieures sont pour le moment réduites par rapport à ce qu'elles ont pu être par le passé, pour autant que ce que vos éclaireurs n'aient pas débusqué les premiers mouvements d'une nouvelle invasion Lydane, la mise en place de ce que vous préconisez se justifie pleinement, et dès maintenant. Une telle préparation prendra des années, voire des décennies. Fonder cette école, déjà, demandera du temps et des moyens. Et il restera à la peupler.

Le noeud du problème.

- Sans compter que certaines choses ne peuvent s'enseigner.

Parce que pour faire un stratège, il faut d'abord un homme intelligent. Et qu'on n'apprend pas à être intelligent. Et que de plus, l'intelligence n'est pas un corollaire de la noblesse. Loin de là.

Iseult fixe le général droit dans les yeux, toujours aussi calme et sereine. Son regard clair est cependant ferme et intense. Il y a des principes que le général et elle ne partagent pas. Notamment celui de la place respective que doivent occuper ceux qui sont nobles et ceux qui ne le sont pas.
Parce qu'il y a trop d'imbéciles avec des lignées longues comme le bras.
Parce qu'ignorer le potentiel de ceux qui n'ont pas cette kyrielle d'ancêtres blasonnés est un pur gâchis.

Pour autant Iseult n'espère pas parvenir à faire accepter ces concepts avant longtemps. Elle n'est qu'une jeune femme naïve et idéaliste aux yeux de beaucoup, dont cet homme-là. Aussi se gardera-t-elle de faire mention de ce genre d'idées tant que son gouvernement n'est pas plus fermement établi.

- Les moyens existent, et pendant le calme relatif de nos ennemis potentiels, nous avons le temps.

Voilà qui est dit. Cette école verra le jour.
Iseult se détourne et gagne posément le grand fauteuil sculpté où elle prend place.

- Vous avez certainement déjà réfléchi à nombre de considérations pratiques concernant ce projet. J'aimerais que vous me fassiez part de vos réflexions, Général.

Un lieu, déjà. Et ce ne sera pas le moins révélateur.
Où imagines-tu ton école, Roland ?
Sous le regard de qui ?

La jeune reine attend les réponses qu'elle a demandées dans le calme hiératique qu'elle adopte souvent, et qui la fait paraître moins fragile, moins humaine. Elle pourrait avoir bien plus que ses vingt ans, car la jeunesse est trépidante et ne tient pas en place. Droite dans son fauteuil, le menton haut et le visage impassible, elle ressemble à une statue qui respirerait. Elle est très belle, lisse comme un marbre et calme comme une eau profonde.

Mais on sait ce que cachent les eaux profondes. Et elle ne fait pas exception.
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Roland de Peyrefendre
Général protecteur de Rossburh

Roland de Peyrefendre


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MessageSujet: Re: L'Académie de Guerre   L'Académie de Guerre Icon_minitimeMar 22 Sep 2015 - 14:55

Il était toujours comique, pour le seigneur de Peyrefendre, de voir des blanc-becs ou des jouvencelles comme Iseult d'Higden, discourir sur l'art et la manière de mener une guerre et sur les forces et les faiblesses des ennemis. Roland, lui, considérait que quiconque n'avait pas enfoncé une lame dans le ventre d'un homme pour ensuite voir ce qui en ressortait gicler sur ses bottes, ne savait rien de la guerre. De la peur paralysante, de la tendance instinctive des formations d'infanterie à se resserrer sur elles-mêmes et à dériver vers la droite lorsque la tension montait. Des derniers rangs qui s'effondraient, non pas sous l'effet du choc physique, mais de l'insoutenable peur née du fait d'entendre le combat sans pouvoir agir. De la terreur qui poignait les entrailles des soldats de la réserve lorsqu'ils passaient devant les cadavres de leurs compatriotes pour intervenir au point le plus critique.

Mais il inclina poliment la tête. Après tout, la Reine approuvait son projet, et ses questions étaient pertinentes. Elles allaient même plus loin que ce qu'avait prévu le comte. Il n'avait par exemple aucune idée de l'endroit où cette foutue école pourrait bien se trouver, il s'était attendu à devoir prouver sa loyauté et son absence d'intentions malveillantes avant toute question pratique. Mais plutôt sucer la bite d'Aldric des Griffes-de-Fer que l'avouer.

Je...

Les choses allaient un peu vite pour lui. Mais heureusement, le seigneur Roland de Peyrefendre savait décider rapidement lorsque les circonstances l'exigeaient.

Je crois que l'école devrait être dans une zone difficile d'accès et facilement défendable, mais elle ne devrait pas être fortifiée. Les remparts créent un faux sentiment de sécurité, et seraient un bastion rêvé pour d'éventuels officiers putschistes. Tous les élèves de cette école doivent garder en tête que ce sont les hommes et pas les pierres qui protègent un pays.

"Éventuels" officiers pustchistes était un aimable et peu subtil rappel aux évènements du temps de Castel-Gaillard, mais il était inutile de s'étendre sur le sujet, la reine avait probablement déjà reçu le message.

Un endroit non loin de Falyse, avec des plaines, des montagnes, et des fleuves, pour posséder des terrains de manœuvre. Les contreforts nord-ouest me semblent une bonne idée.

A cinquante printemps, le général ne s'embarrassait plus de formules de politesse ou de fausse modestie. Il donnait son avis, libre à la reine d'en faire ce qu'elle souhaitait par la suite.

Le recrutement serait réservé aux nobles de toutes les familles pour peu qu'ils puissent s'acquitter des frais de formation.

Des fois qu'une de ces familles de courtisans au sang de navet produise par erreur un homme digne de ce nom. On ne peut rien exclure.

Seraient enseignés le combat à pied et à cheval, mais principalement en formation. Ce ne sont pas des héros que nous voulons, mais des professionnels compétents.

Les expériences du passé avaient montré que la discipline et le professionnalisme triomphaient toujours de l'héroïsme et de l'enthousiasme.

On leur apprendrait également la tactique, le commandement dans les batailles, et la stratégie.

Sujet délicat. Le niveau tactique, si vital soit-il, ne supposait pas de réflexion au niveau politique, alors que la stratégie, elle, en faisait son pilier central. Un monarque avisé serait très prudent concernant le contenu de l'enseignement à ce niveau.

L'histoire militaire, également.

Il y avait bien d'autres choses à dire, mais déjà, autant attendre de voir ce qu'en dirait la reine avant de poursuivre.
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Iseult d'Higden
Reine d'Eiralie

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MessageSujet: Re: L'Académie de Guerre   L'Académie de Guerre Icon_minitimeSam 26 Sep 2015 - 20:38

Un instant, Iseult se demande si le général n'est pas un peu pris de court. Ce n'est rien de plus qu'une lueur dans son regard, un frémissement sur ses traits sévères. Comme s'il était surpris.

A quoi s'attendait-il d'autre ? Un refus ? Des doutes ? Son projet est judicieux et il doit le savoir. Et il lui appartient en tant que Général protecteur d'émettre ce genre de suggestions, même s'il aurait été moins vexant que l'idée soit venue de moi ou de mon entourage. Quoi ? C'est ça qu'il craignait, peut-être ? Des réticences parce que l'idée est la sienne ?
Sait-il qu'au fond je me défie de lui autant qu'il me méprise ? Sait-il qu'il m'effraie autant que je le déçois de n'être qu'une fille ?
Il doit s'en douter.
Mais autant il ne mettra jamais de mots sur son sentiment à l'égard de la pauvre tête féminine sur laquelle repose la couronne, autant jamais je ne lui laisserai voir qu'il me fait peur.


- L'histoire militaire...

La jeune reine se permet un fin sourire.

- Si le quart de ces têtes-là parvient à comprendre à quel point c'est essentiel, sans parler d'être capable de l'assimiler, nous pourrons nous estimer comblés. Celui qui sera chargé d'enseigner ces matières aura fort à faire pour garder attentifs une bande de jeunes gens assoiffés d'action. Rappelez-moi, quand il sera question de recruter des professeurs, d'inventer une bonne raison d'éviter Champlong. C'est un puits de connaissances, mais ses eaux ont tendance à assoupir les plus assidus...

Parce qu'évidemment, leur choix me revient, Général. Et en ces matières, tes conseils seront bienvenus, mais pas nécessairement suivis.

Iseult écarte la question d'un geste de la main, et reprend à la fois son sérieux et son immobilité.

- Mais le temps n'est pas venu encore pour ces préoccupations. Les compétences existent, nous les solliciterons en temps voulu. De même que la manière d'organiser cet apprentissage. Je doute que tous les candidats révèlent assez d'intérêt et d'aptitudes pour aller même au-delà des questions tactiques, mais si une fraction seulement montre assez de qualités pour en arriver aux domaines stratégiques, cela devrait suffire. J'imagine de toute manière qu'un temps d'observation et de mise à l'épreuve permettra de faire le tri entre ceux qui feront d'excellents capitaines et ceux qui finiront généraux.

La jeune femme détend légèrement son maintient contrôlé, visiblement prise dans ses réflexions, projetée dans le temps vers cette école qui n'existe pas encore, imaginant comment révéler les talents véritables et permettre aux moins éclatants de trouver une place utile et honorable. Son regard est vif même s'il n'est posé sur rien en particulier. Elle ne rêve pas, elle pense, elle construit.
Elle regrette, aussi.
Cet enseignement guerrier ne sera pas pour elle. Elle, elle se doit de rester femme dans un rôle d'homme, mais dans les contraintes des femmes. Le poids d'une armure ne pèsera pas sur son dos. Mais elle porte de l'acier malgré tout, façonné en maillons invisibles. Liée à un trône.

Un bref froncement de sourcils vient mettre un terme à deux secondes à peine d'introspection. C'est désagréable. Depuis quelques temps, ce genre de sombres pensées l'envahit un peu trop souvent. Aliénor a peut-être raison, il est temps qu'elle occupe ses pensées avec des choses concrètes. Même si les distractions masculines de la jeune comtesse d'Ombreval ne sauraient en aucun cas devenir les siennes. Une chaîne de plus, celle-là, qui lui lie les genoux ensembles, et que seul un époux pourra briser. Maudites traditions de mâles. La moindre paysanne est plus libre qu'elle.

Suffit.

Iseult lève un regard décidé vers Peyrefendre, avant de se lever tout court et de faire quelques pas dans la pièce vers une table qui porte quelques flacons. Aucun serviteur n'est présent dans la petite salle du conseil, et elle ne prend pas la peine d'en faire venir pour verser une simple coupe de vin, elle se sert elle-même, avec un geste en direction de l'homme debout à quelques pas, pour l'inviter à faire de même si l'envie lui en prend. Elle s'écarte ensuite pour revenir vers la table centrale et s'y appuyer de la hanche. Moins formelle, mais toujours contrôlée, attentive à éviter tout geste ou toute posture trop ostensiblement féminins face à ce vieux bout de métal martelé par les batailles.

- La localisation d'abord. J'aime assez votre vision. La proximité du Palais et l'absence de possibilités de transformer l'école en forteresse, notamment. La variété de l'environnement, également.

Elle s'offre une gorgée de ce vin blanc ensoleillé venu des Méridianes, qu'elle aime pour son parfum de pierre. Son front lisse se plisse un instant.

- Les contrefort Nord-Ouest. Les terres de Vieu-Roc, donc. A voir s'il accepterait d'héberger ce projet. Je n'hésiterais pas à proposer à un autre des comtes un subside de la Couronne pour ce faire, mais... (elle a un sourire léger, assorti d'une touche infime d'ironie) ... Vieu-Roc a le col infiniment roide. Plus encore quand il est question d'or. Mais qui sait. Le sujet demande réflexion.

Il est possible pour un observateur attentif de les voir défiler à travers ses yeux clairs, les grandes cartes soigneusement tracées, infiniment détaillées, qu'elle connaît par coeur. Toutes les terres sur lesquelles elle règne, et qu'elle est encore loin d'avoir toutes parcourues. Elle ne les connaît parfois que par ce biais, mais elle les connaît à la perfection, chaque détour des rivières dessinées à l'encre bleue, chaque arrondi de colline, chaque hachure de falaise. Et aussi tout ce que ses conseillers, ses professeurs et ses espions lui ont appris des gens qui peuplent ces terres. Iseult est jeune et elle a encore de nombreuses valques devant elle avant de pouvoir prétendre avoir eu un aperçu significatif de toute l'Eiralie. Mais Iseult est appliquée, volontaire, et dotée d'une excellente mémoire.

- Il y a aussi cette seigneurie que la Couronne a confisqué il y a trois ans. Le domaine de Rulys. Il n'a pas encore été attribué et Higden l'administre pour l'instant en tant que suzerain, vous le connaissez sans doute. Cette terre au Sud-Est, à la frange du massif des Grands Lysses. Collines parfois assez accidentées, de la forêt, un bout de marécage, si je me souviens bien. Et les plaines du Kevalis à moins d'un jour de voyage. Avec l'avantage de n'égratigner aucune susceptibilité comtale, puisque c'est un domaine Higden.

Un froncement de sourcils encore.

- Un climat un peu trop clément, peut-être.

Une idée lui vient, et elle fixe sur le général ses yeux intelligents.

- Que pensez-vous d'intégrer dans cette formation la connaissance de terrains particulièrement difficiles ?  J'imagine un excellent élément des Méridianes en plein blizzard d'Acrogée, ou à l'inverse un montagnard aguerri plongé jusqu'aux jarrets dans la Vaste-Fange... Les pierres ne peuvent protéger un pays, je vous suis parfaitement là-dessus. Mais une terre dont on ignore les pièges peut trahir un homme. Et poser quelques problèmes majeurs si cet homme commande une armée...

Elle songe à des sortes de campements annexes, situés dans des environnements difficiles, où des groupes d'hommes pourraient aller séjourner pour se former à la connaissance des autres reliefs, des autres climats. Parce que oui, elle en a vu, de ces habitués des hautes landes perdus dans les Forêts Frontalières, mal à l'aise, tendus, leur efficacité réduite d'autant par un sentiment d'insécurité qui ne devait rien à la proximité de l'ennemi. Oui, c'est peut-être une bonne idée.

En tout cas elle a posé la question à Peyrefendre en toute franchise, et elle attend une réponse tout aussi franche. Il se peut qu'elle ait fait erreur, mais si elle a soulevé un point intéressant, elle y gagnera peut-être de la part de cet homme rude un fragment de cette estime dont elle a besoin. Dont le pouvoir royal a besoin...
Tout est tellement fragile...
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Roland de Peyrefendre
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MessageSujet: Re: L'Académie de Guerre   L'Académie de Guerre Icon_minitimeDim 27 Sep 2015 - 21:32

Le visage de Peyrefendre était d'une dureté granitique, seuls brillaient dedans ses deux yeux couleur d'obsidienne, tandis qu'il écoutait silencieusement la reine disserter sur la tactique et la stratégie, tous sujets sur lesquels elle ne connaissait rien.

Une bonne reine est... non, un bon roi est un roi qui sait ce qu'il ne sait pas. Et qui évite de se ridiculiser en s'avançant trop sur un terrain dangereux.

Mais mis à part cela, la reine était d'accord, et donc, le projet avait de bonnes chances de voir le jour. Qui plus est, sans être vidé de sa substance. La route était longue, mais si Peyrefendre et Higden réunis voulaient quelque chose, il y avait de fortes chances qu'ils l'obtiennent. Si le prix à payer pour cela étant de laisser une gamine couronnée se pavaner en armure en expliquant savamment pourquoi une compagnie d'archers était mieux protégée au sommet d'une colline qu'embourbée dans la traversée d'une rivière, Roland de Peyrefendre le paierait avec joie.

Il y avait d'autres prix à payer, bien sûr... Des susceptibilités à ménager, des alliés à récompenser, des concessions à faire. Et, surtout, la question fondamentale : "Qui dirigera l'école ?". Les pécores ne voyaient qu'une noblesse, mais la réalité (du moins, celle du seigneur de Peyrefendre) était qu'il y en avait deux. La noblesse de l'épée, celle qui versait son sang et perdait des pères, des maris, des fils, à chaque génération, pour protéger son peuple. La noblesse des Boguèn, des Peyrefendre. Et la noblesse de cour, celle qui se contentait de prélever les impôts et de s'engraisser en léchant les bottes du roi. Celle des Olthiaír, des Ombreval. Si le seigneur de Peyrefendre était parfaitement prêt à comprendre que le souverain de l'Eiralie contrôle l’École de Guerre à laquelle il pensait, il n'avait pas l'intention de laisser ces courtisans emplumés s'en emparer pour servir leurs plans de carrière.

Mais même Roland savait parfois reculer pour revenir à la charge plus tard. Il avait son école, cela était beaucoup plus que ce qu'il avait espéré. Il s'était attendu à un refus de principe, à de l'inertie administrative, voire à de la méfiance ou de la paranoïa bloquant tout projet de réforme ou d'avancée quelconque. Mais il avait parlé à la reine, qui s'était toujours illustrée comme une réformatrice (pour le meilleur ou pour le pire, souvent pour le pire, d'ailleurs, témoin ce chien lydane qui la serrait nuit et jour). Et son projet allait donner naissance à quelque chose.

La reine posa d'autres questions, fit des suggestions, pour la plupart pertinentes. Elle impressionna notamment le général par la connaissance qu'elle avait de son royaume. Il était clair que, si jeune soit-elle, elle avait passé beaucoup de temps à étudier des cartes, et que cela lui avait profité. C'était tout juste si elle ne citait pas la superficie et la nature du sol dans le domaine de Rulys, dont le seigneur de Peyrefendre n'avait plus entendu parler depuis pas mal de temps. Depuis la décapitation pour trahison du seigneur de Rulys, en fait.

Votre Majesté, vous ferez ce que vous souhaitez... Pour ma part, mon opinion personnelle serait qu'un lieu indépendant de tout comte serait plus approprié. Des terres appartenant à la Couronne.

Il eut ensuite un de ses rares sourires, un sourire qui monta presque jusqu'à ses yeux - presque.

Oui, Votre Majesté, c'est une excellente idée. Que le climat soit clément dans l'école n'est pas un problème selon moi... Après tout, il n'est guère féroce dans le Kevalis, mais nous trouvons d'autres manières de nous confronter à l'adversité. En revanche, exposer les hommes à des climats rigoureux et des terrains difficiles leur en apprendra beaucoup sur les manières de faire avancer une armée.

Cependant, je crois que, par la suite, il serait bon qu'une fois formés, les commandants d'armée servent dans leur région. Celle dont ils connaissent le terrain, les habitants, et qu'ils seront les plus motivés à protéger.


La reine hocha la tête en signe d'assentiment, ce qui n'engageait pas à grand-chose, particulièrement lors d'une audience privée. Cela signifiait qu'elle avait entendu le message, mais son sourire pouvait être interprété comme une approbation royale.

Après un bref silence, elle reprit la parole.

Vous nous avez donné matière à réflexion, Général Protecteur. Maintenant, d'autres affaires vont nécessiter notre attention. Mais soyez sûr que nous reparlerons avant votre départ de Falyse. Il nous faut faire ce qui est nécessaire pour défendre le Royaume.

Cela valait clairement congé royal, et Roland le comprit immédiatement. Il s'inclina profondément avant de répondre.

Et j'en serai heureux, Votre Majesté. Merci de votre considération.

Une fois hors de la présence royale et en route de ses quartiers, il lui fallut un moment pour réaliser qu'il avait exprimé une certaine forme de gratitude envers Iseult d'Higden, et avec sincérité. Cela devait le perturber durablement. Parfois, à la voir si calme, si civilisée, on oubliait la souillure indélébile que portait son sang. Pendant un moment.
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