Henri de Kassel [Seigneur] [Homme]

L’aube venait de poindre et le vieil homme regarda l’enfant s’asseoir devant son fauteuil, pour sa leçon quotidienne. Un rituel depuis quelques années mais aujourd’hui était une journée particulière. La leçon serait quelque peu différente, sans y paraître au premier abord. L’enfant regarda avec une curiosité non feinte le tableau d’un seigneur, que le précepteur avait exposé sur un chevalet.

- Vêtu de luxueux habits bleus et noirs aux couleurs de sa maison, Henri de Kassel expose ouvertement richesse et pouvoir. Il apparaît presque toujours dans un plastron finement ouvragé faisant l’orgueil du maître-forgeron de la Capitale. Non pas qu’il s’agisse d’un guerrier, bien qu’il ait été formé au maniement des armes comme tout homme de sa condition… Mais arme et armure d’apparat impactent toujours le prestige de la noblesse, principalement lorsqu’elle est outrageusement fortunée. Une longue cape rouge vient souvent compléter l’ensemble, pour la forme. Henri de Kassel n’aime pas la sobriété.

Il s’agit d’un homme d’expérience, qui vivait déjà avant la naissance de ton père. Ses propres fils sont en âge de gouverner. Mais si sa chevelure noire est désormais clairsemée de gris, cela ne fait que renforcer sa prestance. Son maintien fier et droit, sa démarche assurée, il n’hésite jamais et sait attirer l’attention sur lui assurément. Un seigneur charismatique pourrait-on dire… Mais il y a bien une chose qui ne trompe pas et qui dérange : son regard. Un éclat malin au fond des yeux, qui trouve parfois écho dans un rictus à la commissure de ses lèvres. Détail subtile pour les plus observateurs d’entre nous, mais qui témoigne de bien des choses à son sujet…

Car ne te fis pas aux apparences, mon enfant. Henri de Kassel est fourbe, manipulateur et ambitieux.

L’élève haussait les sourcils, s'interrogeant sur l'aboutissement de cette leçon.

- Cet homme a soif de pouvoir et n’est jamais satisfait de ce qu’il possède. Il cherche toujours à s’élever, à gagner de l’influence, dans ce royaume ou les autres. Hauteroc ne lui suffit pas. Et pour arriver à ses fins, il est prêt à tout. Il n’est pas digne de confiance. Il sait jouer sur le paraître, et même s’il semble être un seigneur agréable et souriant, il possède un esprit retord. Il frappe là où ça fait mal, tout en cherchant à demeurer intouchable derrière ses belles apparences et sa légitimité. Son attention est partout, il cherche toujours à tirer avantage de chaque information, de chaque évènement. Il veut tout contrôler. Ne rien laisser au hasard. C’est une chose qu’il ne supporte pas.

N’oublie jamais cela, car viendra un jour où tu auras à lui faire face. A lui et à ses fils. Ils sont l’ennemi qu’il faudra faire tomber pour que la vérité soit restaurée.

L’enfant observait son précepteur, sans être vraiment certain de ce qu’il entendait par là…

- Pourquoi donc maître ?

Le vieil homme fixait l'enfant et fit durer le silence quelques secondes avant de répondre.

- Hauteroc…

Seigneurie au pied des montagnes du Nord. Carrefour stratégique du commerce de cette région du royaume, contrôlant le Col d'Oroval. Qui contrôle le Col contrôle la voie terrestre reliant les seigneuries des montagnes au reste du royaume. Qui contrôle le Col contrôle le commerce des seigneurs nordiques.

Depuis des générations, Hauteroc est gouverné par la lignée Van Berg, qui érigea la forteresse et assura sa suprématie par un subtil jeu d’alliances et d’accords commerciaux avec ses voisins. De nombreux seigneurs des montagnes sont ainsi devenus vassaux de Hauteroc.

Conrad Van Berg était le seigneur de ce domaine, il y a de cela une trentaine d’hivers…

Le précepteur regarda l’enfant en haussant un sourcil interrogateur.

- Trente. Tu réalises ce nombre ?

Un hochement de tête silencieux le conforta et le vieil homme poursuivit sa leçon.

- L’époque du père de ton père, mon enfant… L’avenir de la maison Van Berg était alors incertain, car le seigneur ne parvenait pas à avoir d’enfant. Pas d’enfant, pas d’héritier… Ce ne fut pas faute d’essayer pourtant, jusqu’à la fin. Il périt sans jamais savoir si sa lignée se perpétuerait…

Bertrand de Kassel, héritier supposé direct de Conrad Van Berg, par Dame sa mère la sœur ainée du défunt seigneur, devint le nouveau maître de Hauteroc. Il passa une grande partie de son existence à consolider son pouvoir et s’assurer la fidélité de ses nouveaux vassaux. Il n’eut qu’un fils, Henri, aujourd’hui seigneur de Hauteroc à son tour.

Ce dernier poursuivit l’œuvre de son père dans l’espoir d’égaler le pouvoir autrefois détenu par la maison Van Berg lorsqu’elle régnait sur le Nord. Et il fit ce que son père n’avait jamais osé jusqu’alors pour asseoir son pouvoir… Il décima la maison d’Averach qui régnait sur Castelfroid, seigneurie des montagnes qui ne reconnaissait plus l’autorité de Hauteroc depuis la mort du seigneur Van Berg. Bizarrement, la royauté ne sévît pas. Henri de Kassel confia Castelfroid à son fils cadet, la seigneurie devint un fief de Hauteroc. La légitimité du seigneur Henri n’était plus ouvertement contestée.

Mais ce n’est que plusieurs années plus tard que le pouvoir de la maison de Kassel se développa davantage. Des mines de pierres et minerais précieux furent exploitées sur les terres de Castelfroid, après une découverte fortuite. Les rumeurs allèrent bon train sur l’extermination de la maison d’Averach quelques années plus tôt et l’annexion de Castelfroid. Fameux concours de circonstances pensaient certains... Mais cela ne dépassait pas le cadre des chuchotements, car les vassaux les plus fidèles de Hauteroc pouvaient profiter du commerce le plus lucratif du nord. Le seigneur Henri de Kassel s’est acquis ainsi beaucoup d’alliés. Mais plus par intérêt que par respect…

Hauteroc prospéra énormément, transitant d’abondants chargements vers la capitale, la mer du nord en remontant le fleuve, ou encore la grande voie menant vers les royaumes voisins à l’Est.

Depuis plusieurs années, le nord s’est considérablement enrichi et son pouvoir affermi. Mais malgré cela, il n’y fait toujours pas bon vivre, les richesses n’étant réservées qu’à quelques privilégiés. Les compagnies de mercenaires s’y sont multipliées, pour protéger les convois et les mines. Les hommes en armes sont partout et appliquent leurs lois. Seigneurs, chevaliers et mercenaires se montrent plutôt expéditifs avec ceux qui font preuve d’un peu trop de convoitise. Ou avec ceux qui ne satisfassent pas à leurs moindres désirs…

Voici le Nord qu’a façonné Henri de Kassel...