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 Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)

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Ragnar Herteitr
Jarl

Ragnar Herteitr


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MessageSujet: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeJeu 9 Mai 2013 - 11:45

Contrairement à ce qu'il a craint, le jarl Ragnar n'a fait aucun cauchemar. Aucun rêve, en fait, bon ou mauvais. Il était si épuisé qu'il a dormi comme une souche. Il n'a rien ressenti. Ni tristesse pour ses compagnons tombés au combat, ni peur rétrospective après être sorti de la forêt.

Maintenant, il est là, dans une table de la grand'salle, à boire et manger avec un enthousiasme dévorant, presque plus vite que les serviteurs n'arrivent à apporter les plats. Au-dehors, le soleil commence à descendre, mais est encore haut dans le ciel : c'est le début de l'après-midi. Avec un grand soupir de satisfaction, Ragnar repose sa chope et se tapote le ventre.

Ah, ça fait du bien.

Il n'a pas revu son père, aujourd'hui. En revanche, il est sorti dans le village. C'est une petite communauté, et les nouvelles y circulent vite. Il a entendu les murmures des gens. Quelques mots en sont sortis. Qu'il s'est querellé avec son père, lequel interdit maintenant qu'on le suive. Qu'il a traversé la forêt maudite et vaincu un berserker. Il a traversé le village, la tête haute, sans prêter attention aux ragots. Personne n'a osé l'approcher. Alors qu'auparavant, il était apprécié et aimé, non seulement comme le jarl Ragnar, mais aussi comme le jeune Ragnar au rire facile et au cœur généreux, maintenant, une distance semble s'être établie. Non pas par crainte d'Eirik, dont on sait bien que la colère finira par s'apaiser, mais par respect superstitieux. Le jarl, en y repensant, est partagé entre satisfaction d'avoir tant accru sa réputation, et frustration, de ne plus pouvoir avoir une conversation détendue avec un gamin de dix ans. Il faut dire que le fait d'avoir vu Asbjorn, qui est tout de même un beau morceau, et de savoir que Ragnar l'avait vaincu en combat singulier, ne pouvait qu'impressionner les gosses.

Maintenant, Ragnar ferme les yeux, repu. A quelques pas de lui, nonchalamment assis sur une table, se tient Einar qui croque dans une cuisse de poulet tout en se léchant les babines.

Que vas-tu faire, maintenant ?


La voix de Ragnar interrompt temporairement la mastication d'Einar, avant que celui-ci ne déglutisse pour répondre.

Tu vas rentrer sur ton domaine, je suppose. Je ne te suivrai pas. Pas cette fois. J'ai à faire en Suérie.

Le jarl hausse les sourcils.

A faire ? Quoi donc ?

Mais seul un sourire énigmatique lui répond. Ragnar hausse les épaules.

Peu importe. Ce sont tes affaires. Je dois te remercier pour ton aide, cependant. Que souhaites-tu, comme récompense ?


Einar ferme les yeux en secouant la tête.

Tu ne possèdes rien qui puisse m'intéresser, seigneur Ragnar. De plus, nous sommes appelés à nous revoir un jour ou l'autre.

Ragnar acquiesce.

Je l'espère. J'ai une sensation d'inachevé. J'ai l'impression que tout ceci n'a servi à rien. Sinon peut-être à planter des graines qui n'ont pas encore poussé. Je ne veux pas que l'histoire s'arrête là.
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Einar Thorolfsson

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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeJeu 9 Mai 2013 - 13:44

Le doute... aucun changement, bon ou mauvais, ne se construit uniquement dans la joie et la bonne humeur. Il faut pleurer, avant de rire. Souffrir, avant de s'ouvrir. Mourir, avant de renaître. Et beaucoup de Suéris craignent cela. Craignent le changement. Craignent la mort. Oh, pas la mort physique, qui les effraie, mais qu'ils savent accueillir lorsqu'elle vient, comme un voyage en palanquin pour le Valhalla. Il s'agit ici de changement, de remise en question. Et c'est difficile, sinon impossible, tant le peuple suéri tout entier est écrasé sous le poids de ses traditions ancestrales et de la mémoire clanique, avec ses alliances et ses rancunes, parfois pas plus justifiées les unes que les autres. Donc, il y a le doute, et c'est une bonne chose.

Mais, si Einar sait apprécier à sa juste valeur l'effort qui est fait, il sait que ce n'est pas le cas de ses compatriotes. Si la grand'salle n'est pas bondée, ce n'est pas l'un de ces endroits dans lesquels on peut raisonnablement espérer avoir une conversation privée.

Tu vois juste. Mais peut-être souhaiterais-tu poursuivre cette discussion dans un endroit plus tranquille, maintenant que nous avons tous les deux terminé de manger ?


Le regard du jarl s'éclaire d'une lueur de compréhension, tandis qu'il acquiesce.

Mes appartements. Enfin, si on peut appeler ça comme ça. Disons plutôt ma chambre. Et ainsi, tu pourras faire connaissance de Sahnnâ.

Je suis impatient. Comment va-t-elle ?

Elle est épuisée. Mais solide. Elle est parvenue à se remettre toute seule.

Mais pas entièrement.

Non, pas entièrement.

Une pause, pendant laquelle les deux hommes marchent côte à côte, en silence. Einar jette un rapide coup d’œil aux alentours.

Dis-moi, jarl Ragnar... Est-ce que tu regrettes d'être parti dans ce voyage ?

Je regrette la mort de mes amis et ce que nous avons dû faire. Mais le principe même d'être parti, non, je ne pense pas.

Et si tu l'avais trouvée morte ? Ou guérie totalement sans ton aide ? Aurais-tu eu des regrets ?

Évidemment. Mais ça n'aurait rien changé.

Un silence, pendant que les deux hommes s'engagent dans l'escalier. Des regards se posent sur eux. Einar hausse les sourcils en silence, laissant Ragnar libre de développer ou non sa pensée.

Personne ne peut savoir ce que décideront les Nornes. Tout ce qu'un homme peut faire, c'est agir en conformité avec ses convictions, avec ce qu'il pense être dans l'intérêt de son peuple et dans le sien propre. Le reste n'est que suppositions fumeuses.

Ragnar s'adresse ici autant à Einar qu'aux oreilles qui écoutent, il en a parfaitement conscience, mais cela n'empêche pas la sincérité de percer dans sa voix.

Nous y voilà... le fondement de sa conviction. La victoire du principe sur le calcul des conséquences. Un homme qui admet qu'il ne comprend rien, et que personne ne peut rien comprendre, à la volonté des Nornes. Ce qui reflète une certaine défiance envers les sejdrkona. Un homme qui fera toujours passer ses convictions personnelles avant toute autre considération. Un jarl dangereux et prometteur, assurément. Mais les flammes les plus vives sont rarement celles qui brûlent le plus longtemps. Cela dit, il suscitera la loyauté des hommes. Il incarnera un rêve. Ils le suivront, ils donneront leur vie pour lui. A condition qu'il ne se perde pas dans son rêve. Car entre un chef charismatique et idéaliste, et un jeune fou inconscient des réalités, la différence est plus ténue qu'un cheveu.

Crois-tu qu'Asbjorn voudra encore se venger ?

Einar hausse les épaules.

Asbjorn t'aime bien, tu sais. Mais il est... imprévisible. Ce sera sa décision, et ta décision. Je n'ai rien à en penser.

Ragnar ouvre la porte de la chambre, désigne les sièges qui se trouvent devant la cheminée. Il note le renflement des draps, le montre à Einar.

Voici Sahnnâ, l'une de mes esclaves. Celle dont je t'ai parlé. Pour l'heure, elle se repose. Elle dort beaucoup, en ce moment. Si elle se réveille, je te la présenterai.

Einar s'assoit sur un siège, étend ses jambes devant le feu, et accepte de bonne grâce la chope que lui tend Ragnar. Il jette un œil sur les draps, suscitant un sourire du jarl.

Tu peux parler librement. Je fais confiance à Sahnnâ. Pour la loyauté, comme le fait de savoir tenir sa langue.

Un homme qui suscite la confiance des autres en accordant la sienne.

Le feu danse, émettant des lueurs rougeoyantes qui tourbillonnent sur les jambes des deux guerriers touchés par une douce torpeur. La chaleur est relaxante, accueillante, la bière, fraîche et savoureuse. Oui, c'est un endroit propice à la guérison. Tous les lieux ont une voix propre, une énergie, et tous ne sont pas des endroits mystiques. Il règne ici une atmosphère de paisible détermination, et de confiance en l'avenir, qui ne peut qu'aider une convalescente. Même s'il y a aussi la fougue, et l'impatience. Mais la lignée des jarls de Yeravik est... disons que le sang parle.


Tu vois juste, jarl Ragnar. Tu as semé des graines. Pour l'instant, rien n'a donné. Mais bientôt, elles pousseront. Les bonnes comme les mauvaises. Tu as fait des cauchemars ?

Non.

Cela viendra.

Et pour les hommes ? Père... Eirik a refusé qu'ils me suivent.

Ils viendront. Eirik Ingvarsson ne peut s'opposer à la volonté des Nornes. Pas plus que Ragnar Eiriksson ou Einar Thorolfsson. Des forces sont en marche. Des forces qui trouvent leur racine loin dans le passé. Svana l'a fort bien senti. Mieux que moi-même, dirais-je.

Oui. C'est une femme de grande sagesse. Peut-être que tu as raison, mais il n'empêche qu'un goût amer me reste dans la bouche.

Que lui dire ou ne pas lui dire ? Einar n'est pas un devin, c'est du ressort des sejdrkona. Mais il sent des choses. Et il sait ce qu'il y a au bout du chemin. Un homme devrait savoir en quoi consiste le destin qu'il embrasse. Mais peut-être est-ce à Svana de le lui révéler. Un berserker peut acquérir une certaine forme de sagesse, mais certainement pas le pouvoir de décrypter les édits des Nornes.


Un bruit informe les deux compagnons que Sahnnâ a bougé. Sans se retourner, Ragnar lève une main.

Sahnnâ ! Viens ici.
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Sahnnâ

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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeDim 12 Mai 2013 - 22:30

Leurs voix ont été une sorte de bourdonnement lointain dans son rêve. Elle était très loin, très loin de là, ailleurs, dans un pays de sable et de rochers. Un pays où le ciel est blanc de trop de lumière, à l'opposé des ténèbres de cette chambre où elle n'est qu'une masse immobile sous les fourrures, une masse au souffle lent, à la peau tiède. La fièvre ne s'est plus fait sentir, et si la toux la tourmente encore, elle sent déjà les forces lui revenir. Et son appétit. Avant la potion, manger l'épuisait, elle picorait à peine avant d'être prise de vertiges et de frissons. Mais à présent, elle dévore à belles dents tout ce qu'on pose devant elle, et on en pose en abondance, sur l'ordre de la guérisseuse. Manger comme un loup affamé, dormir comme un ours en hiver. Voilà l'essentiel de ses activités, ces dernières heures...

Les voix viennent vibrer dans son rêve et la ramènent doucement à l'éveil, l'esprit lourd et les membres engourdis. Blottie en boule sous les fourrures comme un chat heureux, elle soupire lentement, cligne des paupières. Il fait sombre, elle a bien chaud. Son maître parle quelque part par là, avec un autre homme. Elle ne sait pas vraiment de quoi, son esprit dort encore. Mais son corps réagit tout seul.

Souple en dépit de sa faiblesse, ou grâce à elle, elle glisse hors des couvertures et son genou vient se poser sur le sol. Le froid la saisit, cruel à travers l'étoffe mince de sa tunique, et elle regrette immédiatement la chaleur lourde et rassurante des fourrures. Immobile et en silence, elle attend.

L'appel vient très vite. Elle se redresse immédiatement et s'avance vers le feu, les épaules un peu raides et le corps avide de chaleur. Elle garde les yeux baissés, surveille sa posture et son expression. La relative liberté de comportement que lui accorde son maître n'a évidemment plus cours en la présence d'une autre personne. Voilée et encore mal assurée, sa voix s'élève.

- Maître. Pardonne ma paresse, je ne vous ai pas entendus entrer...

Même s'il lui a ordonné de se reposer et de reprendre des forces... Un peu embarrassée, elle reste là, les yeux dans les flammes, à attendre les ordres. Et elle se dit qu'elle doit avoir une mine étrange, encore maigre et fragile comme un poulain nouveau-né, dans sa fine chemise froissée, les cheveux en bataille et le teint de cire. Elle frissonne. C'est qu'il fait très froid, hors de ce lit...

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Ragnar Herteitr
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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeJeu 23 Mai 2013 - 18:35

La peur de déplaire, encore et toujours... Le jarl examine brièvement la jeune esclave qui se tient devant lui. Elle semble déjà avoir repris quelques couleurs, et l'odeur diffuse de mal-être qui lui collait à la peau s'est estompée. Seulement estompée, pour le moment. Sa maigreur lui donne un air moins malade qu'avant, plus éthéré, en fait ; comme si elle n'était plus totalement de ce monde. Ce n'est qu'une impression, le jarl le sait. Après quelques copieux repas, Sahnnâ sera redevenue elle-même. Mais en attendant, c'est une sensation assez troublante.

Son inspection ne lui a pris qu'un instant. Il pose sa main dans le creux des reins de la jeune fille, la fait passer devant lui, devant le feu. Puis il la fait agenouiller sur la fourrure d'une légère poussée descendante sur son bassin, et elle se laisse faire sans résister. Ici au moins, elle n'aura pas froid. Ragnar estime qu'il serait bon qu'Einar et Sahnnâ se rencontrent, au moins une fois, car ils ont maintenant un lien, même sans s'être jamais rencontrés, du seul fait que l'un a effectué une mission périlleuse pour l'autre qui luttait elle aussi contre la mort. Cela étant, cela ne nécessite pas de faire geler Sahnnâ sur place.

Ragnar recule légèrement son fauteuil, laissant un peu d'espace à Sahnnâ dont le feu chauffe le dos avec enthousiasme. La vieille Svana lui a toujours dit qu'en cas de coup de froid, il faut absolument tenir le dos au chaud. Il ne sait pas pourquoi, mais, comme d'habitude sur les sujets concernant la médecine, il s'en fiche, et se contente de s'en remettre à la sagesse de la sejdrkona. Il ne viendrait pas plus à l'idée de Ragnar de questionner les conseils de la vieille femme, qu'à celle-ci de donner des conseils de tactique militaire au jeune jarl.

Il relève doucement le menton de Sahnnâ entre le pouce et l'index, a un petit sourire.

Je t'ai demandé de rester ici et de te reposer. Tu n'as fait que m'obéir, tu n'as pas à t'excuser.


Un bref instant, il lui caresse la joue afin d'être sûr qu'elle ne s'inquiète pas, avant de se tourner vers Einar. Les pommettes de la jeune fille sont aussi plus proéminentes qu'avant, mais cela lui donne un certain charme, pour le coup. Si on oublie les cheveux en bataille, évidemment. Mais, quelque part, tant mieux. Comme cela, Einar ne regardera pas une jolie petite friandise, et pourra directement s'intéresser à ce qu'il y a en-dessous. Ragnar est très curieux de voir comment le contact va se passer, et, pour une fois, il pourra se tenir en retrait tout en regardant ce qui se passe.

Je te présente Einar Thorolfsson. Il est l'un des hommes qui m'a rejoint pour m'aider à traverser Gravskogur, quoiqu'il ne soit pas du clan. Par ailleurs, c'est... un berserker.


Au moment même où il prononce ces mots, Ragnar se rend compte qu'ils ne signifient rien, ne peuvent rien signifier aux yeux d'une esclave étrangère. Mais peu importe, il sera toujours temps de le lui expliquer plus tard.

Einar, voici Sahnnâ, l'esclave dont je t'ai parlé.


Une lueur de perplexité passe dans l’œil de Sahnnâ au moment où elle entend le mot "berserker", mais c'est vraiment subtil. Toujours à genoux, elle pivote vers Einar et incline le buste vers lui dans un profond salut, avant de se redresser, gardant un silence prudent.
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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeSam 25 Mai 2013 - 12:38

Les flammes qui crépitent dans l'âtre dans un somptueux camaïeu de couleurs chaudes, la douce fourrure qui tapisse le sol, la bière douce, tout ceci évoque la camaraderie, la confiance et la sécurité. Et tout cela a détendu Einar, mais sans lui ôter sa vigilance. Au contraire, ses sens semblent être aiguisés, et, lorsque l'esclave s'agenouille devant Ragnar et se tourne vers lui, beaucoup de choses se lisent sur son visage. La faiblesse physique qu'elle ressent, et qui pourtant semble destinée à disparaître tandis que le corps de Sahnnâ repousse vers l'extérieur le froid pénétrant qui la mordait jusqu'aux os. La bataille est encore rude, elle fait rage en ce moment même, mais elle est gagnée.

Il conviendrait de le dire, cela apaiserait l'angoisse qu'Einar voit sur le visage de la jeune esclave, mais, sur ce genre de sujets, mieux vaut le silence.

Une langue volubile
Si elle n'a pas de bride
Souvent se porte préjudice.


L'angoisse, aussi, mais également la perplexité, et la curiosité, bien dissimulée néanmoins.

Einar observe la jeune fille quelques instants en silence, comprenant que Ragnar ne parlera pas, ne dira pas un mot. Alors le guerrier pose sa question.

Qui es-tu ?

Une hésitation, quelques instants de réflexion, une hésitation. La réponse de Sahnnâ est lente, prudente.

Une voie pour l'Art.

Réponse donnée d'une voix douce et un peu faible-la convalescence s'entend même les yeux fermés-mais néanmoins assurée et déterminée. Sahnnâ n'a pas de doute sur la validité de ce qu'elle dit. Einar reste interdit quelques instants. Elle a été assez fine pour comprendre qu'une réponse toute faite et facile dans le genre "je ne suis qu'une esclave" n'avait rien d'acceptable pour Einar. On ne traverse pas une forêt maudite simplement pour une esclave, quelle que soit la valeur que Ragnar accorde au concept de clan. Néanmoins, c'est une réponse subtile, et donc assez perturbante. Intéressante, aussi. Einar hausse les sourcils et se penche en avant, manifestant ainsi son intérêt.

L'Art ?

Hochement de tête, courte pause. Il est évident que Sahnnâ se demande comment expliquer.

Le flux... la vibration dans le cœur des hommes et des femmes. Elle flotte autour de nous... et nous apprenons à la laisser s'écouler en nous.

Ragnar ouvre de grands yeux pleins de perplexité, mais Einar n'y prête aucune attention. Tout cela devient extraordinairement intéressant.

Dans ce cas, nous sommes tous, comme tu dis, une voie pour l'Art, non ?

En d'autres circonstances et avec d'autres personnes, ce pourrait être une question piège. Mais pas maintenant, et pas avec Einar, donc le visage reflète l'ouverture et l'honnêteté, quoique son regard sans âge reste insondable. Il voit Sahnnâ se demander brièvement s'il y a des sous-entendus cachés, décider que non et répondre franchement.

Oui. Mais tous n'entendent pas. Rares même sont ceux qui cherchent à entendre... Nous... on nous apprend à n'être plus qu'une écoute, qu'une attente.

Plus qu'une écoute ? Mais alors, tu te noies dans l'Art, non ?

Les similitudes avec la pratique du berserkergang et ses dangers ne peuvent que frapper le guerrier suéri. Et l'idée de se laisser noyer par ce flux... Certains de ses amis ont basculé dans la folie, incapables de remonter à la surface de ce flot écarlate si attirant mais dont il est si difficile de ressortir lorsqu'on s'y est enfoncé trop profondément.
L'esclave répond par un sourire qu'elle semble s'adresser à elle-même, et Einar a un léger froncement de sourcils.

Quand je danse, oui... je suis une nef sur le flot... le temps de la danse.

Les yeux d'Einar se perdent dans le vague cependant que la voix de Sahnnâ continue de s'élever doucement, s'infiltrant dans les replis de sa conscience, au même rythme que s'élèvent et retombent les flammes dans l'âtre.

Mais la danse finit toujours et je redeviens moi aussi une part du flot. Après...

Silence. La voix retombe. Elle a commencé à chanceler, moins assurée, juste auparavant, et cela aurait pu tirer Einar de sa transe, mais sa fylgja a pris le relais. Il voit un loup assis dans les flammes, qui le regarde, comprend en un éclair qu'il s'agit d'un animal lié à Ragnar, puis cligne les yeux. La vision disparaît.

Mais les membres d'Einar restent lourds, très lourds, et sa langue comme collée à son palais.

Elle est... quelque chose. Pas une berserker, quoiqu'elle n'en soit pas si loin qu'elle le pense. Une femme qui fait écouter...


Il se demande si elle a déjà vu des animaux comme cela vient de lui arriver. Ragnar frissonne. Il sent qu'il s'est passé quelque chose, même s'il ne sait pas quoi. Mais ce n'est pas important pour le moment. Einar reporte son attention sur Sahnnâ, en quête de savoir, en quête de réponses.

Et ?

Il ne sait pas exactement ce que recouvre ce "et". Mais il y a d'autres choses, bien d'autres choses.
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Sahnnâ

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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeMer 3 Juil 2013 - 18:35

Et ?
Veut-il vraiment savoir ? Peut-il vraiment comprendre ?


Sahnnâ hésite. Il y a une flamme dans le regard clair du guerrier qui lui fait face, qui l'effraie. Une flamme avide, dangereuse. La voix et le visage sont toujours aussi cordiaux, chaleureux, mais cette flamme... Comme s'il attendait quelque chose. Quelque chose de plus que des mots en réponse à une question qui n'en est pas une, qui est juste une invitation à continuer.

Mais quelle sera sa réaction à la suite ? Peut-il vraiment accepter ce qu'elle est ? Les dieux de ces Suéris ne lui sont pas inconnus, mais celles qui lui ont appris les croyances du monde entier en savaient peu sur eux, si lointains. Elle ne sait pas comment on traite ici les esclaves qui prétendent apporter les messages des dieux.

Mais il faut répondre.
Si pas pour cet homme, pour l'autre, à côté de moi, qui écoute. Et qui ne sait pas encore tout, parce qu'il n'a posé que peu de questions sur cette part-là, quoiqu'il en pense.


Mal à l'aise, Sahnnâ voit quelque chose de trouble dans les yeux d'Einar, quelque chose qui lui rappelle le regard à la fois vide et habité de celles qui ont dansé trop longtemps. L'anxiété lui titille les nerfs. Elle jette un regard vers Ragnar, un regard bref, et celui qu'il lui accorde en retour est éloquent : il a remarqué aussi, et il est perplexe. Voilà qui n'est pas pour la rassurer. Elle se rapproche de lui, cherche de l'épaule le contact ferme de sa jambe, la chaleur et la sécurité. Un mouvement presque inconscient.

- Einar ? Est-ce que ça va ?

La voix prudente de son maître met quelques instants à attirer l'attention du guerrier blond.

- Très bien. Ne t'inquiète pas, je ne vais pas entrer en rage. Sahnnâ peut-elle continuer ?

Entrer en rage ? Est-ce que ça a quelque chose à voir avec ce mot étrange qu'il a prononcé, et dont elle n'a pas saisi le sens ? Elle s'est crispée sans s'en rendre compte, et le contact de la main de Ragnar sur ses cheveux l'apaise. Il a du sentir sa peur. Elle coule un regard dans sa direction, et le trouve détendu et sans inquiétude.  Il baisse les yeux sur elle et lui ordonne de continuer, d'un mouvement bref de la tête. Elle respire, elle rassemble ses idées. Et elle reprend la parole.

- Et... et ensuite il y a les Arts Majeurs.

Les grands mots sont lâchés, et Sahnnâ se sent toute froide, tout à coup. Etrange comme Einar l'impressionne finalement beaucoup plus que son maître.

- Ceux-là appellent d'autres vibrations encore. Et nous sommes rares à les servir.

Elle pique un peu du nez, plus proche que jamais de l'immodestie sévèrement punie à l'Ecole. Ragnar, lui, sourit de toutes ses dents.

- Ah... de l'orgueil. C'est rafraîchissant. Et tu fais partie de ces personnes.

Elle rosit. Ce n'est pas de l'orgueil, c'est un fait qu'elle énonce, c'est tout. Qu'il en tire lui un certain orgueil, c'est normal, mais elle doit rester à sa place.

- Oui...

Son maître la regarde et exige des détails, sans qu'il lui soit nécessaire de parler.

- Quelques unes par an sont formées pour les Arts Majeurs. Trois ou quatre, parfois aucune. C'est un travail très... très différent de l'Art.
En tout cas je l'ai trouvé différent.


- Différent comment ?

- Plus exigeant. Plus... plus dangereux.
L'Art ne m'a jamais fait peur. Au contraire. Mais les Arts Majeurs... c'est différent.


Et elle en a peur encore aujourd'hui. Il y a quelque chose de sourd et de sombre qui voile sa voix.

- Peut-être la peur de mal interpréter, de mal comprendre. De donner... la mauvaise réponse.

- La mauvaise réponse ?

Sahnnâ relève les yeux sur son maître. Il sait celà, déjà, elle se souvient qu'il lui a posé ces questions. Peut-être qu'il la pose à nouveau pour épargner au guerrier de le faire...

- L'Art Majeur répond à une question. Les dieux répondent. Le Joyau danse, et la réponse vient des coeurs des hommes et de la voix des dieux.

- Deux vibrations...

Elle sourit doucement.

- Bien plus... toute une musique. Mais la voix des dieux est plus lointaine, plus subtile.

- Oui...

Il a parlé comme s'il connaissait, lui aussi, la voix des dieux. Comme s'il pouvait apprécier la distance. Sahnnâ s'est tue, le guerrier blond, les yeux dans le feu, s'est abîmé dans un silence flou. Et derrière son épaule, un murmure doux la fait se tourner.

- Je n'avais pas oublié, tu sais.
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Ragnar Herteitr
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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeVen 16 Aoû 2013 - 15:33

Elle relève le museau et lui sourit. Un sourire franc et joyeux, qui ne vacille pas. D'un genre qu'il n'avait pas vu depuis longtemps.

Le jarl se lève. Peut-être est-ce la chaleur du feu, ou le fait qu'il a eu une bonne nuit de sommeil, mais ses jambes lui obéissent avec une souplesse inaccoutumée.

Viens.

L'ordre est murmuré, mais aussitôt, Sahnnâ se lève d'un même mouvement, sans hésitation, et Ragnar l'embrasse, pour la première fois depuis longtemps, en l'attirant de sa main posée sur la nuque de son esclave. La jeune femme se laisse faire, et en profite manifestement.

Puis Ragnar l'observe avec un peu plus d'attention.

Tu as l'air d'aller mieux.

Petit sourire.

Je vais mieux... Les forces me reviennent.

Le jarl opine, avant de remettre l'esclave à sa place d'une simple poussée vers le bas sur l'épaule. Sahnnâ se remet à genoux d'un mouvement souple qui suscite un bref sourire sur le visage de Ragnar. Oui, les forces reviennent. Même si on se blesserait sur les os de Sahnnâ en voulant la toucher... Il faut encore qu'elle mange. Beaucoup. Le jarl se tourne vers le guerrier assis à son côté.

Einar ?

L'homme ne répond pas et ne bouge pas d'un pouce. Depuis que Sahnnâ lui a parlé... Ragnar se tourne vers son esclave.

Tu lui as fait quelque chose ?

Ragnar n'a jamais eu vraiment peur de la magie. Son père l'a largement guéri des terreurs superstitieuses qui paralysent beaucoup de Suéris. Aussi n'est-il pas spécialement nerveux. Mais néanmoins, il respecte les puissances autres que celles de l'épée, et ne nie pas leur existence. Aussi le regard qu'il tourne vers Sahnnâ n'est ni effrayé ni énervé, mais curieux, voire inquisiteur.

Tu sais ce qui se passe ?

Sahnnâ ouvre de grands yeux, et dans son regard, la perplexité se mêle d'anxiété.

Non, Maître.

Elle fait une brève pause.

Est-ce une sorte... de transe ?

Ragnar hoche la tête, tout en observant Einar. Personne n'a envie de se trouver assis à côté d'un berserker au moment où il entre dans une "sorte de transe". Car ce qu'il fera immergé dans ses visions n'est que trop prévisible. Mais Ragnar a pour lui un instinct du danger hérité de générations de chefs de guerre et affûté par une vie de combat. Et cet instinct n'envoie pour le moment que des messages rassurants.

Oui... nous allons simplement attendre. Mais, d'habitude, je me rappelle qu'il utilisait des herbes pour ses transes. Ce n'était pas aussi... rapide, aisé. Tu as dû lui faire quelque chose, même si tu ne t'en rends pas compte.

Face au regard alarmé de Sahnnâ, le jarl pose sur sa tête une main apaisante.

Ce n'est pas grave, Sahnnâ. Ce n'est ni sa première, ni sa dernière transe...

En revanche, en ce qui nous concerne, ça pourrait bien être notre dernière, s'il entre en rage et décide de tuer tous ceux qu'il croise avec un tisonnier et une cuiller à soupe...

Pas d'inquiétude. C'est un berserker. Ces gens sont un peu... spéciaux.

Le moment est idéal pour apprendre à Sahnnâ quelques éléments de plus concernant les coutumes suéries. La main de Ragnar caresse la joue de Sahnnâ, dont les reins se cambrent légèrement à ce contact. La main de Ragnar se raffermit un peu. Si elle s'est remise... hé bien, il y a des choses qu'un homme est tenté de faire face à une belle femme tenue de lui obéir.

Puis-je... puis-je te demander, Maître, ce qu'est un... un berserker ?

La manière dont Sahnnâ a prononcé le mot ressemblait plus à quelque chose comme "beyseyker", arrachant à Ragnar un sourire. Les gens du Sud ont toujours eu du mal avec la langue suérie, qu'ils trouvent trop rocailleuse à leur goût. Il a un petit rire.

Tu le peux, mais je ne crois pas que je sois le mieux placé pour répondre. Enfin, je vais essayer. Mais pas juste à côté de lui, je ne veux pas trop le perturber..

Le jarl va s'asseoir sur le lit, et Sahnnâ suit le mouvement, manifestement désireuse d'avoir à nouveau une utilité maintenant qu'elle est en cours de rétablissement. Le jarl tend ses jambes devant lui en attendant qu'elle lui enlève ses bottes. Tout en parlant, il se fait l réflexion qu'il sera important, dans les jours à venir, de ne pas manifester trop d'affection envers Sahnnâ, ni même envers qui que ce soit d'autre, pour ne pas être accusé de sentimentalisme. Les Suéris sont des gens durs et prompts à vouloir prendre du pouvoir. Ce qui permet de les tenir est en grande partie la peur, et quelques exemples sanglants, comme l'ont découvert à leurs dépens les deux bons guerriers de sa compagnie qu'il a occis dans le cercle de combat sur l'île de Falr.

Les berserkers sont une sorte de... de guerriers, mais qui ne sont pas entièrement humains.
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Einar Thorolfsson

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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeLun 26 Aoû 2013 - 21:06

Une nef sur le flot.

Ces simples mots ont transporté Einar dans un monde différent. Les ombres des flammes se sont figées, épaissies jusqu'à devenir comme des filaments d'obscurité dans la pièce, au travers desquels Einar pouvait toutefois voir. Cette incohérence ne l'a pas troublé plus que ça, pourtant, car il y est habitué.

Puis, tout simplement, tout a disparu. Remplacé par une image du passé, d'un passé lointain et pourtant si réel. Une nef sur le flot...

La nuit était tombée, le vent fouettait la côte et la pluie tombait avec rage. Et pourtant, Arngeir, chef du clan Eldrbrandr, avait décrété le départ. Alors, tous les hommes et femmes, si peu nombreux et tant à la fois, étaient prêts à prendre la mer, attendant que la fureur du roi des océans soit apaisée pour voguer vers de lointains horizons. Einar était resté seul, debout, impassible, le torse nu battu par les éléments, contemplant la mer grise fendue de vagues blanches. Lorsque Arngeir s'était approché, il avait mis un genou en terre, mais son torse était resté droit. Comme un refus, une dernière forme de défi. Comme pour dire qu'il suivrait les ordres mais n'en pensait pas moins.

Arngeir portait un casque aux cornes recourbées, qui dissimulait un visage robuste et viril d'âge indéterminé, ce jour-là. Il avait fait relever Einar, et avait marché avec lui jusque sous un immense frêne. Il avait posé sa main sur son épaule.

Et il lui avait dit beaucoup de choses. Des choses douloureuses. Mais, à ce moment déjà, Einar Thorolfsson savait que rien de valable en ce monde ne s'obtenait sans une forme de douleur ou une autre. Arngeir avait dit que les véritables berserkers appartenaient de plus en plus au passé. Ces hommes, si proches des animaux, avec leur sagesse si proche de l'instinct, devenaient des curiosités parmi les hommes, objets d'un respect mêlé de crainte. Un jour ou l'autre, la crainte l'emporterait, et les derniers hommes-bêtes disparaîtraient. Mais c'était le sens et la mission du clan d'Eldrbrandr : le feu ancestral. Entretenir la flamme, la conserver, et l'attiser partout où c'était possible. Partout où les braises de la sagesse ancienne couvaient encore dans le cœur de certains, ou, le plus souvent, de certaines. Qu'ils en soient conscients ou non. Qu'elles en soient conscientes ou non.


Le feu semble s'étendre dans la pièce, faisant reculer les ombres. Une espèce d'illumination.

La voix du jarl, qui vient de très loin.

Einar ? Est-ce que ça va ?


Il est difficile de parler. Einar doit s'arracher les mots de la bouche, un par un, et, à ce moment précis, il en veut à Ragnar de l'y forcer. Mais il ne comprend pas. Il n'y est pour rien.

Très bien. Ne t'inquiète pas, je ne vais pas entrer en rage. Sahnnâ peut-elle continuer ?

Une sorte d'illumination. Le feu consume les apparences, et détruit les faux-semblants. Et Sahnnâ le sait. Cette esclave le sait, elle qui paraît aussi nue dans la vision du berserker qu'elle ne le paraissait avant. Bien sûr, elle a ses vêtements, mais ce ne sont que des guenilles jetées sur son Art comme une couverture sur un feu.

Les deux visions se superposent. Arngeir décrochant de sa ceinture les haches antiques du fondateur du clan. Armes anciennes, mais toujours superbes, merveilleusement aiguisées.
Le feu révélant le don de Sahnnâ, et brûlant les scories qui couvrent le cœur de Ragnar, révélant le Roi. Le jarl, plutôt. La nef dansant sur le flot, sous une pluie apaisée mais un soleil toujours gris. Le visage d’Arngeir se levant vers le jeune homme debout en haut de la colline. La pluie dégoulinant le long de son visage jusqu’à sa puissante mâchoire. Un loup sortant de la forêt. Le tranchant de la hache qui émet une lueur pâle sous le soleil gris. Les yeux de l’esclave, qui sondent le berserker incapable de bouger, perplexes, mais pourtant si proches de la compréhension. Plus proches que n’importe qui en Vindagaard ou en Mörkagaard, peut-être. La tristesse, et une sensation de solitude désespérante.


Les berserkers ont toujours eu des émotions plus fortes. C’est une des manières dont on les détecte dans l’enfance. De violentes crises de colère, de la tristesse, de la joie… Ils vivent, et ne se retiennent pas. Les émotions leur parviennent, brutes, et après, ils les façonnent. S’ils ont la chance d’apprendre. Einar a appris. Appris à se contrôler, appris à canaliser. Mais maintenant, il sent un bouillonnement d’émotions contradictoires l’envahir. Mais c’est la tristesse qui prédomine.

Tellement seul…
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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeVen 20 Sep 2013 - 21:34

Enlever des bottes des pieds d'un homme assis n'est pas une besogne bien prenante, et Sahnnâ est toute à ce que dit Ragnar. Les yeux levés, attentive, elle essaie de comprendre, et pourtant elle s'oblige en même temps à laisser flotter son esprit. Elle sait qu'elle ne peut tout saisir de ce qu'il dira, parce que sa culture à elle est trop différente. Alors elle s'appuie en même temps sur ce qu'elle perçoit, qui ne passe pas en mots. Là où il hésite parce qu'il ne sait pas vraiment. Là où sa voix s'approfondit parce que ce qu'il dit l'inquiète. Là où une aisance de parole trahit, au contraire, des mots qu'il répète parce qu'il les a entendus ailleurs, et qu'il ne remet pas en cause, à tort ou a raison. Elle s'ouvre à ce qu'il dit, et en même temps à ce qu'il sent, ce qu'il sait, ce qu'il ignore. Sans le savoir, c'est l'Art qu'elle utilise. S'il lui disait à présent de danser, elle danserait ses incertitudes.

- Les berserkers sont une sorte de... de guerriers, mais qui ne sont pas entièrement humains. Enfin, si, ils sont humains, mais ils peuvent invoquer... un autre esprit, pendant la bataille. Certains disent qu'il s'agit d'une rage divine, d'autres qu'ils appellent l'esprit de leur guide animal, d'autres qu'ils sont simplement fous.

- ... une rage divine...

Elle a répété ces mots en un murmure, parce qu'ils l'ont frappée. Et elle ne sait pas pourquoi, pas vraiment. Si ce n'est que la folie de ces guerriers leur vient apparemment des dieux. Les mêmes dieux qui se font entendre à travers les Arts Majeurs.

Voilà pourquoi ce que je disais l'intéressait tant.

L'esclave pose la seconde botte à côté de la première, tout en coulant un regard vers l'homme bloond toujours assis près du feu, les yeux dans le vague.

- Personnellement, je n'en sais rien. Mais il est dit que pendant la bataille, ils deviennent invincibles, et d'une force surhumaine. J'ai moi-même affronté et vaincu un berserker... Asbjorn... le colosse. Et je dois dire que, même pour quelqu'un de sa taille, il était vraiment très, très fort, physiquement.

Rappelée à son maître par la voix qui s'élève à nouveau auprès d'elle, Sahnnâ ouvre de grand yeux, plein d'une inquiétude rétrospective. Elle l'a vu, le colosse. Et il était véritablement monstrueux.

- ... mais tu l'as vaincu.

Dans sa voix, il y a un accent de fierté. Cet homme assis devant elle, et qui détient sa vie, a affronté et vaincu un géant roux doté d'une puissance divine. C'est à lui qu'elle appartient. Etrange orgueil des êtres assujettis, de se savoir possédés par un héros. Ragnar entend-il cela ? Sans doute est-il trop absorbé par son explication.

- Oui... parce que la rage, vois-tu, limite aussi l'entendement. Quelqu'un de furieux fait des erreurs. C'est pour cela que les guerriers se lancent d'horribles insultes, sur le champ de bataille. Ou que, parfois, on massacre un prisonnier pour rendre l'ennemi fou de rage. Le problème, c'est que la rage peut être aussi une force. Et c'est difficile de savoir comment les choses vont tourner à l'avance.

Toujours agenouillée dans la pénombre, la jeune fille garde les yeux levés, attentifs, sérieux. Elle écoute, elle réfléchit. Elle analyse. Elle compare.

- ... plus fort mais moins prudent... comme les animaux furieux...

Un murmure encore, mais il entend, et acquiesce.

- Oui... en fait, il arrive souvent qu'ils meurent à l'issue de la bataille. Ce que disent les skalds sur les berserkers, c'est qu'ils deviennent fous furieux pendant la bataille, ils tuent les hommes d'un seul coup, et les blessures ne leur font rien... ils peuvent ramasser leur propre bras tombé à terre et s'en servir pour tuer leur ennemi. Mais après, ils meurent.

- ... parce qu'ils restent des hommes, après tout...

Pensive, Sahhnâ regarde encore l'homme blond, et essaie de l'imaginer, lancé dans la furie du combat. Elle le voit, tous les muscles contractés dans l'effort, les traits sans doute tordus de fureur. Tout à l'opposé de ce qu'il est à présent, détendu de corps et de visage, comme s'il dormait. Ragnar suit-il son regard ? Peut-être.

- Einar a un... compagnon. Un loup. Je l'ai vu. Et il ne m'a pas eu l'air d'un fou furieux.

Sahnnâ essaie d'imaginer le loup d'après ce qu'elle a entendu dire de ces bêtes. Elle n'a jamais vu de loup. Il n'y en a pas dans son pays.

- Asbjorn, en revanche, est un peu fou. Mais tu sais, beaucoup de guerriers ont la cervelle à moitié grillée.

L'esclave ramène les yeux à ces mots, juste à temps pour saisir le sourire sur le visage de son maître.

- Ils peuvent être quand même des gens bien.

Elle sourit à sa plaisanterie, et lui répond, un frémissement amusé dans la voix.

- Pour le peu que j'en puisse juger, d'autres que les guerriers souffrent du même mal.

- Oh que oui.

Elle sourit, silencieuse. Elle est fatiguée, mais elle se sent enfin mieux. En paix. Lui rit presque en silence, et continue. Aucun d'eux n'a surpris le faible mouvement du guerrier blond devant le feu.

- Enfin, ces gens sont une sorte de légende, en Suérie. Arriver à en vaincre un est signe de grand destin. Ce combat va me valoir un certain nombre de loyautés.

Intriguée par un détail, l'esclave se risque à poser une question.

- Tu l'as vaincu, mais il te suit ?

- Euh...

Et il réalise à quel point la situation peut paraître bizarre à qui ne connaît pas ou pas bien l'esprit suéri.

- En fait, il considère que je ne l'ai battu que par chance. Si tu lui parles, tu découvriras qu'il a une sacrée capacité à la mauvaise foi.

L'esclave a un petit rire. Qui tourne court quand elle entend ce qui suit.

- Non, d'ailleurs, ne lui parle pas. Interdiction formelle. Ce sera mieux comme ça.

Il ne plaisante pas. Et brusquement Sahnnâ frissonne. Elle se souvient des regards de ces hommes. Certains indifférents. Certains curieux. Et quelques uns haineux. Pour cette esclave, des guerriers sont morts. Qui sait quelles rancoeurs mûrissent lentement dans les coeurs de ceux à qui ils manqueront.

- Bref... du coup, il veut prendre sa revanche. Mais comme je lui ai sauvé la vie, il a une dette impossible à rembourser envers moi.

- Un lien.

Elle connaît cela. Ca existe aussi dans son pays.

-Oui. Du coup, il m'a suivi dans la forêt pour pouvoir me sauver la vie. Et me tuer après. Tu vois la logique ?

Elle grimace, sourire tordu par un brin de dérision.

- Je crois... c'est assez... particulier, en effet

- Néanmoins, il y a une certaine logique, même si ça te paraît probablement difficile à admettre. Quoiqu'il en soit, il m'a effectivement sauvé la vie.
Sauf que j'ai sauvé à nouveau la sienne juste après.
Donc il doit me sauver encore une fois la vie.


Elle hausse les sourcils dans la pénombre, grimace à nouveau, et lâche un "ouf" de comédie, ostensiblement soulagé.

- Je ne sais pas comment cette histoire va se terminer, mais quelque chose me dit que ce ne sera pas avec un nouveau duel. Et je saurais comment employer ses talents, s'il voulait les mettre à mon service.

La jeune fille sourit, le petit sourire en coin lui retrousse les lèvres. La note amusée lui revient dans la voix.

- Il renoncerait à compter les points, alors ?

Peut-être Ragnar aurait-il relevé ce petit sarcasme, mais il n'en a guère le temps.

Une ombre longue s'étend sur eux. Einar s'est levé et s'étire devant le feu, silhouette noire sur fond d'or rouge.
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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeVen 4 Oct 2013 - 23:06

Le jarl observe Einar avec incertitude. Les berserkers sont connus pour être imprévisibles. Et le fait que celui-ci vienne de passer d'un état normal à un état catatonique ne signifie pas qu'il est de nouveau "normal". Si tant est que ce terme ait le moindre sens pour ce genre de personnes.

Comment te sens-tu ?

La question est volontairement neutre, le ton mesuré.

Parfaitement bien, Ragnar, je te remercie.

Le jarl se détend. Il est très rare qu'un guerrier prêt à massacrer tout ce qui lui tombe sous la main en bavant de rage soit aussi courtois. Et surtout, qu'il appelle les gens par leur prénom. Prononcer le prénom de quelqu'un, c'est déjà lui accorder de l'importance. Et donc, généralement, cela suppose une absence de pulsion de meurtre. Ce qui ne met pas à l'abri d'un assassin ayant bien préparé son coup, mais cette éventualité reste hautement improbable.

Tu veux... te rasseoir ? Boire quelque chose ?

Un moment, à la fois très court, et infiniment long, avant que le guerrier ne réponde.

Non... merci, j'apprécie, mais je vais me retirer. Je dois me reposer, et réfléchir un peu. Nous reparlerons plus tard, si tu le veux bien.

Il n'y a pas grand-chose à répondre à cela, et Ragnar hoche la tête en signe d'acquiescement. La question est de pure politesse, de toute manière.
Très bien. Tant que tu seras ici, considère ma Halle comme la tienne.

Einar disparaît rapidement, laissant Einar et Sahnnâ en proie à la perplexité. Même si Ragnar a le sentiment qu'il est encore plus perplexe que son esclave.
Je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais je ne l’ai jamais vu comme ça.

C’est peu de le dire. Encore, une crise de rage meurtrière incontrôlable et totalement déconnectée de la réalité aurait été presque « normale » pour un homme comme Einar. Mais ce genre d’état de transe, immobile, silencieux, n’est pas du tout quelque chose qu’on attend d’un berserker, et ceci donne une sensation « d’anormalité » encore plus déstabilisante. Ragnar se rend bien compte que la plupart de ses compatriotes auraient été saisis d’une terreur superstitieuse, au lieu de la simple perplexité anxieuse qu’il ressent à cet instant précis.
Mais comme de toute manière, il n’y a rien à faire pour le moment, le jarl traite ce problème comme toutes les questions insolubles auxquelles il a été confronté. Un haussement d’épaules tandis qu’il se rassoit.

De toute manière, on saura plus tard le fin mot de l’histoire.

Des signes subtils. Est-ce les pupilles un peu dilatées de Sahnnâ, son souffle légèrement accéléré, un peu de transpiration sur ses paumes… Difficile à dire. Mais le message d’ensemble est clair.

Qu’est-ce qui t’inquiète, au juste ?

Un bref silence.

Je ne sais pas trop, Maître… Son regard était tellement intense… Il ne m’a pas semblé malveillant, mais…

Ragnar hausse un sourcil intrigue, dissimulant une pointe d’agacement.

Mais quoi ? Elle ne peut pas répondre clairement à une question simple ?

Cela dit, il se contient, tout à fait conscient qu’il faut un peu de patience pour quelqu’un comme Sahnnâ.

On nous a dit que certains pays assimilaient les Arts Majeurs à une forme de sorcellerie. Selon leurs croyances, nous sommes des sorcières, ou des invocatrices… Susceptibles de lancer des maléfices. On ne nous vend pas dans ces pays-là, mais…

Et quand bien même ? Nous en avons, des sorcières, ici… Nous les protégeons et elles nous protègent. Svana en est un exemple typique. Le pouvoir ne nous effraie pas. Ton pouvoir ne m’effraie pas. Parce qu’il est mêlé de loyauté. De même que le mien ne devrait pas t’effrayer non plus.

La poigne du jarl vient se poser sur la nuque de Sahnnâ, l’enserrant légèrement, juste au-dessus du fin collier de métal. Elle penche doucement la tête, sur l’avant et un peu sur le côté, autant pour se rapprocher de lui que pour se concentrer le temps de formuler clairement sa pensée. Mais il ne lui en laisse pas le temps.

Je connais un peu les pays dont tu parles, et ils sont très loin à l’Est. En Suérie, on ne tue pas les gens pour leurs pouvoirs. Parfois pour ce qu’ils en font, mais jamais par pure crainte de la sorcellerie. Et je connais assez les coutumes eiraliennes pour pouvoir te dire que c’est pareil là-bas.
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MessageSujet: Re: Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ)   Les blessures cicatriseront... (pv Einar et Sahnnâ) Icon_minitimeJeu 31 Oct 2013 - 0:21

C'est vrai qu'elle a peur. Ca fait peu de temps qu'elle est sortie de la torpeur poisseuse de la convalescence, que son esprit est redevenu alerte, mais ce temps a passé en grande partie dans la solitude, dans le silence, et dans les moments où elle ne dormait pas (et même quelques moments où elle dormait), elle a pensé, réfléchi. Rêvé.
Ce qu'elle est, ce qu'elle fait là.
Ce qu'elle a à faire.
Pourquoi elle vit encore alors que la mort avait déjà étendu la main sur elle.

Sahnnâ n'a pas de croyances bien définies, elle ne suit aucun dogme, aucun rite. Son seul chemin spirituel est celui, très bref, qui mène sa conscience hors du corps indigne vers le Corps Digne et retour. Ses propres cérémonies secrètes. Elle ne connaît pas un dieu ni une religion, elle a reçu un enseignement sur tous ceux que son monde connaît. Et par-dessus cet enseignement, elle a reçu les mots sages qui disent que le Divin est adoré sous des formes multiples par des hommes différents dans des pays différents, mais que derrière les voix des prêtres et les rituels allant du plus raffiné au plus bestial, il n'est qu'Un seul, et que les hommes se tendent vers Lui d'une seule volonté. Elle se le représente comme une nuée lumineuse et changeante, une couleur diaprée, un parfum étrange, une sensation. Quelque chose qu'on ne peut pas vraiment toucher, avec qui on ne peut pas vraiment parler même si on le voudrait.  Quelque chose...
Mais pas quelqu'un.
Le Divin est partout, mais il ne s'attache nulle part.
Le Divin regarde, ou il détourne le regard.
La vie, la mort, la peine ou la joie lui sont indifférents.
Il est infiniment loin des hommes.

Dans l'enseignement qu'elle a reçu, la plus grande partie du travail n'est pas de saisir l'essence de la question qu'on lui pose. C'est du langage humain, c'est facile. Ce n'est pas non plus de sentir à travers les gestes et les regards quelle est la réponse qu'on craint, qu'on espère ou qu'on se sent prêt à refuser. Ca c'est la base essentielle pour un Joyau, c'est en-deçà des Arts Majeurs, les Arts mineurs sont suffisants, c'est ce que fait toute esclave sortie de l'Ecole, sentir le public, palper ses attentes et lire ses images rêvées.
Non... l'Art Majeur, la grande question, est plus vaste et plus angoissante. Le Divin va-t-il tourner, à cet instant, son regard immatériel vers celle qui l'appelle ? La verra-t-il, daignera-t-il la toucher de son souffle ? Lui permettra-t-il de survivre ?...
Ce qu'elle a appris après avoir maîtrisé sans erreur possible le regard et le coeur des vivants, c'est à rechercher le regard et le coeur de ce qui existe au-delà d'eux. Quelle que soit la forme que les vivants lui donnent, là où elle danse. Appeler, et s'offrir pour prix de l'attention accordée. Savoir que si l'Immatériel n'a pas de réponse, ou pas celle qui est attendue, ou simplement mieux à faire, elle mourra.
Et appeler quand même.

La plupart des maîtres à qui on aurait pu la vendre n'auraient jamais eu conscience de ce qu'ils manipulaient. Nombre d'entre eux ne l'auraient mesurée qu'au coût exorbitant de l'outil nécessaire. Une esclave qui coûte le prix de plusieurs navires, le prix d'un bastion de bonne pierre, de salaire annuel d'une centaine de bons guerriers... Oui, voilà qui les aurait fait réfléchir, peut-être. Sahnnâ y a été préparée. N'attends pas qu'ils comprennent, n'attends pas qu'ils mesurent ce qu'il y a de difficile et d'hasardeux dans ce que tu peux leur apporter. Tu es une arme. Et ils t'utiliseront comme telle.

Voilà pourquoi elle n'est pas préparée à entendre les mots simples de cet homme qui est finalement un rustre à côté du prince raffiné qui aurait du devenir son maître, suffisamment cultivé et suffisamment riche pour acquérir un objet rare comme elle. Elle est un butin de rapine, un joli bijou exotique et encore mal connu. Pourtant dans ses mots désinvoltes, cet homme-là vient de lui reconnaître une valeur qu'il ne comprend pas tout-à-fait lui-même. Sorcière. Protectrice et partenaire, détentrice d'un savoir différent, complémentaire. Il reconnaît, sans aucune honte ni contrainte, qu'il ne comprend pas son pouvoir, qu'il ne peut se l'approprier. Et qu'il s'en fout. Tant qu'elle a décidé de le mettre à son service, ce pouvoir est sien de manière indirecte, et ça lui suffit.

Tant de pragmatisme la désarçonne un peu, même si elle commence à connaître le fonctionnement à la fois direct en apparence mais singulièrement profond et curieusement intuitif de Ragnar. Il ressent les autres, un peu comme elle finalement. Il décide souvent de ne pas tenir compte de ce qu'il ressent, mais pourtant ce savoir est présent à sa conscience. Comme maintenant, quand il vient, avec une délicatesse inhabituelle, de répondre à une interrogation qu'elle n'avait pas vraiment formulée. Ou quand il maîtrise prudemment ses mots et sa voix en présence d'Einar.

Einar... La bête de guerre.

Il n'y a rien de commun dans son pays d'origine, rien qu'elle connaisse en tout cas, mais on raconte des histoires sur les guerriers-tigres, ceux qui perdaient la tête et se battaient avec une furie qui n'avait plus rien d'humain. Une peuplade qui aurait été décimée des décennies avant sa naissance, loin dans les forêts au-delà des grands déserts de roche, au Sud. On en parle encore parce que chacun d'eux aurait tué cinquante soldats, en moyenne, avant de tomber, de tomber longtemps après avoir reçu plusieurs blessures dont chacune aurait du l'abattre. Des fous de sang.

Berserker. Même le mot écorche l'âme. 

L'image de l'homme blond assis devant l'âtre, la moitié du visage dans les ténèbres et l'autre peinte en jaune d'or par le feu, refuse de quitter son esprit. Les yeux attentifs braqués sur elle, éclairés de côté, lumineux et hypnotiques. Un prédateur tranquille, qui n'a pas faim. Curieux, seulement, curieux et prêt à attendre...

Elle frissonne.
La voix de Ragnar fait exactement écho à sa pensée. Il parle d'Einar.

- Non, ce que je pense, c'est que ta danse n'est pas si éloignée que ça du berserkergang. Et que ce que tu lui as raconté lui a ouvert des horizons.
... et il s'est promené en pensée vers ces horizons.


Oui... La proximité, elle l'a ressentie très fort elle aussi. Elle ne verserait jamais d'autre sang que le sien par les Arts Majeurs, mais il s'agit aussi d'une transe, où la douleur, la peur, l'espoir, la peine, tout s'efface derrière un seul but. Le but diffère cependant.

- Quand tu m'as parlé de son... aptitude, c'est vrai, j'ai ressenti... une sorte de similitude, mais très diffuse. L'oubli de soi et l'absence de peur... c'est ce que nous vivons également. Mais, il ne s'agit que de danser...

Que de danser... Tentative sans doute vouée à l'échec de minimiser ses capacités. Les Arts Majeurs vont bien au-delà de la danse, et elle le sait parfaitement. Pourtant elle a peur encore qu'il saisisse toute la portée de ce qu'elle touche et qu'il ne peut atteindre. Rester petite, rester sous sa main, en sûreté...

- Je ne sais rien de ce que tu dis. L'oubli de soi et l'absence de peur, je les connais aussi. Mais les vibrations des dieux, pas du tout, et d'ailleurs, ce n'est pas à moi de m'en occuper. Je ne fais que supposer qu'Einar a pu sentir ça, en fait je n'en sais rien.

Il en a assez de la conversation, et c'est parfait. Ils approchaient dangereusement de régions nébuleuses, qu'elle préfère encore fuir pour un temps. Elle acquiesce donc. C'est plus sûr.

Un instant, il fait silence, mais juste un instant. Très vite, il revient à un sujet infiniment plus pragmatique.

- Tu vas dormir, maintenant ?

Elle secoue doucement la tête, lasse, oui, mais c'est seulement du au fait qu'elle est encore très loin d'avoir recouvré ses forces. Elle n'a pas sommeil. Par contre...

- Je ne crois pas... en fait...

Elle pique un peu du nez, gênée...

- En fait... j'ai très faim.

Le comble. Elle sait avoir englouti à la mi-journée la portion de deux esclaves, plus une tranche saignante d'une viande non identifiée que Svana a ordonné qu'on prépare pour elle. Pourtant c'est vrai, elle a l'estomac qui tire et la salive qui se précipite à l'idée de manger encore. Mais Ragnar ne semble pas s'en offusquer, il sourit.

- D'accord. C'est bien, ça, c'est bon signe. Je vais te faire demander à manger. Et réfléchir à un plan d'action. Mais d'abord, puisque tu vas mieux...

Il n'en dit pas plus, et Sahnnâ, après un bref instant de doute, comprend pourquoi il s'est tu. Les vêtements de Ragnar tombent au sol dans un froissement régulier entrecoupé de cliquetis de métal, ceinture, tunique, chausses. Elle y ajoute donc la mince chemise qu'elle portait pour se tenir au chaud, sous les fourrures épaisses et moelleuses du lit. Son corps est amaigri, affaibli, dépossédé des douces rondeurs féminines qui la rendaient attirante, et même d'une grande partie de sa musculature athlétique de danseuse. Elle n'est plus aussi belle, elle le sait. Elle n'a pas besoin de miroir pour savoir. Moins belle, moins forte, moins résistante.

Mais tant pis. Elle fera au mieux de ses possibilités. L'obscurité devrait cacher à quel point il reste peu de chose de ce qui l'a poussé à la choisir, elle, pour réchauffer ses fourrures, au lieu d'une autre aux appas plus généreux...

Et loin derrière tout ça, l'incrédulité qui reste, fichée en elle, mais muselée, étouffée, confinée et forcée au silence.
Pourquoi a-t-il fait ça ?
Il ignore ce qu'elle est, ce qu'elle vaut vraiment.
Pourquoi ?

Mais l'instant n'est pas aux questions, aux angoisses ni aux doutes.
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