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| Ses mains et ses mots | |
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Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Ses mains et ses mots Mer 11 Sep 2024 - 22:38 | |
| Citadelle de Falr Dans la chambre du jarl 43ème jour de l'Epée (343ème jour) Milieu de l'heure de l'Arbre (6h du matin) (Suite du RP de la veille)Ragnar remit une bûche dans l'âtre et se dirigea vers l'étroite fenêtre percée dans le mur de la chambre. La pluie tombait à verse, le soleil n'était pas levé. Ragnar connaissait ce genre de journée. Le genre de journée où on était vraiment content de ne pas être coincé dans un navire, en pleine mer, avec vingt types sentant la sueur qui écopaient comme ils pouvaient ce que les nuages pouvaient vous dégueuler sur la tronche. Il fit jouer son épaule. Douloureuse. Quand l'épaule faisait mal, c'était que la journée allait être pluvieuse.
Il sourit dans sa barbe. Heureusement, il y avait d'autres distractions. Certains Suéris, en ces circonstances, se bagarraient, buvaient, improvisaient des danses traditionnelles ou faisaient de la poésie. Les intérêts de Ragnar se portaient ailleurs en ces circonstances. Sur Sahnnâ, notamment.
Ce n'était pas qu'une histoire de sexe. Bon, d'accord, c'était aussi une histoire de sexe. Sa peau souple et parfumée, sa poitrine ferme et ses cuisses douces n'étaient pas étrangères à l'intérêt du jarl pour la personne de son esclave. Mais elle dégageait aussi cette... loyauté, absolue, complète, évidente, qui était un aphrodisiaque incomparable. Cette étrange loyauté qu'on ne retrouvait d'habitude que chez les animaux domestiques, à ceci près que Sahnnâ.... était consciente, elle embrassait sa condition. Même les dernières semaines où elle avait fait preuve de plus de distance, sa loyauté avait toujours été... évidente. Un fondamental.
Il y avait aussi le sexe, évidemment.
Et il y avait son écoute. Son observation. Ses yeux et ses oreilles semblaient perpétuellement ouverts, absorbant le monde entier, donnant envie d'y verser des mots et des images. Là où la plupart des gens utilisaient essentiellement le silence pour réfléchir à ce qu'ils allaient dire ensuite, Sahnnâ, elle, écoutait.
Et puis, bien sûr, il y avait le sexe.
Ragnar ouvrit sa porte, désireux d'aller chercher Sahnnâ dans ses quartiers. Quelle ne fut pas sa surprise de tomber nez à nez avec elle quelques pas plus loin, alors qu'elle se dirigeait justement, à petits pas menus, vers sa chambre.
Sahnnâ ? Qu'est-ce que tu fais là ?
Ragnar l'examina plus attentivement. Le regard de Sahnnâ était, comme toujours, respectueux, mais il était également clair et décidé, et son minois avait une expression déterminée que Ragnar ne lui connaissait que dans certaines circonstances bien particulières. Il sauta directement à la conclusion. Sans laisser à Sahnnâ le temps de répondre, il reprit la parole d'un ton empli de la calme assurance de qui énonce un fait incontestable plutôt qu'une hypothèse.
Tu as quelque chose à dire. Ou à faire. Quelque chose d'important. Et pour que tu sois aussi proche de ma chambre, c'est forcément en lien avec moi.
Il jeta un oeil aux bras de Sahnnâ, à sa peau couverte de chair de poule. Il se rappela un peu tard qu'elle n'était pas native de Suérie. La température qui paraissait clémente au jarl ne l'était probablement pas pour elle. Depuis combien de temps attendait-elle, se demandant si elle allait taper à sa porte ? A moins qu'il ne se fasse des idées et qu'elle ne soit simplement partie chercher un endroit où uriner, ou fouiner pour voir si elle trouverait une couverture supplémentaire quelque part. En tout cas, elle tombait bien.
Il y a un bon feu, dans ma chambre. Viens. Je n'ai pas sommeil, de toute façon.
C'était vrai. Quitte à rester éveillé, autant être en bonne compagnie. Et puis, il y avait le sexe. |
| | | Sahnnâ
Messages : 163
| Sujet: Re: Ses mains et ses mots Lun 16 Sep 2024 - 19:56 | |
| Elle avait hésité longtemps. Attendre encore c'était prendre le risque que l'homme quitte l'île avant que Ragnar ait le temps d'intervenir, pour autant qu'il souhaite intervenir. Elle sait qu'elle aurait dû trouver le moyen de lui parler la veille, mais après le départ de Noirlétang, Ragnar avait congédié les esclaves pour s'entretenir avec Ivar, et ils étaient restés ensemble tard dans la nuit. Elle avait manqué son coucher. Il lui fallait absolument le trouver à son réveil. Heureusement il avait tendance à s'éveiller tôt et à ne pas traîner sous les fourrures, même en plein hiver, même par un temps aussi déprimant qu'aujourd'hui, humide et glacial. Parfois Sahnnâ regrette la lumière et la chaleur de l'Albad-Ryah. Aujourd'hui est un de ces jours-là.
Elle est venue dès son réveil à elle, et depuis elle guette, l'oreille tendue, les bruits venant de derrière la porte de Ragnar, annonçant qu'il est éveillé. Le froid n'est pas si intense, c'est l'humidité, surtout, qui le rend terrible, pénétrant, débilitant. Même enveloppée de laine et de fourrures Sahnnâ sent vibrer ses os, au rythme des frissons qui lui dévalent l'échine. Son corps regrette tant le soleil. Difficile de lui expliquer qu'il faudra faire sans encore de nombreux mois.
Elle entend le pas de son maître juste avant que la porte s'ouvre. Il a le pied léger pour un homme de sa carrure, et elle s'en veut de n'avoir pas été plus attentive, d'avoir perdu une demi-heure précieuse, peut-être. La chaleur douce et la lueur de la flambée dans la chambre de Ragnar coulent sur elle comme quelque chose d'infiniment bienfaisant, et un autre frisson l'agite, sournois. La question de Ragnar sur sa présence est rapidement suivie d'une réponse qu'elle n'a même pas besoin de lui apporter. Il la connaît bien. Il sait. Il sait aussi, pour le froid et la peau hérissée de chair de poule, alors qu'il fait si sombre, pourtant, et qu'elle ne montre en guise de peau nue qu'un bout d'avant bras.
Il y a un bon feu, dans ma chambre. Viens. Je n'ai pas sommeil, de toute façon.
Il retourne au chaud et elle le suit avec gratitude. Les frissons dégoulinent dans son dos, plus perceptibles même quand elle entre se mettre au chaud. Il s'en faudra de plusieurs minutes avant que le froid du couloir ne la quitte vraiment et qu'elle retrouve la pleine maîtrise de son corps.
Un comble pour un Joyau.
Elle aurait pu forcer sa chair à rester immobile, utiliser l'abri de l'Art pour oublier le froid, le nier, mais on ne gaspille pas l'Art à des choses aussi triviales que les frissons du corps indigne. Même si cette petite faiblesse de sa chair l'agace, elle se doit de restaurer son contact avec l'Art en respectant sa grandeur et sa noblesse, pas en le dégradant.
Ragnar est allé se poster près de la cheminée en lui faisant signe de le suivre, ce qu'elle s'est empressée de faire, par obéissance, et aussi parce que le feu l'attire comme un papillon de nuit. Elle se demande comment il se fait que le froid de la Suérie ne lui a pas paru aussi déprimant que celui de cette forteresse pleine de courants d'air humides. Paradoxal.
Elle lève les yeux vers son maître. Il la fixe, il attend. Il a deviné qu'elle n'était pas là par hasard. Le temps presse peut-être, aussi parle-t-elle sans tarder davantage.
- Maître, je dois te parler de l'homme qui est venu hier avec ces informations sur les marchands de Vanner. Pardon de troubler ton réveil. Il est très tôt. Mais je craignais qu'en venant à l'heure habituelle il ait déjà pris la mer.
Elle voit qu'elle a toute son attention, et inspire profondément. Elle ne sait pas pourquoi elle se sent embarrassée à ce point. Sans doute parce qu'elle n'a que des soupçons et aucune certitude.
- Je crois que cet homme n'est pas ce qu'il dit. Il avait beaucoup de choses à t'offrir, beaucoup d'informations, et ce qu'il y gagne... l'or et la revanche, ça me paraît... mal proportionné.
Elle inspire à nouveau, reprend son souffle, cherche les bons mots, ne les trouve pas. Elle fronce les sourcils, pince les lèvres, a un petit souffle et un mouvement vif de la tête, agacée de si mal exprimer ce qu'elle ressent. Parce que ce n'est qu'un ressenti. Imprécis. Vague. Mais pourtant impossible à ignorer.
- Et puis, il y a ses mains. S'il est bâtisseur, pourquoi ses mains disent-elles une histoire différente ? Il n'a pas les mains de quelqu'un qui a passé vingt à trente ans de sa vie à manier les outils des tailleurs de pierre et des charpentiers. Et ce qu'il sait... Pourquoi ses mots sont-ils aussi savants et éclairés, même sur des sujets...
Elle lève à nouveau les yeux sur Ragnar, des yeux qui s'étaient égarés dans les flammes, à la recherche de la bonne manière de parler.
- J'ai la conviction qu'il a menti, au moins sur son métier. Sans doute aussi sur son objectif. Peut-être même son identité. Si j'ai raison, alors ses informations, même si elles sont exactes, servent un dessein caché.
Elle baisse les yeux, son message est délivré.
- Tu t'en doutais peut-être, et mes mots sont inutiles. J'aime mieux les mots inutiles que ceux qui auraient dû être prononcés. |
| | | Ragnar Herteitr Jarl
Messages : 1486
| Sujet: Re: Ses mains et ses mots Dim 22 Sep 2024 - 23:09 | |
| Ragnar resta immobile, les yeux perdus dans les flammes. Sahnnâ, plongée dans l'obscurité, hors de son champ de vision, semblait effacée. Comme si elle était en-dehors du monde. Près des flammes, était une zone de vie et de chaleur, dans laquelle Ragnar se plongeait tout entier. Sahnnâ, elle, semblait à la lisière. Entre l'extérieur, froid et humide, et la chaleur et la lumière. Elle fit un pas. Un pas de plus vers la chaleur.
Ragnar ne bougea pas, ne fit pas un mouvement. Parce qu'il était occupé à réfléchir, d'une part, et aussi parce qu'une sorte d'instinct lui soufflait que rester immobile, à cet instant précis, était absolument vital.
Je le savais.
Ragnar ne s'en était pas rendu compte, jusque à présent. Il n'avait pas voulu écouter cette petite voix qui lui soufflait que, lorsque quelque chose semble trop beau pour être vrai, c'est en général précisément parce que c'est effectivement trop beau pour être vrai.
Fier. Arrogant. J'ai trop demandé aux dieux. Ils se moquent de moi. Ou bien ils me mettent à l'épreuve, me défiant d'aller plus loin ? De poursuivre sur ce chemin ?
Comme Sahnnâ qui se tenait à la lisière du feu et du froid, Ragnar se tenait à la croisée des chemins. Ne sachant que faire. Sahnnâ s'approcha d'un pas de plus. Un pas minuscule. A peine une longueur de pied. Ragnar ne la voyait pas, mais il n'avait pas besoin de ses yeux pour sentir où elle était.
Le jarl n'avait jamais été enclin à l'indécision. Les Suéris étaient le genre de peuple à partir avec huit jours de provisions et un esquif en se disant quelque chose du genre "Si on n'a rien trouvé d'ici quatre jours, on fera demi-tour, et puis c'est tout." Parmi ce peuple, les guerriers étaient du genre à agir, et assumer ensuite les conséquences des décisions prises. Elles étaient toujours moins graves que si on n'avait pas décidé du tout, car cela revenait en général à laisser l'ennemi décider. Et les jarls... les jarls n'étaient pas accoutumés à montrer de l'indécision.
Cette sensation était nouvelle pour Ragnar. Il sentit l'esclave s'avancer dans son dos, d'encore un orteil.
Ma propriété. M'apporte-t-elle un message des dieux ? Si oui, est-ce un avertissement, ou un défi à relever ?
L'indécision qu'il ressentait faisait écho à son immobilité. Et pourtant, il fallait décider. Rapidement. Le navire allait partir. Lentement, le jarl se retourna. Sahnnâ était si proche, qu'il pouvait la toucher sans même tendre le bras. Froide. Nerveuse. Sa poitrine se soulevant rapidement. Le regard du jarl remonta vers ses yeux. Des yeux clairs, francs et déterminés. Des yeux qui incitaient à l'action. Et là, il sut.
Là, dans le regard d'une esclave, il vit l'ombre des dieux qui lui murmuraient.
Nous avons armé ton bras...
Oui.
Le jarl s'éclaircit la gorge, plongea son regard dans celui de Sahnnâ. Le regard d'une femme, plus celui des dieux. Cette impression, cette... certitude, n'avait duré qu'un instant. Plus que suffisant. Assez pour lui montrer le chemin.
Tu as bien fait de venir me parler, fit-il, des échos de la certitude s'attardant encore dans sa voix.
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| | | Sahnnâ
Messages : 163
| Sujet: Re: Ses mains et ses mots Dim 6 Oct 2024 - 20:57 | |
| Quelque chose est passé à travers son regard. Quelque chose d'essentiel.
Sahnnâ ose à peine respirer. Elle a senti venir ce moment, il était trop immobile, trop tendu, son souffle était altéré, et son regard quand il s'est retourné... Elle a vu. Il sait. Enfin, il sait. Il sait ce qu'elle est, et il sait pourquoi elle est là.
L'instant est fugace, mais elle sait qu'il déterminera le reste de sa vie. De leurs vies.
Le temps qui s'était arrêté reprend son cours, son flot vaste et irrésistible, et elle sent qu'ils ont repris leur voyage, à nouveau esclave et maître, après avoir été brièvement autre chose, quelque chose de plus. Le temps les emporte à nouveau, et elle sent son futur là-bas devant elle, les détails sont indiscernables encore, mais la lumière est forte, presque dure, comme le reflet du soleil sur l'eau d'un lac. C'en est fini de la grisaille, pour elle, des jours mornes et froids, sans relief, sans but, sans plus rien du Joyau en elle, plus rien qu'une esclave banale, insignifiante. Sahnnâ est à nouveau à l'Art, à nouveau prête. Elle sait qu'il viendra à son appel, la prochaine fois qu'elle l'invoquera.
- Tu as bien fait de venir m'en parler.
La voix de Ragnar résonne étrangement, plus sourde, plus profonde. La trace de ce moment est encore visible en lui.
- Si cet homme a de telles informations, il n'est pas seul. Ca ne m'intéresse pas de frapper une épée, je veux voir qui la tient. Ne faisons rien. Pour le moment.
Elle incline la tête. Il n'y aura pas d'ordre à porter de retenir le bateau qui emportera le traître, convaincu que sa mission est un succès.
- Il faudra vérifier tout ce qu'il nous a dit. Méticuleusement.
Elle ne réagit pas à cette remarque que Ragnar se fait de toute évidence à lui-même. Sa voix est devenue pensive, ses yeux plongent vers l'intérieur de lui-même, sur les actions qu'il posera ensuite pour ces vérifications pour lesquelles elle ne peut en rien l'aider. Ivar sera sans doute celui vers qui il devra se tourner ensuite.
Il lève les yeux sur elle, et il est redevenu lui-même. Un lui-même enrichi pourtant d'un savoir nouveau. Ceux d'Ailleurs le regardent. Et il ne craint pas leur regard.
- Tu as bien fait de venir. N'hésite pas à le refaire si le besoin s'en fait sentir.
Elle s'incline plus profondément, cette fois, son mince sourire habituel au coin des lèvres. La lumière devant elle n'est plus que celle, bienfaisante, du feu dans la cheminée. Mais Sahnnâ sait que l'autre lumière est toujours là, qu'elle l'attendra, qu'elle se renforcera comme passeront les heures, et que bientôt, leur destinée s'ouvrira devant eux, pour l'un et pour l'autre.
Quand elle quitte les appartements de son maître, la petite esclave brune a les yeux étincelants, le port gracieux et fier, le pas plus ferme. Le fantôme gris a définitivement disparu. Ce qui flotte autour d'elle, c'est le parfum de l'Art, sa musique impalpable, sa vibration dans l'air. Marcher est une danse à nouveau. Sourire n'est plus un masque. Le Joyau fissuré a retrouvé son éclat, plus intense, même, plus lumineux. Plus précieux encore, en dépit de son imperfection. Ou peut-être grâce à elle. |
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