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 Le courroux de l'Arc Blême

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Romaric de Boiscendré
Chef Mercenaire

Romaric de Boiscendré


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MessageSujet: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeSam 16 Juil 2011 - 20:25

Ils ne sont pas là.

Romaric eut un froncement de sourcils de contrariété. D'une part à cause de l'absence de la moitié de ses éclaireurs au troisième rendez-vous. D'autre part à cause de l'imbécile qui lui énonçait d'un ton pénétré des évidences aussi claires.

Alors, c'est qu'ils sont morts.

Accoudé au bord du navire, Romaric observait l'île de Falr d'un air pensif. Enfermé dans une forteresse remplie de Suéris en armes, il n'avait eu qu'une pensée : en sortir pour sauver sa peau. En cas de combat, les Suéris étaient redoutables au corps à corps. Une machine de guerre blindée qu'aucune peur ou douleur ne pouvait arrêter. Romaric les avait déjà combattu. Ceux qui avaient atteint ses rangs y avaient fait des ravages, et, lorsque le seigneur qu'il servait avait donné l'ordre de la charge, le mercenaire avait pu constater la puissance d'un mur de Suéris résolus et ancrés sur leurs talons. Ils étaient finalement tous morts, mais à un prix exorbitant. La leçon s'était gravée en lettres de feu dans la mémoire du chef mercenaire : jamais, au grand jamais, il ne fallait engager les Suéris au corps-à-corps.

Mais maintenant, il se faisait la réflexion que l'île était grande. Immense, même, pour un aussi petit nombre d'hommes. La forêt offrait de nombreuses cachettes et points d'embuscade, ainsi que de la subsistance pour une longue durée. Romaric était né dans les Méridianes et n'avait aucune envie de passer l'hiver dans cette île glaciale et éloignée de tout. Mais cela lui laissait quelques semaines. Et il n'avait pas plus envie de revenir vers Henri de Kassel avec uniquement quelques vagues indices et suppositions. Quoique... ses deux éclaireurs qui étaient revenus avaient repéré, en possession des hommes de Ragnar, un navire dont la description correspondait à celui du navire perdu. Ceci n'avait rien de vague.

Mais il y avait là une question d'ego. Et, au-delà, de préservation de son autorité. Que deux hommes meurent sans que le reste de la troupe n'ait vu couler le sang de l'ennemi était très mauvais pour le moral.

Nous y allons. Tout le monde débarque. Il nous faut un endroit tranquille pour ne pas être repérés trop vite. Contourne l'île par l'Est. Nous allons accoster plus au Nord, ensuite nous ferons le point.



Quelques heures plus tard, l'Arc Blême avait débarqué. Les hommes montèrent le camp en pleine forêt, abattant les arbres avec efficacité pour créer une palissade sommaire. Pas de quoi arrêter une vraie charge, mais suffisamment pour laisser le temps aux hommes de s'organiser en cas d'attaque. Et ça ne laissait que deux issues à surveiller.

Le sort des esclaves posait problème. Si la nourriture venait à manquer, il faudrait les tuer. Mais, en attendant, ils pouvaient être utiles pour permettre aux hommes de se détendre.

Après avoir organisé les tours de garde et le camp, Romaric prit une vingtaine d'hommes avec lui. Si deux hommes se faisaient tuer, avec une vingtaine, il saurait de quoi il retournait.

Formation échelonnée. Par groupes de quatre. Distance maximale possible sans perdre de vue le groupe précédent.

Cette tactique permettait d'être sûr d'obtenir des indices sur les attaquants si le premier groupe tombait dans une embuscade, tout en permettant à chaque groupe de se protéger, notamment par la puissance de leurs arcs. Romaric se plaça dans le premier groupe et la troupe se mit en marche.

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Romaric de Boiscendré
Chef Mercenaire

Romaric de Boiscendré


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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeDim 17 Juil 2011 - 1:36

Les éclaireurs portés disparus avaient été débarqués à un endroit discret du côté sud de l'île, et avaient remonté la côte vers l'est. Romaric et ses hommes firent le même trajet en sens inverse. Suivant la côte orientale de Falr vers le sud, ils obliquèrent ensuite vers l'ouest. A plusieurs reprises, ils firent halte pour manger, mais Romaric interdit formellement que l'on fasse du feu.

En fin de soirée, après qu'ils aient franchi une rivière, une âcre odeur frappa les narines des hommes. Tous connaissaient cette senteur. Celle de la chair en décomposition. Aussi, alors qu'ils se dirigeaient vers la source de l'odeur, tous savaient ce qu'ils allaient trouver.

Et bien sûr, tous avaient raison. Les hommes firent un cercle autour de la fosse dans lequel se trouvait le corps décapité.

Merde. C'est Lié.

Le corps, encore cambré comme si la mort avait figé sa souffrance, était transpercé par trois pieux : deux dans le dos, un dans la cuisse.

Romaric regarda l'homme qui venait de parler d'un air dur.

Pieric. Tu es notre meilleur pisteur. Descends dans la fosse et dis-nous ce que tu en penses.

L'homme fit une grimace mais il savait que c'était nécessaire. Saisissant la corde qu'on lui offrait, il s'approcha du cadavre en grimaçant. Les gros prédateurs n'avaient pas pu descendre prendre leur part du festin, mais vers, insectes et corbeaux ne s'en étaient pas privés.

Aussitôt au fond, l'homme se mit au travail. Quel que soit le dégoût que lui inspirait la proximité d'un cadavre putréfié, il adorait relever les indices, essayer de comprendre, traquer. Et il y excellait.

Il a déchargé juste en mourant. Soit il a été étranglé puis balancé ici, soit son adversaire était une femme. Vu la taille des pieds, je pencherais plutôt pour la deuxième option.


Lié n'a jamais compris que le sexe et la guerre, c'était à deux moments différents. Quoi d'autre ?

Il est mort depuis deux ou trois jours. Pas longtemps après qu'ils soient arrivés sur l'île en tout cas. Les Suéris sont peut-être meilleurs qu'on ne le pensait question guerre de harcèlement. Sinon, il a un gros hématome autour de la cheville.

Piéric trancha les chausses du mort pour illustrer son propos.

Ce qui signifie qu'il était déjà tombé dans un piège similaire. Ce qui signifie aussi que la forêt est probablement truffée de pièges.

Le commentaire de Piéric sur la valeur militaire des Suéris avaient agacé Romaric, qui s'apprêtait à lui faire une remontrance, mais sa dernière découverte et ce qu'elle impliquait avaient éveillé son intérêt.

Pas mal. Comment tu as trouvé ça ?

Piéric haussa les épaules.

Les chausses étaient froissées et couvertes de terre, mais seulement sur une jambe. Il était logique que je vérifie. Il a peut-être même eu un ou deux os cassés, mais dans la fièvre du combat, il ne s'en est pas rendu compte. Possible, je n'en sais rien. Il faudrait que je voie le piège pour être plus précis.

Nous allons remonter les traces. Marchez bien dedans, au cas où il y aurait d'autres pièges.




Quelques minutes plus tard, ils découvrirent la scène du combat.

Ouais, fit Piéric. Le piège n'était pas parmi les pires. Le genre qui immobilise un animal aux pattes courtes, comme un sanglier. Rien d'insurmontable pour un humain.

La fille. Elle était seule ?

Piéric haussa les épaules.

Difficile à dire. En tout cas ils n'étaient pas plus de deux. Il y en avait un sur le rocher. Enfin je pense. C'est ce que j'aurais fait à sa place. Meilleur angle de vue. Et si je pense ça... il y a des chances que nos gars aussi. Et qu'ils aient fait une victime.

Il escalada le rocher, avec difficulté. Piéric ne se caractérisait pas par son agilité lors des exercices d'escalade, malgré son talent pour lire les traces.

Bien vu. Il y a un peu de sang. Ils ont blessé la fille. Ou son compagnon si elle en a un.

Gravement ?

Romaric bénissait la sécheresse des derniers jours, qui conservait si bien les indices.

Piéric souffla bruyamment par le nez.

Je me suis déjà fait saigner plus que ça en me rasant. En tout cas, ça confirme qu'elle était sur le rocher. Bon, qu'est-ce qu'on fait ?

Romaric leva les yeux au ciel, le temps de réfléchir. S'ils n'avaient toujours pas fait couler le sang de l'ennemi, il y avait tout de même quelques informations intéressantes à étudier.

D'abord, ils savent que nous sommes encore ici. Rodéric a été fait prisonnier, et il va probablement dire aux Suéris tout ce qu'il sait. Ensuite, il y a des pièges dans la forêt, et nous ne connaissons pas les lieux.

Des informations intéressantes, oui, mais qui n'étaient pas à l'avantage de l'Arc Blême.

Ils savent que nous sommes là. Inutile de tenter de passer inaperçus. Nous allons changer de stratégie. Nous allons faire ce que j'ai suggéré : interroger les villageois.


Un sourire terrifiant fendit son visage à ces mots.

Nous aurons des informations. Et nous terroriserons les Suéris dans leur citadelle. Lorsqu'ils en sortiront pour tenter de nous affronter, ils s'offriront à nos flèches. Parce qu'ils seront épuisés par des semaines de peur et de colère, par des semaines d'une existence rythmée par la découverte de guerriers et de villageois affreusement mutilés. Ils seront en colère et voudront se venger. Ce sera leur mort.


Romaric savait que lorsque l'émotionnel prenait le pas sur l'intelligence tactique, c'était la porte ouverte au désastre. C'était pourquoi il était si bon dans sa partie : il ne ressentait jamais rien. Mais il était capable de faire ressentir aux autres... Oh, oui, il savait même très bien faire. Il le montrerait cette fois encore.

Mais d'abord, il nous faut connaître mieux les lieux. Nous retournons au camp. Nous analysons le terrain. Ensuite, nous passerons à l'action.
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Rowan Altenberg

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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeLun 1 Aoû 2011 - 18:36

Et voilà... Maintenant ça va devenir vraiment intéressant.

Perchée dans le creux du feuillage dense d'un gros arbre, Rowan observe le groupe d'intrus depuis un moment. Elle les a vus découvrir la fosse, puis suivre les traces vers le piège à sanglier, puis grimper sur le rocher. Ils sont forts. Le pisteur, en tout cas. La chasseresse le regarde travailler avec l'oeil appréciateur de qui connaît aussi le boulot. Elle entend vaguement leurs voix quand le vent souffle un brin plus fort, mais elle ne comprend presque aucun mot, elle est trop loin. A peine quelque chose qui ressemble à "villageois", un "colère" très net, et un autre mot qui la trouble beaucoup, "mutilé". L'homme qui parle n'est ni le plus grand ni le plus fort, mais il est clairement le chef du groupe. Ca se sent dans son port de tête, dans la manière qu'ont les autres de le regarder. Les hommes ont, même s'ils s'en défendent le plus souvent, un comportement de meute. Et si celui-là n'est ni le plus fort, ni le plus grand, c'est donc qu'il a des atouts autres.

Le plus intelligent. Ou le plus prompt à tuer. Ou les deux...

Rowan rampe sur la grosse branche qui lui sert de perchoir, pour s'approcher des frondaisons et mieux distinguer Romaric à travers leur réseau serré. Elle connaît la branche depuis longtemps, elle s'en sert souvent lors de ses affûts à l'ours ou au sanglier. C'est un endroit parfait pour voir arriver le gibier et décocher quelques flèches bien senties. Un endroit idéal aussi où grimper en un éclair, à gestes rodés par une habitude de plusieurs années, alors qu'on suit depuis deux heures un groupe d'hommes dans la forêt, quand on sait où ils vont immanquablement diriger leurs pas... Elle scrute le visage lointain de l'homme qui parle de mutiler. Ce n'est pas de la charogne dans le trou qu'il parle, elle en jurerait. Il ne regarde pas vers la fosse, ni aucun des autres hommes. Et leur sourire à eux... Tandis qu'elle les espionne, elle sent une haine tranquille et silencieuse lui tourner au creux du ventre, comme une vague nausée. Ces hommes aiment mutiler. Ils aiment briser. C'est un jeu pour eux.

Alors nous jouerons, mes chers nouveaux amis... Nous jouerons ensemble.

Le groupe repart et Rowan glisse en arrière, puis descend de son perchoir à longs gestes souples et assurés. Ses pieds chaussés de peau souple touchent terre, et elle se met en marche à leur suite, calmement, sans hâte. Leurs traces seront claires, il faut juste être prudente et repérer à temps l'homme qu'ils laisseraient en chemin pour couvrir leurs arrières.

Elle les suivra plusieurs heures, et trouvera le camps. Elle cherchera le meilleur point d'observation, le plus idéalement proche et lointain à la fois, le plus indécelable, facile d'accès et offrant suffisamment de possibilités de fuite. Elle restera jusqu'à la nuit à guetter leurs mouvements, à compter les hommes, à les regarder s'entraîner. Puis elle repartira, légère et rapide comme une bête des bois. Pour revenir, tous les jours, plusieurs heures d'affilée. Repérer leurs sentinelles, l'endroit où elles se postent, tracer dans sa tête les chemins qu'elle peut prendre et ceux qu'elle doit éviter.

Quand, plusieurs jours plus tard, un groupe de quatre hommes ramènera au campement le premier gamin pris dans les bois à ramasser des fruits sauvages, elle sera là aussi, ombre immobile plaquée contre le tronc d'un gros chêne, une ombre aux yeux jaunes, fixes, brûlant d'un feu étrangement animal, froid et métallique. Et elle entendra ses cris.
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Romaric de Boiscendré
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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeMar 2 Aoû 2011 - 0:51

Tous entendaient les cris. Le gosse hurlait tout ce qu'il savait. Dès qu'ils l'avaient ramené au campement, ils l'avaient fait courir, chacun le taillant d'un coup de lame ou lui plantant une flèche dans un membre.En rampant, il s'était uriné dessus, alors l'un des hommes lui avait tranché le pénis d'un coup de dague.

Et maintenant, le même approchait son visage souriant de celui baigné de larmes de l'enfant, sa dague pointée pour lui crever lentement un œil. Romaric avait parlé de mutilation, et ses hommes ne faisaient pas les choses à moitié. La lame s'avança, effleura les sourcils du garçon, dont les cris se turent d'un coup. La lame se retira, tandis que l'homme qui la tenait contemplait d'un air incrédule la flèche blanche empennée de noir qui s'était plantée dans le crâne de l'enfant, à un pied à peine de son propre visage. Levant les yeux, il vit Romaric à une quarantaine de pas de là, qui s'avançait à grandes enjambées.

J'ai parlé de mutilations. Je n'ai jamais parlé de tortures. Il est tout à fait possible de le mutiler post-mortem.

Quelques hommes levèrent un sourcil incrédule. D'habitude, cela ne le gênait pas outre mesure. Mais personne n'osa protester. Le regard de Romaric brillait d'une lueur dangereuse et les doigts du maître archer dansaient sur la corde de son arc comme les mains d'un harpiste impatient de jouer son morceau. Avec la mort pour donner le rythme.

Romaric s'absorba pensivement dans la contemplation du cadavre. Son regard plongeant dans les yeux morts du garçonnet, comme pour y chercher encore une lueur de vie. Et, l'espace d'un fugitif instant, il lui sembla voir l'étincelle de vie danser encore, rien que le temps d'un battement de cils, avant de s'éteindre. Un sourd malaise l'étreignit.

Il se racla la gorge.

Portez-le près du village. Qu'ils le trouvent assez facilement. N'oubliez pas de brouiller vos traces et vos odeurs, qu'une battue des villageois ne suffise pas à localiser notre camp.

Cela allait normalement sans dire, mais mieux encore en le disant.

Et rendez-le un peu plus "présentable". Mettez-lui ses testicules dans la bouche, ouvrez-lui le ventre pour en enlever ses tripes et mettre à la place les fruits qu'il cueillait pour ses adorables parents. Et, pour alléger un peu leur peine, ouvrez-lui un peu la bouche en sourire à la lame. N'en faites pas trop, pas de surenchère dans l'horreur, ce sera amplement suffisant. Allez.

Romaric donna encore quelques ordres pour que la garde soit doublée à partir de maintenant, avant de rentrer précipitamment sous sa tente, sous les regards curieux des quelques soldats qui avaient remarqué son trouble.





Ce morveux ressemblait tellement à Guillaume...


Je n'avais pas le choix.


Romaric scruta longuement son visage dans le miroir, essayant d'y trouver une ressemblance entre le garçon et lui. L'enfant lui rappelait son frère jumeau, qui avait le même visage que lui. Et pourtant, il n'arrivait pas à voir la moindre ressemblance entre lui et le garçon.

POURQUOI ?

La rage monta en lui, et soudainement, la vue du miroir lui devint insupportable.


-J'ai fait ce que j'ai toujours fait. J'ai fait...

-Ce qui était juste ?


Dans le miroir, son frère, celui qui avait réussi, le regardait avec un mépris amusé. Romaric n'arrivait pas à l'apercevoir vraiment, mais parfois, il apparaissait fugitivement, uniquement pour se gausser de lui.

D'un grand geste, il le précipita au sol où il se fracassa. L'esclave agenouillée à l'entrée de la tente sursauta. Il ne l'avait pas vue. Les esclaves n'étaient rien, et au bout d'un moment, plus personne ne les voyait. Ce n'était pas un problème du moment qu'on s'assurait qu'ils gardaient les secrets de leur propriétaire. La fureur de Romaric s'enflamma en un feu incontrôlable et il saisit son épée, la pointant vers la jeune fille. Il tendit le bras d'un coup sec. La lame s'enfonça d'à peine une épaisseur de doigt en plein milieu de la poitrine de l'esclave, et ressortit aussitôt. Romaric tremblait de tous ses membres, se contrôlant à grand peine.

SORS !

L'esclave s'exécuta aussitôt, et Romaric se retrouva seul, seul avec son épée dont le bout dégouttait encore de sang. Il la laissa tomber au sol, le visage du garçon-qui-était-son-frère le fixant d'un air accusateur par chaque fragment du miroir brisé.

Et, au moment où la dépouille quasi méconnaissable de l'enfant en question était livrée aux charognards dans la forêt à à peine un jet de flèche des demeures les plus excentrées de Rhanavik, l'homme qui avait ordonné sa mort, Romaric de Boiscendré, maître archer, chef de la redoutable compagnie de l'Arc Blême, descendant d'une glorieuse famille des Méridianes et quasi-seigneur du prospère domaine de Boiscendré, était prostré sur le sol de sa tente et vomissait son déjeuner.
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Rowan Altenberg

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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeMer 24 Aoû 2011 - 22:22

Quand le cri cesse net, la chasseresse ne peut s'empêcher de sursauter. Le silence est presque aussi horrible que le cri. Le vide... ce vide-là dans l'espace et le son, si total et immédiat, peut signifier plusieurs choses, mais elle ne doute pas. Miséricorde pour lui. Tout est fini. Elle en est certaine. Un bâillon laisse passer le bruit, même s'il l'étouffe. Il pourrait être inconscient, mais elle n'y croit pas.

- " Rowan, tu veux bien me montrer ? Allez, j'te gênerai pas, promis, allez, j'ai tellement envie d'en attraper un moi-même, s'il te plaît !"

Mais elle avait souri et refusé. T'es trop petit, Gaï. Attends d'avoir de plus longues jambes.

Gaïlen, sept ans. Les dents du bonheur et un épi couleur de chanvre en plein sur l'occiput. Rêvant d'être le plus grand chasseur du village pour succéder à son père, Gunther, la terreur des sangliers, le fléau des biches, tombé sous la charge d'une bête plus coriace que prévu, trois ans plus tôt. Grand frère d'une petite Alva toute en boucles claires et en yeux myosotis. Un gamin comme les autres, féru de bêtises et semant ses petites gaffes inoffensives dans les pieds des adultes qui ne lui avaient jamais filé grand chose de pire qu'un coup de pied au cul sans grande conviction.

Rowan est à moitié surprise de se rendre compte qu'elle a le visage noyé de larmes. Et que ses dents sont tellement serrées qu'elle en a mal aux joues.

Elle suit d'un regard saignant de haine les hommes qui quittent le camp, chargés d'un gros sac et, à la grande révolte de son estomac, de deux petits. Après quelques instants d'hésitation, elle se coule hors de sa cachette. Toute son attention est tendue sur ses gestes, lenteur et fluidité, tension et détente, ne pas briser de branche, de pas érafler l'écorce. Une concentration nécessaire, autant pour ne pas griller son point d'observation que pour contenir loin d'elle les images qui lui sont venues en tête à entendre les hurlements de Gaï.

Et je n'ai pas bougé. Je ne pouvais rien faire. Rien.

Mais il est très difficile de se convaincre de ça...



La nuit est tombée et la coureuse des bois ne trouve pas le sommeil. Dès qu'elle ferme les yeux les cris lui sonnent aux oreilles, l'odeur du sang lui envahit les narines, la vision de chairs déchirées, d'entrailles répandues.

Des monstres. Les animaux ne font pas ça. Ceux-là sont des monstres.

Elle se retourne une fois de plus sous sa fourrure qui lui tient trop chaud, finit par la dégager d'un grand coup de pied furieux. Ses yeux, dans les ténèbres à peine baignées de lune, flamboient un peu, comme ceux des loups.

Monstres.

Ils ont disposé le corps près de l'orée du bois, là où le premier villageois venu le trouvera. Pour susciter la peur, sans doute, l'insécurité, le trouble, pourquoi d'autre ? Elle l'a trouvé alors que plusieurs animaux avaient déjà commencé à en faire leur repas. Que les charognards ripaillent, elle ne les a pas chassés. Nourrir les vivants, voilà un retour naturel de la mort vers la vie. C'est juste, c'est propre. Mieux veut que sa mère le voit becqueté par les oiseaux, au moins une part de ses horribles blessures passeront pour naturelles...

Tu mens. Tu as fui.

Rowan cille. C'est vrai. Elle n'a pas pu le toucher. Pas pu s'en approcher. Pas eu la force de l'emmener vers le village et d'expliquer aux habitants ce qui lui était arrivé, à ce gentil gamin qu'elle aimait bien.
Parce qu'ils auraient pu ne pas la croire.
Parce qu'ils se sont toujours défié d'elle, à part quelques uns qui la connaissent mieux, une distance qu'elle a voulue, entretenue avec soin...
Parce qu'elle aurait du expliquer pourquoi elle n'avait rien tenté pour le sauver...

La jeune femme finit par se lever, renonçant à son lit, et sort dans la clairière où se dresse sa chaumière. La lune est belle, très claire. Le visage levé, elle ferme les yeux, se laisse laver par la lumière. La lune...

S'il était là, j'y serais allée. Je serais allée à la forteresse et je lui aurais raconté. Lui, il m'aurait crue.

Ivar, l'homme à la carrure d'ours, la croirait sans doute aussi. Pour quelle raison a-t-elle peur de lui parler, à lui, elle l'ignore. Une incertitude bizarre lui étreint le coeur à l'idée qu'alors les hommes de la forteresse s'armeraient et partiraient à l'assaut. Le campement des intrus est vaste, bien organisé, bien gardé. Ils sont nombreux, là-dedans. Et surtout, plus... plus sournois. Plus mauvais. Leur noirceur, elle la voit comme une huile noire qui souillerait sa forêt, sa forêt à elle. Les guerriers de Ragnar sont des clartés rouges, les villageois de pâles lueurs indécises, pas assez vives. Trop visibles, trop directes, trop rares. Ils ne peuvent pas vaincre. Pas sans lui. Lui, il est assez lumineux pour ôter cette souillure de sa terre.

Mais en attendant qu'il revienne...

La chasseresse a rouvert les yeux et elle fixe la lune. Les dents serrées et le corps tendu, elle s'imprègne des odeurs nocturnes, de la fraîcheur humide de l'herbe sous ses pieds, elle goûte la brise sur sa peau nue. Elle ne sourit pas, mais son regard prend un éclat différent, féroce.

En attendant, ils vont apprendre à avoir peur, eux aussi.
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Romaric de Boiscendré
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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeVen 26 Aoû 2011 - 22:14

Romaric fit un nœud coulant, le serra. Puis, bandant toute la force de ses muscles d'archer, il tordit la tige, qui gémit avant de se laisser plier. Il fixa la deuxième extrémité de la corde. Ses doigts jouèrent avec allégresse sur son instrument de mort. Une arme magnifique. Savoir-faire étranger. Romaric n'avait jamais su d'où. Il avait eu la bonne fortune de capturer un homme qui venait de l'autre côté des immenses marais du Mitteflüssen. Ce que l'étranger était venu faire en Eiralie, Romaric n'en avait cure. D'ailleurs, sa langue n'était pas celle des royaumes de l'est, il venait manifestement d'un autre pays. D'un endroit où les gens savaient apparemment tirer à l'arc. Il lui avait montré comment créer le sien en le taillant dans une corne d'aurochs, ou encore en le faisant forger dans une bande d'acier.

Romaric préférait l'aurochs. Sans être d'une grande ferveur religieuse, il pensait confusément que tuer l'animal qui lui ferait don de sa future arme lui permettait une meilleure maîtrise de cette dernière. Et les arcs qui sortaient de ses mains étaient d'un blanc spectral, résistants à l'humidité, puissants et mortels. Tel était le secret de l'Arc Blême.

Il avait évalué ses arcs. Le premier avait une poussée de cinquante livres, ce qui était déjà respectable. Mais, à force d'entraînement, il maniait un jour un arc d'une poussée de cent livres. Un outil si puissant qu'il devait faire faire ses flèches sur mesure s'il voulait avoir une chance d'en récupérer une intacte.

L'attente était le plus difficile. Après leur action, Romaric savait que les Suéris attaqueraient. Poussés par l'orgueil, l'envie de vengeance, la colère, la soif de combats et de gloire, peu importait. Ils viendraient. En foule hurlante dans le meilleur des cas, en formation compacte dans le pire. Romaric envisageait toujours le pire, tout en espérant le meilleur. Même s'ils formaient un mur de boucliers, il serait probablement possible de le rompre par des tirs puissants, surtout à courte portée. C'était le problème principal. A longue distance, les flèches seraient gênantes, mais feraient peu de dégâts. A courte distance, elles pouvaient, sans le traverser totalement, transpercer un bouclier. Ou le repousser assez pour que l'homme qui le portait s'assomme à moitié avec. Mais la pensée d'un Suéri à courte distance, assommé seulement à moitié et armé d'une hache capable de fendre un crâne en deux, était pour le moins déplaisante.

Le maître archer avait mis en place des tours de garde renforcés, mais l'attente serait difficile à gérer. Si la situation pourrissait trop, il lancerait une autre attaque, mais préférait en attendant éviter les risques inutiles.

La vue d'un homme sortant du camp pour aller uriner dans les bois retint un moment son attention, mais il avait mieux à faire. Ce n'était pas comme si un guerrier suéri vêtu de son armure intégrale allait se dissimuler dans une fourmilière. La forêt appartenait à l'Arc Blême.

Romaric sortit une flèche de son carquois, l'encocha. S'accroupit, pour se redresser d'un bond. L'archerie de guerre n'exigeait pas que de la précision comme dans les tournois où les champions avaient tout le temps de se concentrer. Il fallait aussi des nerfs d'acier, des bons réflexes et le coup d'œil pour tirer d'instinct au bon endroit. Combien de grands archers avaient paniqué en découvrant un ennemi au corps-à-corps, et étaient morts parce qu'ils avaient trop l'habitude des tournois d'archerie...
En se redressant, il tira. La flèche vint se planter dans le rond de bois situé à une dizaine de mètres, à moins de deux pouces du centre de la cible. Déjà, une autre flèche dansait dans les mains de l'artiste, volait dans les airs, faisait exploser une latte de bois. Une autre suivit. Puis une autre. Puis une autre.

Peu à peu, plusieurs de ses hommes vinrent admirer son ballet mortel. Après tout, c'était bien la seule chose intéressante susceptible de se passer dans cette forêt d'ici l'attaque suérie.
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Rowan Altenberg

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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeLun 19 Sep 2011 - 20:59

A son poste.
Immobile, silencieuse.
Totalement paisible, comme l'arbre.
En attente, comme l'arbre toujours, quand la pluie tarde à tomber. Il n'y est rien qu'on puisse faire, que patienter et espérer.

Rowan se fond presque totalement dans l'ombre mouchetée qui règne sous les feuilles du grand arbre. Le brun sourd de ses vêtements usés, le cuir brut de ses bottes et des lanières qui retiennent ses lames sont presque invisibles contre l'écorce rugueuse et tavelée de lichen. Le métal de ses lames est masqué sous une couche de cire. Elle est perchée sur cette branche, le dos plaqué au tronc, depuis avant le lever du soleil. Elle connaît le moment où il lui faut escalader ce tronc, quand la sentinelle qui pourrait la voir fait quelques pas de côtés, peu avant l'aube, parce que le sommeil la gagne et qu'il lui faut bouger. Pendant qu'il parle à voix basse avec l'un de ses compères, ou qu'il boit une louchée d'eau, ou qu'il pisse contre un tronc, elle grimpe. Quand il revient à son poste en soupirant et en baillant, elle est déjà installée.

Les deux nuits précédentes elle a mis en place les dispositifs les plus éloignés, et cette nuit, à la lune noire, elle a poussé la hardiesse jusqu'à se risquer presque en vue de la palissade, pour, en quelques gestes rapides, en installer quelques uns de plus. Pour l'instant, les hommes du camps se tiennent tranquilles, les rares qui se sont aventurés sur les sentiers ont eu de la chance.
Pour l'instant.

La chasseresse suit des yeux un grand type qui s'avance dans une flaque de soleil, après un geste à la sentinelle. Il contourne un groupe de rochers, fourrage sous ses chausses et se dirige vers un buisson avec l'intention manifeste de l'arroser de pisse, comme il l'a déjà fait les deux jours précédents, à plusieurs reprises. Certains hommes ont leurs petites habitudes, et s'y tiennent.

Le type qui s'était immobilisé devant le buisson sursaute, puis bascule sans un cri. Le bruit de son corps heurtant le sol fait penser au choc d'un gros tas de linge sale sur un plancher, mou et mat. Il reste immobile, les yeux ouverts, l'air surpris. La fléchette est à peine visible, plantée dans sa gorge.

Rowan sourit, un sourire froid et un peu effrayant. D'où elle est, elle voit très bien l'homme mort, par-dessus les rochers, même s'il est assez loin d'elle, soigneusement loin d'elle en vérité, attentive qu'elle a été à éloigner les soupçons de son perchoir, même si elle ne l'utilisera plus et en a déjà sélectionné un autre, de l'autre côté du campement. Elle voit l'homme, mais ses compagnons ne le trouveront peut-être pas tout de suite, caché qu'il est dans ce recoin entre pierres et buissons, ses petites latrines personnelles.

Avec un peu de chance, d'autres se laisseront prendre aux pièges qu'elle a disséminés autour de leur campement, sur leurs sentiers préférés. Il y a les casse-cheville comme ceux qui ont piégé le prisonnier de la forteresse, mais cette fois enduits de cette sève qui corrompt la chair et la gangrène dix fois plus vite que la normale. Il y a les collets à contrepoids, plus promptement meurtriers. Il y a les pièges à fléchettes enduites de venin, comme celui qui a tué l'infortuné pisseur qui gît là-bas plus bas. La grosse pierre à peine équilibrée par cette petite cale reliée à une fibre, qui roulera dans la pente et entraînera avec elle une foule d'autres plus petites, là, au bord de la rivière où ils vont s'approvisionner. Il se pourrait que certains animaux suffisamment gros s'y laissent prendre, sauf que ces animaux-là se sont déjà éloignés de cette partie de la forêt. Parce qu'ils les sentent, et parce qu'ils sentent aussi les odeurs qu'elle a semé en un vaste cercle autour du campement, en cachant au pied des troncs et dans les creux des roches des excréments d'ours qu'elle a déjà renouvelé deux fois.

Non, peu de chances que les animaux soient victimes de ses pièges.
Par contre, le groupe de chasseurs qui est parti ce matin à l'aube...

Un cri retentit assez loin à l'Ouest, le grand froissement de branches du jeune arbre qui se redresse emportant son pendu dans les airs. La fille rousse ne bouge pas. Juste ses lèvres qui se retroussent à gauche sur la blancheur des dents, et l'éclat mauvais et sauvage qui revient habiter ses yeux jaunes.

Deux. Plus ceux qui sont morts sans crier.
La journée sera bonne.

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Romaric de Boiscendré
Chef Mercenaire

Romaric de Boiscendré


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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeSam 24 Sep 2011 - 21:05

La plaque de chêne massif, épaisse d'un pouce, éclata sous l'impact, la flèche s'y enfonçant de la longueur d'une paume. Preuve était faite que, à une dizaine de pas, les arcs de Romaric et de ses hommes pouvaient transpercer un avant-bras derrière le bouclier. A condition que celui-ci ne soit pas renforcé en son centre d'une demi-sphère de métal comme c'était le cas de beaucoup. En plus de dévier les tirs et les coups, cet ajout permettait de transformer le bouclier en une arme redoutable susceptible de briser les os du visage.

Ne pas les affronter au corps-à-corps. Surtout pas. Pas avant qu'ils ne soient gravement blessés et démoralisés.

La position de l'Arc Blême était inconfortable, tactiquement parlant. Face à une force supérieure en nombre et retranchée dans une forteresse, l'assaut était exclu. Les attirer maintenant dans un conflit frontal aurait pour conséquences un combat incertain et susceptible de générer de fortes pertes chez les mercenaires. Et s'il y avait deux choses qu'un chef mercenaire devait éviter à tout prix, c'était bien les pertes et les incertitudes. La seule option était une guerre d'usure. Mais même celle-ci ne pouvait durer trop longtemps. Les hommes de l'Arc Blême n'étaient pas sur leur terrain, et ceci finirait tôt ou tard par avoir des conséquences, Romaric en était tout à fait conscient.

C'est avec un sentiment d'optimisme raisonné que l'ancien héritier de Boiscendré alla récupérer ses flèches. Mettre les Suéris en déroute était une tâche difficile, mais réalisable. Ce sentiment perdura jusqu'à ce qu'une estafette à bout de souffle fasse irruption dans sa tente, alors qu'il s'y rafraîchissait après sa séance d'entraînement.

Quatre sentinelles manquent à l'appel, Romaric. On a retrouvé les corps de trois d'entre elles. Assassinées.

Le chef mercenaire garda le silence, le temps de digérer l'information.

Ceci ne porte pas la marque des Suéris. Nous avons un autre ennemi.

Le regard glacé du maître archer se porta sur l'homme.

Vraiment ? Quelles preuves en as-tu ?

Je... Je...

Tu n'es peut-être pas parmi nous depuis assez longtemps pour le savoir, alors je vais t'informer moi-même : dans l'Arc Blême, ceux qui parlent vite meurent tout aussi vite. Va me chercher Piéric. Lui, il sait de quoi il parle. Il saura nous dire ce qu'il en est.

L'homme fit une révérence tremblante avant de s'éclipser, laissant Romaric seul avec ses pensées. Il avait raison, bien sûr. Les Suéris ne s'étaient jamais illustré par leur compétence en matière de guérilla sylvestre. Mais la peur était ce qui aidait les hommes à rester à leur place, et il fallait l'utiliser intelligemment de temps en temps.

Il resta debout sur place, jusqu'à l'arrivée du pisteur.

Prends la tête d'un peloton d'une vingtaine d'hommes. Cherchez tous les indices possibles. Et soyez sur vos gardes. Je te tiendrai personnellement responsable de toute nouvelle perte aujourd'hui.

Quelques heures plus tard, l'expédition de reconnaissance était de retour.

Des pièges. Et les mêmes traces que celles près du corps de Lié. Une femme seule, ça ne fait aucun doute.

Piéric se tenait debout dans la tente, jambes écartées, dans une attitude rigide et vaguement militaire. Probablement un héritage de sa carrière en tant qu'éclaireur sous les ordres de Roland de Peyrefendre, avant qu'il ne se tourne vers d'autres horizons, plus lucratifs.

La femme...

S'est échappée. Aucune perte dans le camp ennemi.

Il y eut un long silence, mais chacun pouvait percevoir les pensées de l'autre. Au total six hommes étaient tombés. Soit environ un combattant sur dix. Des pertes très significatives, infligées par une seule personne ? Ce serait mauvais pour le moral. Très mauvais.

Ne dis rien aux hommes. Dis simplement qu'une troupe ennemie nous harcèle et qu'ils doivent se tenir sur leurs gardes. Quand à la manière d'éliminer la menace...

Romaric jeta un coup d’œil aux esclaves. Ils cesseraient bientôt d'être des distractions et des marchandises rentables, pour devenir des bouches inutiles à nourrir.

La fille voudra recommencer. Nous allons procéder comme pour chasser un loup. Nous allons attacher une chèvre... Les esclaves feront la chèvre. La plupart sont assez dociles pour accepter gentiment de jouer le rôle de la sentinelle... Et nous dissimulerons quelques groupes d'hommes discrets à proximité. Prenez-la vivante si possible, morte au besoin.

Romaric avait réagi avec l'esprit de décision et la vivacité digne du chef d'une bande de mercenaires d'élite en cette époque troublée. Quelques heures plus tard, quelques pièges stratégiquement placés par Piéric parsemaient la forêt. Et quelques hommes équipés comme des mercenaires faisaient les cent pas à l'extérieur du camp, insouciants du danger comme de leur liberté perdue.
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Rowan Altenberg

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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeDim 23 Oct 2011 - 23:09

Qu'est-ce que c'est que cette comédie ?

Rowan, immobile au creux des bras d'un grand frêne particulièrement touffu, fronce les sourcils. Elle est loin, plus loin qu'elle ne l'était depuis ses cachettes précédentes, mais elle a une vue perçante. suffisamment perçante en tout cas pour que ça lui saute aux yeux.

Ce type-là n'est pas des leurs. Qu'est-ce qu'il fout avec leur défroque sur le dos ?

C'est préoccupant. Pas inquiétant, non, pas encore. Préoccupant. La chasseresse se déplace dans l'arbre, rampe le long de la branche, vers le point d'où elle aura une vue plus dégagée. Lentement, précautionneusement. Pas un seul mouvement qui ne soit adouci, mesuré, fluide. Elle glisse, elle s'écoule, doucement et paresseusement, comme une goutte de sève le long d'une branche cassée. Arrivée à la fourche, elle se tapit dans les feuillages et plisse un peu les paupières.

Aucun doute.

Les épaules, c'est net, un peu trop arrondies. Et le pas un rien trop bref. Elle en est certaine, ce gars qui passe et repasse devant la palissade, là-bas, n'est pas l'un de ceux qu'elle a l'habitude de voir. Ses regards vers les deux hommes en faction à la porte son trop fréquents. L'épée à son côté a l'air de le démanger. Il y a quelque chose de pas net...

Elle reste blottie sur sa branche comme un chat sauvage, pensive. Qui y a-t-il dans ce campement ? Des guerriers, des archers, des prisonniers, et sans doute un contingent d'esclaves. L'homme là-dessous n'est pas un guerrier. Ou ne l'est plus. Dans ce cas, que peut-il être.
Que peut-il être d'autre ?

Les ordures. Ils envoient des cailloux dans mes pièges. Des cailloux vivants.

La bouche pincée en une moue à la fois dégoûtée et contrariée, la rousse reste les yeux fixés sur la sentinelle. Evidemment, il fallait s'attendre à une réaction, en fin de compte. Ils n'allaient pas rester à se laisser zigouiller par paquets de deux bien gentiment. Ils cherchent sans doute à la faire se trahir. Un pincement d'angoisse au coeur, Rowan se dit qu'heureusement, ils n'ont pas eu la belle idée d'aller pécher un autre môme du côté du village. Ca, elle aurait difficilement supporté.

Bon, exclu de poser d'autres pièges près du campement, donc. Buter de l'esclave, ça n'a aucun intérêt. Par contre, il y a peu de chances qu'ils laissent s'aventurer leur cheptel trop loin du camp. Le risque de les voir se carapater avec leur joli déguisement serait trop grand. Donc, on oublie les pièges proches, mais on peut continuer à leur semer des petites surprises un peu plus loin. Mais prudence. Ils ont sans doute tendu leurs propres pièges, il s'agira de redoubler d'attention, et de ne jamais rentrer chez elle sans être archi-certaine que ses traces ne peuvent être suivies.

Deux heures se passent, trois. La nuit commence à tomber, et Rowan est toujours immobile. De retour contre le tronc accueillant de l'arbre, elle somnole en attendant la bonne heure, le creux de la nuit, après le coucher de la lune. L'heure où la vigilance se relâche, où les paupières clignent. Le moment venu, elle est prête, éveillée, fraîche et attentive comme un animal nocturne sur le point de partir chasser. Elle connaît l'heure de la relève, et le léger tumulte, les quelques mots échangés. elle est loin du camps, de profonds fourrés cachent le pied de son arbre, mais on n'est jamais trop précautionneux. Elle descend en souplesse, côté opposé du tronc, se glisse sous les buissons, se fige, écoute. Aucun pas qui se précipite, aucun appel, juste les voix étouffées des hommes, un bout de rire. Bien.

Légère et silencieuse comme une ombre, la chasseresse sort de sous ses fourrés, gagne le buisson suivant, selon l'itinéraire le moins découvert qu'elle a mis au point minutieusement. Ne casser aucune branchette, n'écraser que le minimum d'herbe, guetter la moindre modification dans l'environnement, la moindre trace, le moindre signe qui indiquerait qu'ils sont passés par ici. Tendue et attentive, à chaque seconde, elle s'éloigne sans précipitation, prudente, consciente que l'erreur ne pardonnerait pas. Une fois suffisamment loin, elle se redresse et poursuit sa route, le pas furtif et rapide pourtant, les sens ouverts à tout ce qui l'entoure, la conscience flottant autour d'elle, prête à se fixer en un éclair sur le détail qui révèlerait le danger.

Son chemin dévie, elle évite les pièges qu'elle a tendu, auprès desquels des hommes auraient pu s'embusquer "au cas où". Elle ne chasse pas et se fout de leurs cadavres, elle ne les tue ni pour la viande ni pour la peau. Elle n'a aucune intention d'aller relever ses collets. Mais mieux vaut être sûre de les contourner d'assez loin.

La marche est longue et sinueuse, difficile aussi quand il faut traverser des pierriers sans faire rouler les cailloux, viser les rochers pour poser le pied dans le ruisseau, car la vase risquerait de garder l'ombre d'une empreinte. Quand Rowan parvient à sa clairière, le jour est en train de se lever. Elle prend quand même le temps d'aller se plonger dans l'eau froide du torrent. Elle se sent sale, lasse, triste. Puis, nue et frissonnante, elle regagne la maisonnette et file se glisser, après un séchage sommaire, dans les fourrures qui couvrent son lit. Le furet assoupi ronchonne à peine quand elle le déplace pour le loger contre sa poitrine, petite boule chaude et douce qui respire, et qui bientôt, se remet à ronflotter sur cette petite note assourdie qui fait sourire la fille.

Dormir. Demain je n'irai pas, ils attendront pour rien. La nuit suivante j'irai voir où ils se sont postés, j'ajouterai une surprise ou deux si je trouve de bons endroits.

La pensée d'aller prévenir ceux de la forteresse vient trop tard, le sommeil lui engourdit déjà l'esprit. Quelques instants plus tard, le soleil se lève, et elle, elle dort, le nez dans la fourrure de la bestiole couleur de miel. Comme une môme effrayée qui a peur du noir et qui se cramponne au joujou ou au bout d'étoffe qui la protègera des cauchemars.



Deux nuits plus tard, il fait plus sombre encore, la lune n'est qu'une rognure d'ongle dans un ciel où courent les nuages d'un orage imminent. La traqueuse a repéré les trois hommes planqués en embuscade, et elle prépare son coup. Se montrer, s'enfuir. Ils suivront. Ces hommes-là suivent toujours. Il y en a deux près du piège, et un troisième plus loin, du côté opposé, pour la prendre à revers. Pas d'autres, elle les observe depuis plusieurs heures à présent. C'était facile. Le sentier à sangliers passe au pied de l'amas de roches, c'est le chemin le plus commode, celui aussi où les traces sont vite couvertes par celles des cochons. Elle est passé quatre fois par ce sentier, la semaine dernière. Deux des hommes sont dans les rochers, le troisième caché dans le fourré, là derrière.

Rowan réfléchit. Son piège à elle est par là, dans la direction où ils ne s'attendent sans doute pas à la voir filer. Elle en est assez fière. Elle aura deux des trois hommes, c'est certain. Le troisième sera peut-être plus difficile à tuer, mais elle se sent d'humeur à tenter sa chance, cette nuit. Le tout sera d'éviter les flèches.

La maigre lune se dévoile, c'est le moment. Elle sort de sa cachette et s'avance sur le sentier. Marcher assez vite, assez légèrement, la fille aux aguets qui se méfie, mais pas assez. Il faut qu'ils y croient. S'arrêter plusieurs pas avant le piège, juste hors de leur portée, faire mine qu'elle vient de la voir, la cordelette tendue là-bas en travers du chemin, si fine. Vite. Regarder partout, feindre l'hésitation, la peur. Ces chiens adoreront la peur. Tous les chiens adorent ça. Derrière elle elle soupçonne que celui qui est censé lui couper la route est déjà en train de sortir de son buisson. Froissement imperceptible. Oui. Ils attendent qu'elle recule, ou qu'elle fonce en avant. Mais sûrement pas à ce qu'elle saute côté rochers, presque à côté de ceux qui la guettent. Parce que voilà, elle les connaît bien, ces rochers. Un, deux, trois bonds. Un juron qui la poursuit, très près. Bien. Deux autres bonds, ne pas s'arrêter, faire confiance à ses pieds. C'est haut, cette faille profonde et large, mais elle sait qu'elle peut y arriver. Oui, continuer de l'autre côté, bond après bond, rester en mouvement, toujours. Profiter du mouvement. Pour éviter la chute, et les flèches. La seconde vient de siffler près de son épaule gauche.

Derrière elle, ça court, en silence après ce premier et unique juron. Ils sont concentrés, compétents. Elle rompt sa trajectoire plusieurs fois, pour déconcerter l'archer. Deux autres flèches ont sifflé, puis plus rien. Le son d'un cor retentit.

Merde.

Un coup d'oeil derrière l'épaule. Ils sont deux derrière elle. Pas assez près. Elle ralentit, à peine, ils ne faut pas qu'ils se doutent. Devant, elle voit le tronc abattu encerclé de taillis épais.

On y est.

Elle prend son élan, la paume sur l'écorce, elle s'élance et passe le tronc. Les poursuivants ont trois autres foulées à faire, si elle a bien mesuré la distance. Elle a un peu de marge, même si ils ne sautent pas encore, ils sont fichus.

La grosse outre est posée là, juste devant elle. Elle plonge dessus, l'écrase de tout son poids. Les boyaux qui sortent de l'étrange cornemuse se gonflent brusquement. Au-dessus de la tête rousse, les tubes de roseau fixés aux troncs voisins crachent leur fléchette. Douze tubes, douze fléchettes. Un tir dispersé, qui arrose tout l'espace entre le tronc abattu et les fourrés. Sept se perdent, cinq touchent leurs cibles...

Elle a passé un temps fou à distiller ce venin. A le concentrer. A le rendre cent fois plus mortel que la morsure de la petite vipère des roches, qui ne tue qu'en une demi-journée. Quand les hommes touchent le sol, ils sont déjà presque tétanisés. Ils ont trois minutes de vie devant eux, trois minutes à se battre pour respirer. Deux pour celui qui a pris trois fléchettes. Le veinard.

Rowan n'est pas restée à les regarder, il reste un homme à tuer. Elle a fait volte face et plongé sous le tronc, dans le petit espace creux que les renards ont creusé là quelques hivers plus tôt. L'arbalète attend, prête. Et là, par la fente large d'une paume qui sépare le tronc du sol, elle le voit. Il s'est arrêté, il doit se dire eh merde, ça ne cavale plus, il y a un souci.
Il lève son cor à nouveau.

Il est à vingt pas, un peu loin pour un tir qu'elle n'a pas le temps d'ajuster. Mais elle ne peut attendre. Alors qu'il embouche le cor, elle tire. La pointe de bois dur se fiche sous son épaule. Trop haut et pas assez au centre. Il a lâché le cor sous l'impact. Il ne soufflera pas tout de suite, c'est déjà ça.

Rowan lâche l'arbalète et sort vivement de son trou. Ne pas lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Elle repasse le tronc avec un demi-regard pour les deux morts en sursis qui convulsent sur le sol moussu. L'archer a tiré une dague de chaque main, la droite rendue gourde par la blessure sous l'épaule. Il siffle une malédiction. Elle ne répond pas. Sa main prend une des petites lames de lancer plaquées sur sa cuisse, et elle avance vers lui d'un pas presque tranquille. Quand la distance entre eux est réduite de moitié, la lame s'envole, et touche l'oeil droit.

Un instant plus tard, Rowan a disparu. Il y a deux hommes qui finissent de mourir d'un côté du tronc, un borgne à la gorge tranchée de l'autre. Elle a hâtivement dissimulé l'arbalète dans un gros fourré. Cette arme lui est précieuse, elle était à son père. Mais c'est trop gênant pour courir. Avec un peu de chance, ils ne la trouveront pas... Le plus vivement possible, elle s'éloigne. Les bois froufroutent de mouvement. Danger.

Alors qu'elle se glisse entre les buissons, qu'elle franchit les obstacles en veillant à ne pas marquer le sol de son pas, elle réfléchit. Ils sont en alerte, et ils sont nombreux. Ce sera difficile de les semer.

Sauf si...

Se réfugier là où ils ne la chercheront pas.

Rowan oblique dans une direction à peu près silencieuse alors que l'orage éclate. Il faut faire vite, trouver sa cachette tant que le sol est encore sec et dur, avant que la pluie ne l'ait détrempé. Ainsi elle sera sa complice plus que sa dénonciatrice, en effaçant ses traces. La fugitive sait précisément où elle va aller se terrer, et comment y parvenir. Alors que les premières gouttes viennent battre les feuillages agités par le vent, elle fonce dans la nuit. Là devant, la rivière.

Il lui suffit de se glisser à l'eau depuis un rocher, et de se laisser porter par le flot en restant sous la surface. L'orage se déchaîne, fracasse le silence de son tumulte omniprésent. Là plus loin, il y a l'escarpement traversé par la rivière, au-delà duquel ils ont dressé leur camp. Un escarpement massif, en apparence. Ils ne la trouveront pas cette nuit.

Une heure plus tard, elle est nichée dans une anfractuosité de la falaise, au fond d'une fracture étroite et tortueuse. Au sec, en plus. Elle sourit en pensant à ses poursuivants qui doivent battre la forêt sous l'averse. Elle sourit en pensant qu'elle est à un souffle d'eux, ou presque. Et surtout, elle sourit, un très vilain sourire, en pensant au piège qui attend sagement là-dehors. Un piège tendu depuis déjà 10 jours, si elle compte bien. Qu'elle déclenchera demain. A l'heure où ces ignobles types escortent à la rivière ceux qui sont de corvée d'eau. Puis elle plongera à l'eau et filera hors de leurs griffes.

Rowan s'endort, terrée au fond de son trou.
Demain, après ce dernier sale tour, elle ira au village et parlera à Ivar.
Demain, oui. Il est temps.

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Romaric de Boiscendré
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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeSam 26 Nov 2011 - 0:36

Il faut que ça cesse. De toute urgence.


Romaric n'avait pas la réputation d'être un homme colérique, mais il était présentement en train de faire les cent pas sous sa tente comme un ours dans sa cage.

Une seule jouvencelle qui tient l'Arc Blême tout entier en échec... c'est tout à fait intolérable.

Intolérable, oui... Ce l'était à plus d'un titre. L'aspect le plus important était que si cette malheureuse affaire venait à s'ébruiter, la réputation de l'Arc Blême en pâtirait. Ce qui tirerait vers le bas le montant que les commanditaires seraient prêts à payer pour s'assurer de ses services. Et, par là même, la qualité des nouvelles recrues.

Dans l'immédiat, l'effet commençait à se ressentir sur le moral des hommes. Il ne semblait pas y avoir de danger immédiat de mutinerie. Au lieu de cela, une chape d'abattement s'était abattue sur le campement ces derniers jours. Les mercenaires réagissaient comme si une menace surnaturelle, diffuse et impossible à combattre planait sur eux, ce qui impactait directement, leur chef le savait, leur valeur au combat.

Enfin, neuf hommes étaient morts. Les deux éclaireurs. Deux autres pris en embuscade lorsqu'ils ne se doutaient pas encore que leur ennemi reviendrait. Trois qui s'étaient lancés à la poursuite de la fille, et n'y avaient trouvé que la mort. Plus deux autres morts en silence dans les pièges de la tueuse. Pièges qui témoignaient d'un mélange de compétence et d'imagination perverse qui forçait l'admiration. Neuf hommes sur soixante. C'était un quota de pertes démesuré lorsque l'on songeait que l'Arc Blême ne s'était pas approché d'un pouce de l'aboutissement de sa mission.

Romaric leva les yeux vers le pisteur, Piéric, qui attendait, impassible, les ordres. Un homme discipliné, comme tous ceux qui avaient servi directement sous les ordre de Peyrefendre. Le vieux général était un noble de caste arrogant, cassant et insupportable, mais il savait comment mener ses troupes.

Tu es sûr qu'elle est seule ? Comment une simple chasseresse peut-elle posséder ceci ? Surtout dans un coin comme ça ?

Romaric désigna la petite arbalète qu'ils avaient récupéré près des corps des trois hommes. Elle avait été cachée lors de la fuite, ce qui témoignait d'un sang-froid certain. Certes, c'était un arme simple, sans les systèmes de manivelle qui donnaient toute la tension à l'arme. Ici, c'était plutôt un genre d'arc horizontal. Néanmoins, la plupart des chasseurs, comme des militaires d'ailleurs, préféraient un arc des plus classiques. Et, vu les circonstances présentes, tout ce qui était inhabituel était gênant.

Oui. Une seule personne. Compétente, prévoyante et qui connaît le terrain. Mais une seule.

Le maître archer grogna, dissimulant sa fureur que le détachement de Piéric ne faisait qu'amplifier.

Tu as intérêt à avoir un plan.


J'ai un plan.

Romaric planta son regard dans celui de son subordonné.

Tu as toute mon attention.


A force de pister quelqu'un, on finit par comprendre sa manière de penser. Je pense être en mesure de dire où elle va frapper maintenant.


On sentait que Piéric était fier de ses compétences, car cette fierté perçait dans sa voix.

Voilà ce que je propose...



Parfait ! s'exclama Romaric une fois que Piéric eut terminé ses explications. Je te laisse toute liberté de mener cette opération comme bon te semblera. Je te donne six hommes, et leur commandement. Cela t'ira-t-il ?

Trois. Les plus discrets. Six auront deux fois plus de chances d'être repérés.


Romaric hocha la tête en signe d'assentiment.
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Rowan Altenberg

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MessageSujet: Re: Le courroux de l'Arc Blême   Le courroux de l'Arc Blême Icon_minitimeSam 24 Déc 2011 - 12:52

L'aube n'est encore qu'un halo indécis qui ourle les lèvres de la fracture rocheuse quand la chasseresse ouvre doucement les yeux. Recroquevillée en position foetale au creux de la falaise, elle a dormi sereinement, profondément, malgré l'inconfort de sa couche de pierre et le fracas de l'orage. A peine a-t-elle ouvert un oeil, peu après que l'averse se soit calmée, quand une boule de fourrure chaude couleur de miel est venue se lover contre son ventre. La bestiole qui s'est ainsi imposée dans sa bulle ensommeillée lui a adressé quelques secondes de caquetage réprobateur, "mais enfin t'aurais pu m'emmener quand même", avant de se changer en petit noeud de chaleur soyeuse au ronflottement presque inaudible. Elles se sont rendormies ensemble, avec deux soupirs jumeaux, empreints de la même quiétude.

Le matin est proche. Rowan le sait, comme elle sait toujours où est le soleil, comme elle connaît d'avance la forme de la lune. A force de vivre au rythme du ciel et de la terre, on n'a plus besoin de calculer ce genre de choses. On sait.

Il est temps.

La jeune fille se déplie lentement dans l'espace étroit de la fracture inclinée, soutenant de la main le furet encore à moitié endormi, qui proteste d'une voix étouffée. Elle pose l'animal dans le creux que son propre corps a chauffé, cherche les gouttes d'encre des yeux ensommeillés, et lui dit, fermement, bien qu'à voix basse : "Reste." Un pfrt ténu lui répond, la bestiole enfouit son museau pointu sous le panache de sa longue queue et se rendort.

Le corps courbatu, elle passe de longues minutes à s'étirer, à se détendre, à s'échauffer. Pas question qu'une défaillance physique vienne à compromettre le bon déroulement de sa matinée. Matinée qu'elle programme comme suit : sortir, se glisser jusqu'à la cachette, s'embusquer, attendre, déclencher le piège, plonger dans la rivière et prendre la fuite. Plus tard, se reposer, attendre le retour du furet, puis aller au village et parler à l'homme de Ragnar. Un grognement, alors qu'elle étend l'épaule gauche, plus endolorie que l'autre d'avoir supporté son poids une grande partie de la nuit.

Soigneusement, elle délie ses muscles et ses articulations, puis elle rampe lentement vers l'ouverture de son refuge. La lumière est plus forte, même si le soleil ne se lèvera pas avant une heure, au moins. Elle a tout le temps.

Dehors, deux hommes frissonnants essaient d'oublier l'humidité de la pluie. Aucun d'eux ne parle, aucun d'eux ne bouge. Plus loin, là en bas, dans un autre buisson, il y a un troisième homme. Et dans la fourche de l'arbre, là plus loin, un autre encore. Tous sont immobiles. Tous sont transis de froid. Trois d'entre eux craignent la sanction du maître pisteur, s'ils bougent, et le maître lui-même, attentif, balaie du regard le sentier et ses abords, sans relâche. Il a choisi son poste parce que de dessous ce buisson, il voit la rivière et plus des deux tiers du sentier que les hommes et les esclaves empruntent pour la corvée d'eau. L'homme dans l'arbre voit le reste, et les deux du buisson tout proche sont là pour bondir au premier signal. Si elle essaie de frapper ici, ils l'auront. Le piège caché en haut de l'escarpement était habilement dissimulé, Piéric a mis du temps à le trouver. A vrai dire il est passé devant trois fois avant de remarquer cette fine tresse de fibres cachée sous les mousses et les graviers. Une cordelette nouée autout d'un bout de pierre, qui retient un rocher arrondi. Qui lui-même sert d'appui à un gros bloc instable. Qui, s'il venait à basculer, libérerait une masse de petites pierres, qui dans leur chute en entraîneraient de plus grosses. L'ensemble s'abattant en l'espace de trois secondes sur une large portion du sentier, blessant ou tuant ceux de la corvée d'eau. Il le sentait, Piéric. Pour frapper les esprits, rendre périlleuses les voies d'approvisionnement. La viande est tout autour dans cette forêt, et les pièges de la fille ont tué à plus d'une reprise. Mais elle ne s'était pas encore attaquée à l'eau.

Ce sera pour aujourd'hui, demain, ou un autre jour. Il s'est déjà posté là trois matins de suite, anticipant les directives de son chef, mais elle n'est pas venue. Cette fois il n'est pas seul. Et s'il faut attendre d'autres matins, il est confiant. Elle finira par venir. Ce piège-ci a besoin de sa main pour tuer.

Rowan rampe hors de la faille rocheuse. Aussi lente et silencieuse qu'un nuage par temps calme, elle progresse plaquée au sommet moussu, en souplesse, sans hâte, et sans aucun mouvement brusque. Les oiseaux qui sifflent, tout proches, ne cessent même pas leur chant. Quelques minutes à découvert, et elle replonge à l'abri d'une corniche embroussaillée. Quand elle a mis en place ce piège, elle projetait de le déclencher depuis le haut de la falaise, mais aujourd'hui cette position lui paraît trop exposée, et elle lui préfère la corniche. Meilleure visibilité, et meilleure discrétion, même si la fuite est moins rapide ensuite. Une branchette tombée insinuée dans une fissure lui sert à aller pécher la cordelette qui repose sur le sommet, un peu plus haut. Un instant plus tard, elle la tient entre les mans, se tapit derrière ses broussailles, et attend.

Est-ce qu'il a vu bouger quelque chose, là-haut ? Pas sûr. Et si oui, c'était très petit. Un oiseau, sans doute. En tout cas pas une fille.
Il faut attendre encore.

Le soleil est levé, et des voix se font entendre sur le sentier. Le piétinement se rapproche, et les cinq esclaves vêtus de guenilles, porteurs de grandes jarres de terre, apparaissent entre les fourrés. Juste derrière eux, les deux gardes papotent, commentant la chasse infructueuse de la nuit. Ils passent, gagnent la rivière. Les quatre hommes embusqués sont tendus comme jamais. Ils ne l'ont pas vue, mais qui sait ?... Les esclaves parviennent au bord de l'eau, commencent à emplir leurs jarres. Rien ne s'est passé. Un des hommes jure tout bas. Ils ont poireauté le cul dans la flotte, et tout ça pour rien. Piéric, lui, attend toujours. Si elle ne les a pas eus à l'aller, elle essaiera peut-être au retour. Il faut rester attentif. Il sait où l'avalanche est censée tomber, ayant testé avec deux cailloux qu'il a fait rouler sur la pente. C'est là, en principe, à quelques mètres avant le bord de l'eau. Les esclaves ont fini, ils remontent sur la berge, et reprennent la route. Les deux gardes les suivent à trois pas. Si elle veut que son piège fonctionne, elle devra le déclencher dans quelques secondes, le temps que les pierres roulent, pour qu'elles touchent le sol là où il...
Mais...

Le grondement les surprend tous les trois, ainsi que les gardes et les esclaves. Et soudain, une pluie de quartiers de rocs s'abat, non là où l'attendait Piéric, mais dix mètres plus bas, vers la rivière. Il ne comprend pas, il avait pourtant testé... Le nez levé, incrédule, il repère le gros bloc qui s'est arrêté à mi-pente et qui dévie le reste de l'avalanche rocheuse. La garce. Elle a du essayer avant. Ou prévoir, ou... peu importe, maiss es petits cailloux à lui n'ont pas eu, forcément, ce comportement là et il a mal calculé. Diablesse.
Diablesse ?
Il revient brutalement à lui, et bondit avec un juron. Il a perdu une seconde, peut-être deux. Peut-être trop. Avec un cri, il fonce, tout en fouillant du regard le sommet de la falaise. Pas de fille. Mais où est-elle, bon sang ? Il entend le tapage des deux hommes postés là-derrière et comprend à leurs questions qu'ils ne la voient pas non plus. Puis soudain, il la repère. Là, juste sous le rebord de l'escarpement. Les pierres sont passées juste devant elle, mais le surplomb a du la protéger. Mais comment... Ce n'est pas par là que la corde... Peu importe.

La fille a bondi vers la gauche, en direction de la rivière, mais la corniche est étroite et encombrée de broussailles. Piéric aperçoit à peine le brun poudreux du cuir qui se fond dans la teinte de la roche, la tache plus claire d'un visage, d'une épaule, silhouette confuse à travers les épais feuillages. Il capte un regard, un bref instant. Mais la fille ne perd pas de temps à le toiser. Elle file, agile et rapide comme un animal.

- Ici ! La corniche sous le rebord !

Son hurlement a mis fin au tapage des deux hommes et bientôt il voit leurs têtes émerger contre le bleu du ciel. Trop loin. Elle va s'enfuir. Merde.

Et c'est là qu'elle commet une erreur. Elle a du entendre les hommes tout proches, et les croire dangereux. Elle a du se dire qu'il fallait tenter le tout pour le tout. Elle s'est redressée, est sortie du couvert des fourrés, s'est élancée vers la rivière et a bondi d'une seule détente. C'est là que la pierre de la fronde l'a cueillie. Une seule pierre, en pleine tête. Il savait bien que Sieg était doué, mais là l'homme vient de réussir un coup de maître.

La fille tombe, sans un cri. Ce qui aurait du être un plongeon parfait, puissant, s'achève dans un grand éclaboussement quand son corps inerte frappe la surface de l'eau. Elle disparaît.

- Chopez-la !

L'ordre était inutile, un des deux gars avait déjà sauté à l'eau. Le temps que Piéric parvienne au bord de la rivière, il a déjà attrappé la fugitive, et la ramène vers eux comme s'il traînait un bout de bois mort.

Le temps qu'il rejoigne le bord, l'autre gars est descendu de la falaise, et Sieg de son perchoir dans l'arbre. Piéric lui adresse un signe de tête. Beau boulot. Puis il se retourne, enfin, vers le tas de rochers.

L'un des deux gardes grimace sur le sol en se tenant la cuisse. Il jure et grogne. Jambe cassée. Et là, de sous deux des plus gros quartiers de rocs, la main du second homme dépasse. Inerte. Les esclaves sont massés en une petite troupe pathétique, l'une des filles a laissé tomber une jarre, brisée sur le sol, l'autre pleure de frousse entre les bras d'un gars effaré. Aucun de ces moutons humains n'a même songé à s'enfuir.

Les deux hommes de Piéric sortent la fille de l'eau, avec un grognement d'effort. Le pisteur s'avance et l'examine, debout. Une gamine, en plus. Le sang sourd de la blessure que la pierre a faite à son front.

Toi, tu vas pas tarder à faire connaissance avec Boiscendré. Et à mon avis, tu vas avoir le temps de regretter tous les coups tordus que tu as joués à l'Arc Blême.

- Embarquez-la. Sieg, tu aides Bert à regagner le camp.

Et la petite troupe quitte les lieux.
Quelques temps plus tard, d'autres viendront enlever le cadavre de sous son linceul de pierres.
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