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Ragnar Herteitr
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Ragnar Herteitr


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MessageSujet: Retour de voyage   Retour de voyage Icon_minitimeDim 7 Avr 2013 - 18:55

Ragnar était épuisé. Le long voyage, d’abord, l’avait physiquement éprouvé. Une nuit à dormir relativement peu, et une autre passée sans dormir du tout, plus le stress d'être à l'intérieur même du pire cauchemar de tout guerrier suéri, et, enfin, le chagrin d'avoir vu deux compagnons tomber par sa faute l'avaient vidé, physiquement comme mentalement.
Sans compter que Gunnolf avait pris ses dernières réserves d’énergie en insistant pour qu’on lui raconte tout par le menu : l’entrée dans la forêt, la tombe, la blessure de Gizurr, les heures qu’il avait passées à combattre sans une plainte, sa mort, la sortie de la forêt, comment Jokull était tombé…
Le jarl avait répondu poliment, même si, intérieurement, l’impatient skald commençait à le fatiguer sérieusement. Seulement, il fallait toujours être poli et aimable avec ces gens, Ragnar le savait pertinemment. Il était passé devant Sahnnâ sans pouvoir s’arrêter : il y avait des priorités. Et maintenant, il se tenait dans la grand’salle au milieu de ses compagnons de route, face à un Eirik de plus mauvaise humeur que jamais.

Celui-ci marchait de long en large comme un ours en colère, observant le groupe qui se tenait devant lui. Ragnar savait que, très bientôt, tous hurleraient à qui mieux mieux, mais il espérait que les choses n'aillent pas trop loin. Asbjorn ne s'était jamais fait remarquer par sa patience ou sa pondération, et Ragnar n'avait pas l'intention d'hériter prématurément de Yeravik. Il leva la main dans un message très clair.

Je parle. Vous vous taisez.


Du coin de l'oeil, il nota qu'Einar se tenait légèrement en retrait, arborant un léger sourire quelque peu énigmatique.

Qu'est-ce qu'il prépare ?

Eirik s'arrêta brutalement.

Vous êtes partis... à Gravskogur ?


Il semblait presque trop stupéfait pour être en colère. Presque. Il allait vite se remettre, Ragnar s'en doutait. La veine qui palpitait sur le front d'Eirik le prouvait.

Pourquoi faire ?


Ragnar ferma les yeux. Il était las de s'être expliqué tant de fois à ce sujet. Un jarl ne devrait jamais avoir à justifier ses actes. En théorie. En pratique, c'était plus difficile.

Tu te rappelles de Sahnnâ ?

Si tu me dis que tu as couru tous ces risques pour une esclave, je te fracasse la tête.

Asbjorn eut un petit rire. Il appréciait manifestement ce genre de langage, mais personne ne releva.

Non. Je l'ai fait pour ce qu'elle peut faire pour moi.


Eirik ferma les yeux quelques instants. Quand il les rouvrit, la folie dansait dans son regard.

C'est parti.


Faire pour toi ? Qu'est-ce qu'une esclave peut faire pour toi, à part te donner un endroit soyeux où fourrer ton vit ? Ça mérite tous ces risques ? Explique-moi, par les couilles du Dieu des Corbeaux, de quel droit tu viens prendre trois de mes hommes, mes hommes, pour te lancer dans une expédition suicidaire ?

Sa voix gonflait au fur et à mesure, et maintenant, il hurlait si fort que toute la maisonnée devait l'entendre.

De quel droit tu me prends mes hommes pour aller cueillir des champignons dans le pire endroit de toute la Suérie... juste pour les fesses d'une esclave ?


Ragnar faisait un louable effort de volonté pour rester calme, mais entre la fatigue et la présence de ses hommes, devant lesquels il ne pouvait se permettre de se laisser sermonner sans réagir comme un petit garçon, il sentait que la situation allait vite déraper.

Je n'avais pas vraiment le choix, père. Je n'ai pris que des volontaires et...


Mais je m'en fous, qu'ils soient volontaires ! Je m'en fous, tu entends ?

La voix d'Eirik résonnait comme le tonnerre, et son visage était maintenant d'un rouge presque pourpre.

Je... je...

Il se figea. Sa voix se bloqua, et il porta la main à sa poitrine. Ragnar avança de deux pas, inquiet. Mais Eirik se reprit bien vite.

Sigmund est un renégat, un lâche si lamentable que je pourrais l'écraser sous ma botte s'il ne me répugnait pas tant. Mais Gizurr était un bon garçon et Jokull un guerrier valeureux. Tu es responsable de leur mort, tu entends ?

Je le sais, murmura Ragnar.

Quoi ?

Je le sais, reprit le jeune jarl d'une voix plus ferme. Il était impossible de laisser Sigmund se faire déshonorer publiquement une fois de plus, surtout après un acte d'une telle bravoure. La manière dont il avait été traité, plusieurs années auparavant, après avoir fui le champ de bataille, était cruelle, mais pouvait se justifier. Mais là, c'était proprement intolérable. Je suis responsable de leur mort. Mais Sigmund n'a rien d'un lâche. Comme les autres, il m'a accompagné au cœur du pire endroit de la Suérie. Il avait peur et il m'a suivi tout de même. Sigmund Hallkellsson, Jokull Thorsteinsson, Gizurr Berginsson et Ragnar Eiriksson ont été les hommes les plus courageux qu'ait engendré Yeravik.

Eirik cria encore quelques temps, répétant toujours les mêmes choses, à propos de mettre en danger sa lignée et ses hommes pour des motifs futiles, qu'il n'avait aucun droit sur des guerriers qui ne lui avaient pas fait allégeance, ce en quoi il avait d'ailleurs raison. Et il le répéta encore et encore, jusqu'à se fatiguer manifestement. Néanmoins, il avait pris soin de ne pas insulter Sigmund, ou qui que ce soit des compagnons de Ragnar, ayant bien compris que son fils ne laisserait pas ceux qui l'avaient suivi subir des représailles à cause de ce choix, allégeance ou pas.


Pour finir, Eirik se tut. Il fixa son fils en silence quelques instants avant de reprendre, d'une voix de basse vibrant de colère contenue.

Tu as mis sciemment en danger, et notre lignée, et tes hommes, juste sur un coup de tête. Les hommes que tu m'as demandés... oublie-les. Tu n'auras rien ni personne. Je ne laisserai pas les gens de mon clan aux mains d'un jeune inconscient.


Tu devrais m'écouter avant de prendre ce genre de décision.


Non. Tu n'as rien à dire que je souhaiterais entendre. Disparaissez de ma vue, maintenant.


Eirik parlait d'une voix basse, glacée, indifférente, qui finit d'enflammer la fureur de Ragnar. C'était maintenant son tour d'élever la voix.

C'est hors de question ! Tu ne veux pas comprendre ! Réfléchis. Sa voix se fit plus posée. Je suis parti sur le conseil de Svana.

Tu sais ce que je pense de ses conseils, répondit Eirik d'une voix dure vibrant toujours de rage.

Oui, mais examinons les faits. Je m'empare d'un navire plein à craquer de richesses, la plus grosse prise que j'aie eu avec un seul navire, totalement par hasard, alors même que je me suis enfin décider à conquérir ma terre. Sur ce navire se trouve une esclave originaire d'Albad-Ryah, qui est si éloigné au sud qu'elle est peut-être la première de son peuple à être allé dans les eaux du nord de l'Ismeerlane. Je rentre en Suérie, Sahnnâ tombe malade. La sejdrkona tire les runes et voit que des années, des générations d'actions de notre famille vont trouver leur aboutissement, et que je dois faire un voyage. Je rencontre un, puis deux berserkers, dont je vaincs l'un en duel. Ça fait trop, beaucoup trop de coïncidences. Il ne s'agit pas que de Svana.

Un grognement sourd presque imperceptible dans son dos fit sourire Ragnar, de manière impromptue. Le mécontentement d'Asbjorn à chaque fois que l'on mentionnait sa défaite était presque palpable. Et le fait qu'il doive toujours une vie à Ragnar avant de pouvoir l'affronter à nouveau rendait la situation assez amusante.

Eirik resta silencieux, et Ragnar sut qu'il ne l'avait pas convaincu. La seule raison pour laquelle le vieux jarl n'insistait pas était qu'il avait conscience que la situation n'était pas idéale pour discuter de sujets sensibles. Déjà, le village entier devait être au courant de la dispute, et il était mauvais d'étaler ce genre de différends au grand jour. Père et fils afficheraient leur réconciliation en public et règleraient leur désaccord en privé.

Allez vous reposer, mangez, lavez-vous. Nous en reparlerons plus tard.


Les voyageurs prirent congé, et Ragnar rejoignit sa chambre à grandes enjambées, après avoir échangé quelques mots avec ses compagnons. Il était admis que tous étaient bienvenus sous le toit d'Eirik et qu'ils discuteraient plus tard, à tête reposée. Pour l'instant, chacun n'avait qu'une envie : s'étendre et dormir. Le jarl ordonna à un esclave qu'on lui fasse couler un bain dans sa chambre, d'une part, et qu'on prépare des funérailles grandioses pour deux guerriers, pour le lendemain soir. Il demanda également que Sahnnâ le rejoigne dès que cela serait possible. Puis il s'étendit sur le lit pendant que le bain coulait. Lorsque celui-ci fut prêt, il se débarrassa de ses vêtements sales qu'il confia à une servante, avant de se glisser dans le grand baquet rempli d'eau chaude.

Lorsque la porte s'ouvrit, il sut immédiatement de qui il s'agissait.
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MessageSujet: Re: Retour de voyage   Retour de voyage Icon_minitimeDim 7 Avr 2013 - 21:55

Un regard, juste un seul regard, si bref.
Sahnnâ a ignoré les autres guerriers qui entourent celui qu'elle attendait, elle a déjà essuyé trop de coups d'oeil dégoûtés et de marmonnements hostiles depuis qu'elle a pris place sur le banc de bois devant la grande halle. Elle sait ce qu'ils lui reprochent. Depuis que la vieille Svana a pris le temps de lui expliquer en quelques mots où était parti Ragnar et quels risques il avait choisi de courir, elle comprend mieux les grognements sourds de tous ces loups du Nord, inquiets et contrariés qu'on joue plusieurs vies de guerriers pour la santé d'une seule esclave, qui en plus a eu le mauvais goût de vivre sans ça.

S'ils savaient...

Elle vit, oui, mais elle le sent à l'intérieur d'elle, tout n'est que fragilité, faiblesse et lassitude. Son corps est parvenu à dompter la fièvre et la douleur, grâce aux soins constants des femmes qui se sont occupées de l'aider à survivre. Et c'est tout ce qu'elle a fait, survivre. Elle est en sursis. Elle n'est plus rien qu'une morte de l'année prochaine.

Alors que lui importent leurs regards à eux. Ils trouvent qu'elle ne vaut pas le danger qu'ont pris ces hommes, qu'elle ne vaut pas la mort de deux d'entre eux. Et elle est d'accord. Le Joyau, la Solhayma, valait cent de leurs guerriers. Mais Sahnnâ l'esclave n'est plus rien ni personne. Ils ne l'acceptent pas, et c'est eux qui ont raison.

Il reste l'espoir que les fleurs qu'il a ramenées soient aussi miraculeuses que Svana semble le croire. Elle l'a vu de là-haut faire cette brève halte devant la hutte un peu isolée de la vieille femme, et lui tendre quelque chose. Peu de temps après que le groupe ait disparu dans la halle la vieille a envoyé deux filles ramener la convalescente à son lit, puis elle est venue elle-même, et s'est installée là, sans un mot. Le brasero ranimé, le pot de métal posé sur les braises, elle a commencé son travail. Le parfum montant du mortier où elle broyait les fleurs a empli toute la pièce, et pourtant il y en avait si peu... Des plantes puissantes, et les deux jeunes filles installées près de Svana avaient le visage grave et même un peu tendu. A mots brefs, la guérisseuse leur donnait parfois une explication, un commentaire. L'eau bouillante a reçu les fleurs écrasées et d'autres ingrédients dont elle n'a pas reconnu le nom. Le mélange a bouillonné plusieurs minutes, puis elles l'ont filtré et versé dans une jarre de terre vernie, à part le contenu d'un bol. La vieille femme a apporté le bol à Sahnnâ, la mine solennelle.

- Bois dès que tu le pourras, c'est chaud.

Et elle a reçu le bol à deux mains, comme une offrande. Que les dieux décident si son corps amaigri pouvait encore être digne de l'Art, après tout. Elle a soufflé sur le liquide odorant, une ou deux minutes, alors que les filles et la vieille femme la fixaient en silence. Puis elle a bu, goûtant chaque gorgée amère à tirer les larmes, sentant la chaleur gagner son estomac, puis tous ses membres.

Quand le bol fut vide elle abaissa les mains. Leva la tête, et attendit.

- Tu en boiras une tasse demain matin encore, puis demain soir, et pendant deux autres matins et soirs.

Puis la vieille femme fit un signe aux filles qui emmenèrent le récipient métallique, le résidu du filtrage, la jarre de potion et le bol, et elles sortirent.


Il ne s'est passé qu'une demi-heure à peine depuis lors. Un coup à la porte et un mot glissé d'une voix neutre l'informent que son maître la demande. Elle est prête, elle attendait. Elle porte les rudes vêtements de laine et de fourrure qu'on lui a donnés pour la préserver du froid, et ces lourdes bottes qu'elle déteste tant. Elle a peigné de son mieux sa chevelure ternie, sans force et sans éclat. La soie s'est changé en crin, ou peu s'en faut, mais elle n'y peut rien. Elle se lève, attend un instant que le léger vertige s'estompe, puis elle se dirige à pas menus vers la chambre où il l'attend. Un coup discret, puis elle entre.

La pièce est obscure, le feu brûle mais aucune lampe n'est allumée ni aucune chandelle. Le grand baquet fumant qui trône au milieu de la pièce attire son regard, et elle le voit se dessiner en noir contre le rougeoiement des flammes. Il a la tête penchée, et elle ne peut pas distinguer l'expression de son visage.

Et s'il regrettait, lui aussi ?
S'il trouvait que finalement ça n'en valait pas la peine ?
Que pensera-t-il en découvrant l'ombre qu'elle est devenue ?
Mesurera-t-il seulement ce qu'elle a perdu, en plus du lustre de sa peau et de quelques kilos de chair ? Sait-il qu'il n'y a plus dans cette pièce qu'une esclave comme les autres ?

Elle a envie de pleurer, de chagrin et de peur.
Peur de ne jamais redevenir plus que l'ombre d'elle-même.
Peur de n'être plus qu'un Corps indigne, aussi peu utile que la moindre des filles de cuisine.
Peur de lui, enfin. Et c'est ça qui la chagrine le plus.
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Ragnar Herteitr
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MessageSujet: Re: Retour de voyage   Retour de voyage Icon_minitimeMer 17 Avr 2013 - 17:12

Il a reconnu le pas de Sahnnâ.

Je suis content de te revoir sur tes deux pieds. Approche.

La voix de Ragnar est fatiguée, mais en-dessous brule encore le feu de sa volonté, qui a mû son corps malgré la fatigue et la peur durant tous ses combats, et plus particulièrement les derniers. L'esclave s'approche du baquet d'eau, à la droite du jarl, dans la lumière. Elle est pâle, amaigrie, son teint est gris. Tout son corps porte les stigmates de la lutte qu'elle a mené contre la maladie. Mais elle est vivante, et c'est tout ce qui importe pour le moment.

Le jarl la regarde et a un sourire.

J'ai l'impression que nous avons tous les deux connu des jours meilleurs. Comment te sens-tu ?

Sahnnâ a un sourire, qui montre encore plus les cernes qu'elle a sous les yeux.

A peu près vivante, Maître...

La voix est faible, trop légère. Et, en ce jour qui devrait pourtant être un jour de joie, Ragnar discerne aussi dans les intonations de Sahnnâ une terreur sourde, diffuse, qui ne veut pas dire son nom. L'esclave a l'air soucieux, aussi.

Tu... n'as pas été blessé ?

Le jarl hausse les épaules. Les blessures du corps, il y est accoutumé. Quand à celles de l'esprit... elles sont indescriptibles. Comment lui faire comprendre ? Comment expliquer à cette étrangère qui ne sait rien de la Suérie, ce qu'est un voyage à travers la Forêt des Tombes ? Comment expliquer ce qu'est braver d'antiques malédictions, mettre en jeu tout ce que l'on est, corps et âme ? C'est trop difficile. Mais il faut essayer.

Quelques coups de poing, rien de méchant. Le corps va bien. En revanche, la forêt a laissé sa marque dans mon esprit. Mais nous avons fait ce que nous voulions faire.

N'est-ce pas là tout ce qui compte ?

Deux des nôtres sont tombés. Gizurr et Jokull. Tu aurais dû voir. Ils ont été... le lieu était ignoble, mais ils ont eu une mort magnifique.

Le ciel est si... bleu !

La voix de Jokull, son émerveillement, résonne encore dans l'esprit de Ragnar.

C'est ainsi que je veux mourir. Avec le ciel immense pour remplir mes yeux et les Valkyries dansant une danse de gloire et de mort autour de moi. Mais pas dans cette sombre forêt.

Je...

Ma mort... Une colline au bord d'un lac. Il y aura des cygnes.


Ragnar secoue légèrement la tête, se débarrassant de ces pensées parasites.

Ne t'inquiètes pas. Je vais probablement mieux que toi, en ce moment.


Sahnnâ le scrute attentivement, cherchant sans doute les marques de son voyage sur son visage. A ses dernières paroles, elle a un sourire, qui tient plus de la grimace. Oui, il est probable qu'il aille mieux qu'elle et elle le sait. Il y a d'autres questions à poser. D'autres choses à éclaircir. Par exemple, comment va-t-elle pouvoir aider ou entraver les projets de son maître dans le futur proche ? Et qu'est-ce qui la taraude comme ça ?

Ragnar se redresse dans son bain, tend une main humide pour la poser contre la joue de l'esclave. Sahnnâ possède une chose que personne d'autre ne possède : la fidélité à l'état pur. Chacun de ses hommes suit son jarl parce qu'il incarne quelque chose. La réputation, le succès, les nouveaux horizons, la gloire facile du fait d'armes, les richesses, le clan... Et Ragnar sait parfaitement incarner ces idéaux. Mais cette fidélité, même si elle n'est pas de pure circonstance, est tout de même liée à quelque chose d'extérieur à Ragnar. Sahnnâ, elle, est fidèle parce que. Parce qu'il doit en être ainsi. Et, Art ou pas Art, c'est une différence qui mérite considération, surtout pour un guerrier qui place au-dessus de toutes les autres qualités le courage et la loyauté. Donc, il faudra absolument qu'il sache ce qui ronge son esclave avant la fin de cette entrevue, et qu'il règle le problème si possible. La loyauté mérite récompense.
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MessageSujet: Re: Retour de voyage   Retour de voyage Icon_minitimeDim 28 Avr 2013 - 20:18

Il lui fait peur avec ses yeux rêveurs et cette espèce d'avidité qu'il y a dans sa voix. Comme s'il enviait les morts. Comme s'il aurait préféré être celui qui répand son sang et ses tripes sur la terre froide d'une forêt, plutôt que celui qui trempe en cet instant dans l'eau chaude, sous le toit de son père. Il est effrayant. Ils sont tous effrayants. Elle peut comprendre qu'on puisse affronter la mort, elle est en quelques sorte éduquée pour ça. Mais elle ne la recherche pas. Comme tout être vivant qui redoute sa fin et la repousse le plus possible, au lieu de la poursuivre comme ils semblent enclins à le faire. Ce n'est pas naturel.

Mais qui suis-je pour savoir ce qui est naturel ou pas, finalement ? Ma tâche à moi est-elle plus naturelle ?
Un jour je mourrai sur l'ordre de mon maître, et ce ne sera pas parce qu'il aura été mécontent de moi. Je mourrai sur son ordre comme meurent les guerriers, et sans doute pour la même raison. Pour sa sécurité ou celui de ses gens, pour accroître son pouvoir ou sa richesse. Mais est-ce que j'attends cette fin ? Est-ce que je la recherche ? Non.

Et pourtant je crains de ne plus jamais pouvoir remplir cet usage et de devenir l'outil vulgaire et interchangeable que sont les autres esclaves. Comme on peut être étrangement contradictoire, parfois...


Le contact de la main mouillée de Ragnar sur sa joue la tire de ses réflexions. Il la scrute depuis l'ombre qui enveloppe son visage, elle ne voit de son regard que l'éclat bleu vif que le feu allume de côté dans son oeil droit, ses traits se limitent aux traits de lumière que les flammes attachent aux arêtes de sa pommette et de sa mâchoire. Sahnnâ sent qu'il la jauge, une fois de plus. Elle doit faire un très gros effort pour ne pas se décomposer sous ce regard dans lequel elle pense lire du doute.

- Les prochains jours risquent d'être un peu... compliqués. Est-ce que tu penses que tu serais en état de supporter le voyage de retour vers Falr ?

Et voilà. Je suis un fardeau.

L'esclave secoue doucement la tête, en ravalant son désarroi et en luttant pour conserver une expression neutre, qui masque sa peine, sa peur et le mépris qu'elle a pour cette faiblesse débilitante qui la rend pire qu'inutile à présent.

- Je n'en sais rien, Maître... La guérisseuse dit que je dois prendre cette potion trois jours encore. Mais elle n'a rien dit d'autre.

- Mais toi ? Tu as fait le trajet à l'aller. Est-ce que tu te crois capable de supporter le retour ?

Il a la voix lente, chargée de lassitude. D'ennui ?... Elle répond après une petite hésitation, consicente que ses mots ne lui plairont pas.

- Je ne crois pas, non... pas encore. Mais il y a deux jours je n'imaginais pas être capable de marcher. Alors qui sait ?...

De l'espoir, contre toute espérance. Reprendre la mer maintenant l'achèverait, elle en est certaine. Mais elle déteste tellement être la chaîne qui le retient là où ne veut pas rester...

- Je demanderais à Svana ce qu'elle en pense. Mais je pense que tu te connais assez bien pour que ton avis soit fiable. Il va nous falloir patienter. Et je n'aime pas trop rester inactif.

Sahnnâ pique du nez. Elle ne voit pas son sourire.
Ragnar, par contre, saisit l'air penaud qui passe sur le visage de son esclave.

- Ne t'en veux pas, tu n'as pas décidé de tomber malade. Personne ne combat les sentences des Nornes, roi ou esclave. Non, maintenant, il faut simplement que tu fasses ce que tu peux pour te rétablir. C'est ta seule tâche dans les jours à venir. Et pendant ce temps, je vais devoir palabrer avec pas mal de monde.

Il bouge un peu dans le cuveau, cherche une position plus confortable, la fatigue à nouveau lourde à ses épaules. Mais il ne semble pas fâché, même pas excédé.

- Ta danse aurait facilité les choses, mais je peux m'en passer... après tout, je m'en passais bien avant ta venue.

Et il sourit.
Et elle sent le sang se retirer de son visage, à elle. Sa danse... Sa raison d'exister, sa fierté, sa tâche.
Et elle est incapable de l'assumer.
Incapable. Inutile.
Un fardeau.
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MessageSujet: Re: Retour de voyage   Retour de voyage Icon_minitimeJeu 2 Mai 2013 - 23:25

Peur.



Il se passe quelque chose.

Ragnar fixe Sahnnâ. Il a toujours été capable de très bien deviner ce que ressentaient les gens à son service, mais pas forcément de comprendre pourquoi ils le ressentaient.

Il fixe Sahnnâ, plongeant son regard dans le sien.

Quelque chose ne va pas ?

Ce n'est ni vraiment une question ni vraiment une affirmation. Sahnnâ esquive le regard de son maître.

Mauvais signe.

Elle a un maigre sourire.

Ça ira mieux, Maître. Ces fleurs sont puissantes... c'est ce qu'elle a dit.

Il y a de la peur, dans sa voix. L'intuition première du jarl était juste. Mais d'où vient cette peur ? Le jarl se redresse. Sahnnâ n'est pas une lâche. En fait, elle est tout aussi courageuse, et probablement plus loyale, que la majorité de ses guerriers. Mais alors qu'est-ce qui justifie cette terreur qui se cache et qu'il sent suinter comme une humeur infecte derrière chaque demi-sourire, chaque regard évité ?

Tu n'as pas été dans la forêt... elle dégage une espèce d'aura de mort et de ténèbres, qui sape les forces de tout ce qui vit et respire. C'est réellement horrible.

Il frissonne, pendant que Sahnnâ le regarde, les yeux grands ouverts, remplis d'un mélange de peur et de fascination.

Et les plantes que j'ai pris, nous les avons récupérées au centre du pire endroit de Gravskogur, ou peu s'en faut. Si elles ont survécu à ça, elles sont fort puissantes, oui, ces petites fleurs.

L'esclave inspire profondément, expire.

Oui, je le crois... La vieille femme a beaucoup de savoir, et elle a dit aussi que c'était la seule chose qui pouvait...

Elle déglutit, baisse la tête. Et ce n'est pas en signe de soumission. C'est autre chose, de nettement moins sympathique, qui est en jeu. Elle a quelque chose à cacher. A lui, ou à elle-même. Ou aux deux.

me rendre la vie...

Le jarl incline légèrement la tête sur le côté, perplexe.

Tu ne te sens pas vivante ?

Il y a quelque chose, mais il n'arrive pas à comprendre quoi, et ce n'est pas faute d'essayer. Sahnnâ relève un peu la tête et esquisse un demi-sourire.

Là, si... jusqu'au prochain souffle de vent, peut-être...

Elle grimace et a un léger froncement de sourcils. Le jarl peut ressentir son chagrin. Ce n'est pas la peur de la mort, c'est autre chose.

Oui, il faut t'éviter cela, c'est sûr. Mais tu ne m'as jamais eu l'air de quelqu'un qui avait peur de la mort... si ?

Tout en parlant, Ragnar commence à sortir du bain, à se sécher et s'habiller. Sahnnâ fronce légèrement les sourcils, on sent qu'elle réfléchit à la question sérieusement, tout en se tenant prêt à aider le jarl s'il le demande. Ce qui ne risque pas d'arriver. Après tout, il y a déjà quelques années qu'il n'a plus besoin de personne pour s'habiller en sortant du bain. En la voyant ainsi lutter contre son épuisement simplement pour satisfaire le désir de savoir de son maître, Ragnar se sent pris d'une soudaine bouffée d'affection. Et la maigreur du visage de Sahnnâ n'y change rien.

Peur, non, je ne crois pas en avoir peur. Et puis à quoi bon avoir peur de ce qui est inévitable.

Sa voix est lente, concentrée.

Alors, c'est autre chose qui te gêne. Quoi ?

La voix du jarl est montée d'un coup, sèche et brutale. Sahnnâ a un léger sursaut. Mais Ragnar n'est pas vraiment en colère, seulement fatigué, et impatient. Il faut dire aussi qu'aucun Suéri ne s'est jamais montré patient avec un subordonné. On demande quelque chose, il l'apporte. On pose une question, il répond sans détours. C'est ainsi que les choses devraient en tout cas fonctionner.

Cette... faiblesse. Cette... inutilité.

Et là, on sent comme du dégoût de soi dans la voix de Sahnnâ. Le jarl a fini de s'habiller : une paire de chausses, des bottes épaisses et une épaisse tunique de laine grise, ainsi que sa traditionnelle amulette en or massif. Il se tourne vers Sahnnâ, toujours à genoux, et lui caresse la joue.

C'est cela qui t'effraie à ce point ?


Elle hoche la tête, manifestement incapable de parler.

Ton utilité ne réside pas que dans la danse, tu sais...
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Sahnnâ

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MessageSujet: Re: Retour de voyage   Retour de voyage Icon_minitimeLun 6 Mai 2013 - 23:02

La danse... si seulement ce n'était que la danse...

- Je sais. Mais les Arts Majeurs sont encore plus loin de moi, en ce moment...

- Ton utilité ne réside pas non plus que dans les Arts Majeurs.

Il ne sait pas.

Sahnnâ en est persuadée, il ne mesure pas l'arme qu'elle peut être. Tout comme elle est persuadée qu'il est inconscient de la perte dramatique que l'Art représenterait pour elle, non seulement en ce qui concerne sa place dans le monde, mais aussi à un niveau beaucoup plus personnel. Elle s'est construite autour de l'Art, à l'intérieur de l'Art, aux dépens de l'Art même. Perdre cela c'est perdre tout ce qu'elle est. C'est redevenir un enfant qui ne connaît rien, qui doit tout apprendre. Et ça la terrorise.

Il est allé s'étendre sur la couche et l'attire à lui d'un signe. Elle a vu sans ses mouvements la lassitude terrible qui lui ploie la nuque, une fatigue profonde et sombre qu'elle ne lui a jamais vu, même quand il était blessé, sur l'île. Il a payé un tribut très lourd aux démons à qui il est allé arracher son remède... La peur en elle se teinte d'une bouffée de gratitude, d'espoir. Tant de pouvoir, les plantes sont forcément fortes, forcément...

Elle s'allonge près de lui, engoncée dans ses fourrures et sa laine rude. Son front pâle se crispe quand il lui annonce qu'elle dormira auprès de lui.

- Je risque de te déranger... je tousse encore.

Et comment... les quintes de toux qui la prennent encore sont longues et laborieuses, un temps infini avant que l'irritation dans sa poutrine accepte de s'engourdir, une épreuve à chaque fois, qui la laisse au bord de la nausée, les tempes battantes.

- Pour ma part, il n'est pas impossible que je fasse des cauchemars, alors ne t'inquiètes pas pour ta toux.

Ca promet...

- Mais tu comprends ce que je te dis, sur les Arts Majeurs ?

Sahnnâ se fige. Elle comprend ce qu'il veut dire, lui. Mais elle sait que lui ne sait pas tout ce qu'il lui faudrait savoir, et de loin... Il croit encore que même si elle ne peut plus danser, elle restera une esclave docile et dévouée. Et il a raison. Mais qu'a-t-il besoin d'une esclave docile et dévouée de plus ? Il peut en avoir dix, cent. Des filles comme ça, pour le bain, la table ou le lit, il y en a partout qui auront à coeur de se conserver la sécurité et le confort relatif de la vie près d'un maître suffisamment puissant et riche. Elle, elle pourrait lui donne tellement plus, infiniment plus... Mais elle comprend ce qu'il dit. Et c'est ce qu'elle répond.

- Oui, je crois... J'ai d'autres utilités...

Autant parler bas pour éviter qu'il entende le peu de conviction dans sa voix affaiblie. Autant plaisanter, peut-être...

- Par exemple, pouvoir te réveiller de tes cauchemars parce que je tousserai comme un vieux chameau...

La bête qu'elles ont entendue mourir dans les étables de l'école avait respiré trop de sable... Son souffle, à la fin, était tellement horrible à entendre... Sahnnâ sourit. A-t-il seulement déjà vu un chameau ? Aucune importance, en fait...

- Nous verrons cela plus tard. Mais ne t'inquiètes pas. Svana a ses défauts, mais elle se trompe rarement. Et danse ou pas, Arts Majeurs ou pas, tu gardes ta place dans ma maisonnée de toute manière.

Il est tellement sûr de lui... Elle a envie de le croire. C'est difficile mais elle essaie, vider sa tête, accepter le bras fort et pesant qui l'enlace, glisser dans la chaleur qu'ils partagent et dormir. Dormir...
Demain, il sera temps d'avoir à nouveau peur.
Demain...

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